- Foot et Société
« Le foot, ça me permet vraiment d’oublier mes problèmes »
Au lendemain de lourdes opérations de l’État gare du Nord, une petite accalmie se passait dans le 17e arrondissement de Paris. Pour sa première édition, la Refugees Solidarity Cup réunissait des dizaines de demandeurs d’asile auprès d’un ballon. Témoignages.

Vendredi 20 juin 2025. Le thermomètre affiche un 35 degrés quelque peu écrasant pour toute personne souhaitant faire un tour dehors. Les rues de Paris sont plus vides qu’à l’accoutumée, peut-être pour se réserver à la veille d’une Fête de la musique aux attentes anormalement élevées cette année. Pourtant, dans le 17e arrondissement, un rassemblement peu commun se fait autour de la rue Hélène et François Missoffe. Tout au long de la journée, les quatre terrains du Five Paris 17 sont occupés, laissant place à une centaine d’âmes réparties sur 50 mètres.
Avec ce tournoi, pas mal de jeunes vont découvrir ce que c’est de jouer en équipes mixtes.
Plus qu’un simple tournoi entre potes ou qu’une CAN des quartiers, cette journée était celle de la Refugees Solidarity Cup. Organisé par Alteralia, intervenant depuis 50 ans auprès des personnes en situation de précarité ou d’exclusion, ce tournoi de football à cinq se voulait l’occasion d’une rencontre entre des personnes aux destins parfois extraordinaires. L’initiative avait déjà existé par le passé, dans la capitale. Pendant que les joueurs ont parfois du mal à se faire comprendre, les langues des participants variant de l’anglais au pachto, l’esprit de ces matchs se veut bon enfant. Certaines équipes sont même mixtes, pendant que les employés des associations encouragent leurs poulains. Qu’ils soient pris en charge par Alteralia, Emmaus, Coallia ou l’AC Paris, centre d’apprentissage dans les métiers de la restauration.
Présent pour quelques heures, Vikash Dhorasoo, dont l’engagement social n’est plus à prouver, était le parrain de cet évènement. Moment fort prenant place lors du 20 juin, date de la Journée mondiale des réfugiés. La veille se terminait gare du Nord une vaste opération de contrôles, ayant sollicité 4 000 membres des forces de l’ordre. Une opération à la symbolique violente, qui aura été même considérée comme une « rafle » par différentes associations. Après cela, il semblait logique de leur donner la parole. À ces réfugiés, ces demandeurs d’asile provenant des quatre coins de la planète, dont les situations personnelles ou politiques devenaient trop graves, les forçant à quitter la terre sur laquelle ils ont vu le jour. Le tout rassemblé autour du football, moyen d’émancipation universel. Témoignages.
→ Shahram, 34 ans, originaire d’Iran
« Quand j’ai quitté l’Iran il y a 15 ans, j’ai pu jouer dans un club de futsal en Croatie pendant quelque temps : le FC Nacional. Je suis resté un peu à Zagreb, car en Croatie, il n’y a pas de ville pour les réfugiés. J’ai failli partir pour Rijeka (principale ville portuaire du pays, NDLR), mais ça ne s’est pas fait, alors je suis parti en France. Depuis, je suis devenu joueur et coach pour l’association Kabubu. En douze ans, on a gagné beaucoup de trophées. Après ça, j’ai commencé à me mettre à d’autres sports : j’ai couru des marathons, des semi-marathons, des 10 kilomètres… J’ai même pu porter la flamme olympique l’année dernière ! Après tout ça, je ne peux que dire “Merci la France”. Avec ce tournoi, pas mal de jeunes vont découvrir ce que c’est de jouer en équipes mixtes. Certains viennent de pays comme l’Afghanistan, où c’est très compliqué de faire ce genre de choses. Ils apprennent comment marche l’égalité, et c’est à ça que peut servir le football. »
Quand il y a un souci ou quelque chose qui m’énerve, je jongle un peu avec la balle pour me calmer, même si je ne suis pas très fort.
