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« La presse en Espagne, c’est comme un grand terrain de football vide »
Apparu il y a deux ans dans les kiosques espagnols, le mensuel Panenka a su dribbler la crise, la concurrence et les sujets simplistes pour proposer un regard rafraîchissant sur le football espagnol et international. L'occasion de faire le bilan avec César Sanchez, rédacteur en chef de Panenka, sur son OVNI et sur l'état actuel du journalisme en Espagne.
Comment définis-tu Panenka ? C’est une folie ! Panenka est née alors que les grands groupes de communication traversent une grande crise. La situation des journalistes en Espagne s’est vraiment détériorée depuis quelques années. Il y a une précarité qui affecte tous les professionnels. Ils ont moins de sécurité, moins d’argent… Avant, tous ces gens là prenaient des risques, entreprenaient. Maintenant qu’ils ont tout perdu, ils ne veulent plus se risquer à faire des choses nouvelles de peur que leur situation personnelle n’empire. Le journalisme est de moins en moins bon en Espagne. On n’investit plus d’argent pour aller faire des reportages. Les journalistes se contentent désormais de reprendre les fils infos et de propager des rumeurs dignes de la presse people, sans vérifier aucunes sources. Nous on a voulu faire de Panenka un produit de qualité, en racontant le football d’une manière différente. Paradoxalement le fait que la presse aille mal permet à des projets comme Panenka d’exister. Nous, on a plus rien à perdre, c’est ce qu’on s’est dit en lançant Panenka. On fait ce qu’on aimerait lire en tant que lecteur. Lire des histoires sur le football, originales et travaillées qui sortent des sentiers battus.
Pourquoi avoir choisi Panenka comme nom? On voulait une référence footballistique qui véhicule un concept alternatif. Panenka a fait quelque chose de complètement fou au moment le plus inattendu. Faire un magazine de foot dans un pays où la presse est en crise et qui compte déjà quatre quotidiens sportifs, c’était un peu une folie. On se veut à contre-courant de ce qui se fait dans le panorama de la presse sportive espagnole, donc c’était le nom idéal pour le magazine.
La crise a remis tous les compteurs à zéro en Espagne. Quelque part est-ce que le manque d’argent ne permet pas aussi une réflexion nouvelle sur le métier de journaliste aujourd’hui ?C’est vrai. Il y a encore 10/15 ans il y avait du travail pour tout le monde. Les rémunérations étaient bonnes, on vivait dans le confort et surtout on ne regardait pas du tout à la dépense pour faire des papiers. Aujourd’hui, le secteur du journalisme est celui qui souffre le plus de la crise, derrière celui du BTP. Le fait que les modèles traditionnels des grands groupes de presse soient en difficulté, ça a effectivement permis une remise en question générale. Le secteur s’est ouvert à tout le monde. La presse en Espagne aujourd’hui c’est comme un grand terrain de football vide où tout le monde essaierait de faire son petit numéro. Certains y arrivent, d’autres pas, mais l’esprit d’initiatives est bien là. Désormais il y a une presse alternative qui fait son apparition avec des produits artisanaux au sens noble du terme. L’artisanat, c’est le goût du travail soigné, bien fait. Avec Panenka on avait envie de faire une revue de qualité loin de ce qui se fait actuellement en Espagne dans la presse sportive. Notre objectif à la base c’était vraiment de nous faire plaisir en faisant un magazine que nous aurions aimé lire et qu’il était impossible de trouver en Espagne. On lisait So Foot en France, 11Freunde en Allemagne, OffSide en Suède ou When Saturday Comes en Angleterre mais il n’y avait rien qui ressemblait à ces lectures chez nous. Aujourd’hui Panenka existe depuis deux ans et on fait tout pour que ça continue encore longtemps.
Sans la crise, Panenka serait-il né ? Disons que ça aurait été plus compliqué. Il y a quelques années, la presse était un secteur dynamique qui remuait beaucoup d’argent. On est dans un pays où chaque jour, il y a quatre quotidiens sportifs qui sortent en kiosque. Le secteur était vraiment trusté par ces titres-là, donc Panenka n’aurait certainement pas vu le jour à ce moment-là. Aujourd’hui c’est différent, il y a moins d’argent, et même si c’est toujours le nerf de la guerre, disons qu’il y a de plus en plus de moyens de se faire connaître grâce à Internet et aux réseaux sociaux. La technologie, je pense, a rendu plus intelligent et plus critique le lecteur.
Est-ce que c’est plus compliqué ou plus facile de sortir un mensuel comme Panenka qui propose une lecture transversale de l’actu du ballon rond dans un pays où il y a une très forte culture foot ? En France vous n’avez pas de culture foot mais vous avez de la culture. En Espagne je crois que c’est l’inverse. En Espagne, la grande majorité des lecteurs de presse ont l’habitude de se tourner vers des choses faciles à digérer. Le journalisme sportif est ultra-partisan et subjectif, comme Marca. Ici, ce qui se lit de plus, ce sont les magazines people. J’ai quand même l’impression que ce type de contenu là commence à fatiguer les gens. Les gens deviennent de plus en plus critique et se rendent compte qu’un autre journalisme est possible. Des émissions comme Informe Robinson ou Fiebre Maldini sur Canal + comptent de plus en plus de fans et quelque part, c’est rassurant parce que ce sont des programmes de très bonne qualité. En France, le niveau culturel est peut-être plus élevé, mais ici les gens sont très exigeants avec tout ce qui concerne le football. Ils sont abreuvés de football toute la journée. Au JT il y a 20 minutes consacrées à l‘actu générale et 20 minutes consacrées au sport, dont 95% au football. Chaque nuit, il y a plus de 10 émissions de radios ou de télévisions consacrées au ballon… C’est énorme. 80% des sujets de football ont déjà été exploités à un moment donné ou à un autre en Espagne. Ça réduit notre champ d’action, mais ça nous pousse à être plus créatifs, plus exigeants avec les sujets qu’on propose. Notre défi, du coup, c’est de surprendre le lecteur avec des histoires, disons alternatives, toujours plus fouillées.
