- Nuit internationale de la chauve-souris – Turquie – Batman Petrolspor
Le club que Gotham mérite, pas celui dont il a besoin
Quelque part dans l'Anatolie du Sud-Est, à des milliers de kilomètres de Gotham City, il existe une ville qui jouit de la richesse de ses sous-sols en hydrocarbures. À tel point que le club de football de cette ville, le Batman Petrolspor, porte dans son nom l'influence de l'or noir sur la région.
C’est une petite province du Sud-Est de la Turquie, composée de six districts. Au centre de celle-ci se trouve une petite ville : 350 000 habitants comptés lors du dernier recensement. Pour y arriver, pas besoin de GPS, il suffit de suivre la rivière Batman. Logique. Jusque dans les années 1950, ce n’était qu’un village, un minuscule village. Et puis, locaux et autres ont commencé à creuser et à s’intéresser à ce que le sol leur offrait. Et les gisements d’hydrocarbures furent découverts. L’or noir coula à flots pendant longtemps. Les ouvriers affluèrent à mesure que le champ de pétrole de Batı Raman s’étendait. Et il fallait bien que ses travailleurs soient logés. Alors, en parallèle, le petit village kurde d’Êlih devint un bourg, puis une ville, puis une agglomération. Et cette nouvelle ville devait se doter d’un club de sport. Alors, la compagnie pétrolière richissime de la région décida de créer le Batman Petrolspor. Athlétisme, basketball, natation, volley et football furent développés pour occuper les nouveaux habitants.
Batman begins
Dans l’ombre, comme le chevalier noir, le club de Batman s’est lentement développé. Pendant des années, les footballeurs de la nouvelle agglomération de l’Anatolie évoluaient dans la ligue régionale de Diyarbakır. Seulement, comme l’explique Rachel Dawes dans le premier opus de la saga Nolan, « qui que l’on soit au fond de nous, nous ne sommes jugés que d’après nos actes » . Les actes de grandeur, le Petrolspor ne les collectionna pas avant 1995. Cette année-là, les joueurs de Batman parviennent à se hisser jusqu’en troisième division turque, la TFF Second League. Lors de la saison 1996-1997, le club réussit même à terminer troisième de ce championnat et s’ouvre ainsi les portes de la deuxième division turque. Comme Bruce Wayne avant d’affronter Bane, les joueurs sont partis du fond du puits et ont appris à le remonter, essai après essai, en allant toujours plus haut. Mais il y a une marche que le club n’arrive pas à franchir. La plus grande, la plus haute, celle qui mène à la première division. Les chauves-souris sont condamnées à rester dans l’ombre des clubs de l’élite…
Quelques années plus tard, le Petrolspor manque effectivement la promotion en Süper Lig de peu, éliminé en play-offs par le club de Göztepe S.K. La suite n’est qu’une série d’échecs, conduisant le club à végéter dans les divisions inférieures, regardant de temps en temps avec un air nostalgique ce passé un peu plus glorieux. La véritable fierté de Batman, c’est d’avoir formé deux internationaux turcs, deux chevaliers super-héros qui sont allés au moins une fois défendre les couleurs du pays à l’international. Le premier, Orhan Kapucu, avait honoré sa seule et unique sélection lors d’un match de qualification pour la Coupe du monde 1998 face à l’Irlande du Nord et avait passé une saison à Fenerbahçe. L’autre, Ozan İpek, a plus récemment était honoré de trois sélections depuis 2010. En bref, le Batman Petrolspor, c’est le Batman des débuts. Il se cherche, se risque à ses premières virées nocturnes sans jamais être totalement convaincu de la justesse de ses actions et des limites de ses pouvoirs.
The Dark Knight
Si le monde a déjà entendu parler de Batman, ce n’est donc sûrement pas vraiment grâce à son football, mais bien grâce à son ancien maire, Hüseyin Kalkan. En 2008, alors que Christopher Nolan s’apprête à sortir le deuxième opus de sa série de Batman, The Dark Knight, Batman, la ville, décide de porter plainte contre la Warner Bros pour une raison pour le moins farfelue. « Les royalties du nom Batman nous appartiennent. Il n’y a qu’un Batman au monde. Les producteurs américains ont utilisé ce nom sans nous en demander l’autorisation » , avait expliqué monsieur le maire dans les colonnes du Hürriyet Daily News. Une attaque en justice osée, et surtout bête, puisque le personnage de Batman avait été créé en 1939, soit très exactement seize ans avant que le village d’Êlih ne soit rebaptisé Batman à son tour. Le problème, c’est que ce procès prit rapidement des proportions sociologiques hors norme, le maire poussant ses accusations dans des domaines bien plus tatillons que l’étymologie d’un nom.
En premier lieu, Hüseyin Kalkan accusa Hollywood d’être responsable d’une multitude de crimes que la police locale n’arrivait pas à résoudre. « L’usurpation du nom a eu un impact psychologique fort » , expliquait monsieur le maire. Ce préjudice moral irréparable poussa rapidement les médias américains à donner leur vision de la chose. Ces meurtres étaient en fait des suicides de jeunes filles, et ce procès ne servait en réalité qu’à redorer le blason de la ville… Vrai ou faux, ce procès n’eut finalement pas lieu, et Batman retomba vite dans son relatif anonymat. Douzième de 3. Lig la saison passée, le Petrolspor vit loin de toutes ces frasques. Alors que la nouvelle saison va bientôt débuter, le club doit toujours partager son stade avec l’autre club de la ville, le 72 Batmanspor, après une tentative de fusion avortée. « Mais pourquoi tombons-nous, maître Bruce ? C’est pour mieux apprendre à nous relever. »
Par Gabriel Cnudde