→ Karim, 17 ans, originaire de Côte d’Ivoire
« J’ai quitté le pays avec mon oncle, après la mort de mon grand-père. C’était un passionné de football, de Marseille et du Stella Club d’Adjamé. On a fait la route en passant par le Mali et le Maroc avant d’arriver en Espagne puis la France, qui m’a accueilli à bras ouverts. Ma passion, maintenant, c’est la cuisine. Dans la gastronomie française, j’aime tout ce qui est purées, salades césar, confits de canard… J’aime aussi le foot, bien sûr ! Quand il y a un souci ou quelque chose qui m’énerve, je jongle un peu avec la balle pour me calmer, même si je ne suis pas très fort. Le football et la cuisine, ce sont les deux piliers de ma vie. »
→ Issiaga, originaire de Guinée
« En France, c’est pas comme chez nous où on n’a pas la possibilité de faire ce que nous, on aime, mais plutôt ce que la famille veut. Forcément, nos vies en tant que demandeurs d’asile ne sont pas très simples. Alors, quand il y a une activité comme ça, autour du football qui nous passionne tous, c’est quelque chose de bien pour nous et les nouvelles générations. Cela nous permet de nous dépasser, de se motiver pour atteindre nos objectifs. Je dis merci à ceux qui organisent cet évènement, car nous, réfugiés, n’avons pas souvent ce type d’opportunités, et ça fait plaisir d’y participer. »
→ Safiullah, 27 ans, originaire d’Afghanistan
« Je suis arrivé ici le 18 juillet 2022. Ma venue a été très difficile, car il n’y avait ni maison, ni travail, ni argent. Comme beaucoup d’autres, je suis parti à cause de la guerre, maintenant que les talibans ont pris le contrôle de Kaboul. Ma famille est restée là-bas. On avait déjà quitté là où l’on habitait avant, parce que je suis originaire de la province de Logar (une des provinces considérées comme les plus dangereuses du pays, située à l’est, NDLR). Cette situation est très compliquée, aussi bien pour ma famille que ma femme. J’ai déjà joué trois, quatre fois sur ce terrain, mais j’ai aussi beaucoup joué à Kaboul. Dans le club où j’étais, c’était quatre entraînements par semaine et payé trois euros par jour. Ce tournoi me permet de faire ce que j’aime : jouer au football. »
Le football pour moi, c’est comme un soulagement, un peu comme la mer et la plage.
→ Imane, 34 ans, originaire d’Algérie
« J’ai quitté l’Algérie car mon premier mari voulait prendre en charge mon enfant, ce qui m’a fait partir pour l’Espagne. Je me suis remariée avec quelqu’un là-bas, et j’avais aussi de gros problèmes avec lui par la suite. Je changeais de logement très régulièrement, il finissait toujours par me retrouver. Comme c’était très compliqué pour trouver un travail en Espagne, j’ai fini par venir en France. C’est beaucoup moins compliqué ici, à part que je dois demander un titre de séjour français. Le football pour moi, c’est comme un soulagement, un peu comme la mer et la plage. C’est la même sensation que je peux avoir lorsque je regarde un match. Je jouais beaucoup dans la rue avec mes amis, avant mon mariage. On m’a appelée ce matin pour savoir si je voulais participer, mais je ne sais pas encore si j’ai envie de jouer. (Elle se décidera finalement à enfiler les crampons à nouveau, NDLR.) »
→ Safi, 25 ans, originaire d’Afghanistan
« Je jouais beaucoup au foot en Afghanistan avec mes amis, avant que les talibans arrivent. Je suis en attente de ma demande d’asile, donc je n’ai pas encore de travail, mais j’ai retrouvé une équipe avec qui jouer au football à Paris. Il y a de tout ici : des affaires, des places, des endroits pour s’entraîner… Même si j’ai des problèmes depuis que je suis ici, comparé à ce qu’il y avait à Kaboul, on peut dire qu’il n’y a pas de problèmes. »
On voit les infos, par exemple le ministre de l’Intérieur qui veut pas nous voir… On essaye quand même de s’intégrer pour que ça se passe mieux en France.