Est-ce que l’époque dorée du football espagnol a rendu le journalisme sportif espagnol meilleur ? Avec les succès du Barça, du Real et surtout de la Seleccion, les journalistes ont appris à mieux construire des récits. Des histoires plus complexes, plus solides et bien plus intéressantes à lire et à écrire. L’Espagne a toujours été un pays passionné de football mais pendant longtemps on s’est contenté de rester à la superficie, sans analyser le pourquoi du comment. Quand on perdait, on avait tendance à dire que c’était par manque de chance ou à cause de l’arbitre. On n’allait pas plus loin. Désormais il y a des analyses plus poussées parce que des types comme Aragones, Del Bosque, Guardiola, Cruyff ont proposé une autre grille de lecture et une approche différente du football. Le fait que les coachs parlent de philosophie de jeu et de style de jeu plus que de résultats a rendu les journalistes meilleurs. En Espagne, le monde du football a mûri parce qu’il a été porté par l’excellence et les victoires du Barça et de la Roja. Après c’est sûr qu’il est très facile de débattre de quelque chose lorsque ça marche… Reste à voir si le discours sur le style de jeu va pouvoir survivre désormais que le Barça est rentré dans le rang. Je pense néanmoins que oui.
Comment la presse espagnole gère les cas du Barça et du Real, deux clubs universels par excellence ? Depuis très longtemps, il existe des journalistes qui ne se cachent pas d’être pro-Barça ou pro-Real Madrid. Certains quotidiens sont presque intégrés dans les organigrammes des clubs. Les dirigeants des deux clubs sont en liens directs avec les rédactions et influencent véritablement les lignes éditoriales des quotidiens sportifs. Les quotidiens généralistes sont moins concernés par ce mode de fonctionnement. El Pais, par exemple, est un peu plus objectif dans sa manière d’informer sur ces deux clubs. Le Barça et le Real ont permis au journalisme sportif espagnol d’avoir toujours quelque chose à écrire. Au fil du temps, c’est devenu presque chiant : quand une histoire se répète sans fin, elle devient inintéressante. Ces deux clubs écrasent tout sportivement et médiatiquement. La routine c’est lassant, même si l’histoire de cette rivalité s’est beaucoup radicalisée avec l’arrivée de Mourinho. La guerre dialectique qu’il a mis en place a fait du mal au jeu, au Real, aux clasicos et même à la sélection à un moment donné.
Quelle idée du football défendez vous ?On est tous des trentenaires et forcément on a tous grandi avec le Barça de Cruyff. Notre truc, c’est le football cérébral plus que le football qui fait la part belle au physique. Néanmoins, on est suffisamment curieux pour s’intéresser à tous les footballs. On considèrent que tous les footballs sont intéressants, parce qu’on part du principe que le football est avant tout une aventure humaine. Récemment on a fait un numéro spécial Calcio, un football qui n’a pas vraiment la cote en Espagne. On s’est chargé de casser quelques clichés ! (Rires)
Quel autre football réveille actuellement votre intérêt ?Le football allemand, même si on n’a pas attendu que le Bayern et Dortmund, battent le Barça et le Real pour s’y intéresser. En Espagne, il y a le cliché des Allemands avec des têtes carrés qui ennuient tout le monde, un peu comme Merkel… Le foot allemand est de plus en plus multiculturel et passionné. Il mérite vraiment qu’on s’y intéresse.
En France, beaucoup de personnes se sont soudainement découverts une passion pour le football allemand lors des demi-finales de Ligue des Champions…Entre les Français et les Espagnols, il y a toujours eu des divergences de point de vue. On a du mal avec la réussite du voisin des deux côtés de la frontière. En Espagne, par exemple, les gens ont l’impression que les Français haïssent les Espagnols à cause des triomphes de Nadal, d’Indurain et du football… Si tu regardes le parcours de la Roja, en 2008, en 2010 et en 2012, tu t’aperçois qu’ils n’ont pris aucun but lors des matchs à élimination directe. L’Espagne s’est défendue avec le ballon et pour certains, c’est vite devenu chiant. Quand tu as beaucoup de contrôle, ça tue le suspens et le coté spectaculaire. Je pense que c’est ce côté peu spontané que les gens reprochent aux succès espagnols. Quand une équipe gagne trop et depuis longtemps les gens veulent la voir perdre. C’est logique et normal.
Quel footballeur français aimeriez vous interviewer ?On a toujours eu un faible pour Eric Cantona, qui est un véritable personnage. On espère que ça se fera bientôt. Sinon, j’aimerais bien parler avec Eric Carrière, un joueur dont j’étais très fan. Le FC Nantes à une conception très espagnole du football. J’aime bien le coté provincial de ce club et de personnages comme Guy Roux. Il y a des très jolies histoires de football françaises à faire découvrir aux espagnols.
Propos recueillis par Javier Prieto-Santos
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