→ Ibrahima, 18 ans, originaire de Guinée
« J’ai pas trop envie de rentrer dans les détails de pourquoi j’ai quitté la Guinée, mais l’important est que je suis en France aujourd’hui et que ça se passe beaucoup mieux qu’avant. Je rêvais de jouer au football, mais j’ai aussi enchaîné les boulots dans la restauration. L’AC Paris nous a offert une tente, remonté le moral lorsque la vie était très difficile. On remercie le bon Dieu, parce qu’on sait que pour certains de nos potes, c’est très compliqué. On voit les infos, par exemple le ministre de l’Intérieur qui veut pas nous voir… On essaye quand même de s’intégrer pour que ça se passe mieux en France. Pour ce qui est du football, j’étais très fort en Guinée, en tant que défenseur central. Mais sur la route pour le Mali, j’ai eu un grave accident au pied. Ça a pris du temps à se soigner, donc je peux juste faire comme aujourd’hui, et jouer un peu au futsal. Je n’ai pas réussi à faire du football ma vie, mais j’arrive à faire mes deux passions : le foot et la gastronomie. Moi, j’ai appris la cuisine italienne, tout ce qui est pâtes, pizzas, rigatoni… On fait tout pour éviter de tomber dans la délinquance. »
→ Mustapha, 19 ans, originaire de Guinée
« Le football a été ma passion depuis mon enfance. J’ai abandonné mes études, car je savais que je pouvais devenir professionnel. Après, j’ai dû quitter le pays à cause de ma situation personnelle et de l’instabilité politique, à la base de mon départ pour la France. Je n’étais pas engagé politiquement, mais ma famille un peu plus. Forcément, quand la famille est touchée, l’enfant l’est aussi. J’ai fait le centre de formation de Hafia, puis joué à un bon niveau avec Guinée Foot Elite, en deuxième division. Maintenant, l’équipe est en première division. Après, j’ai joué en Coupe de France avec un club près de Nantes, on vient d’être promu en Départementale 2 (la Guinéenne de Nantes, NDLR). Aujourd’hui, je cherche une équipe à Paris, et je vais tout tenter. C’est toute ma vie. »
→ Koméma Koffi, 30 ans, originaire de Côte d’Ivoire
« En Côte d’Ivoire, j’avais honte de moi-même à cause de mon passé, alors c’est pour ça que je suis parti. La France, c’est un pays de droit. Quand je suis arrivé fin février, on m’a bien accueilli avec l’association Alteralia. J’avais un ami qui était censé m’héberger à mon arrivée, mais une fois en France, le téléphone ne décroche plus. Même si c’est pas facile pour obtenir mon asile, je remercie la France pour l’aide qu’elle nous donne. Ça arrive qu’on nous fasse faire des sorties, dans des musées ou pour jouer au football, pour oublier notre stress. Sur un terrain, je suis gardien de but. Comme chacun a son expérience, c’est difficile de juger, mais je me trouve plutôt fort. Le football, ça me permet vraiment d’oublier mes problèmes, oublier qu’on pourrait me renvoyer en Espagne à tout moment. »
→ Djabir, 33 ans, originaire du Darfour (région de l’ouest du Soudan)
« Je suis venu en France au mois de mars 2015, soit il y a un peu plus de dix ans. Comme beaucoup ici, c’est la guerre qui m’a fait quitter le Soudan. Je suis passé par la Libye, avant de traverser la mer jusqu’en Italie, puis la France. Je comptais à l’origine rejoindre l’Angleterre, mais je n’ai pas eu cette chance. Arrivé ici, on est seul, on mange et on dort dans la rue. Des associations nous donnent des habits et un toit ensuite. J’ai fini par avoir mes papiers au bout de trois ans, après pas mal de complications. J’ai beaucoup joué en défense quand j’étais à l’école, mais maintenant, je viens en tant que supporter. Aujourd’hui, mon cœur a du mal à suivre lorsqu’il faut courir. Au Soudan, je suis très fan d’une équipe qui s’appelle Al-Hilal Omdurman, sans oublier le Real Madrid. Le football, c’est quelque chose de très important pour rencontrer l’autre, ceux que l’on ne connaît pas, pour se faire des amis. »
Mélissa Plaza : « Il a fallu quitter le foot pour comprendre que je n’étais pas résumée à un physique »Par Mathieu Plasse, à Paris
Propos recueillis par Mathieu Plasse.
Un grand merci à Mehdi Mokrani (directeur général délégué d’Alteralia), Farhod Tursunboyev (Directeur du CFA AC Paris), Ouassini (animateur pour Alteralia) et Mejdaline Mhiri (chroniqueuse pour l’Humanité venue prêter main forte à l’évènement) pour leur bien-aimable coopération.