Irvine Welsh : « On veut voir perdre les Anglais ! »
L'auteur du mythique "Trainspotting" était présent au Salon du Livre dernièrement pour parler de la sortie française de son roman «Glu», œuvre en partie autobiographique qui parle de l'évolution sur trois décennies de quatre enfants de la balle dans les quartiers miteux d'Edimbourg. On a pourtant parlé très peu bouquin et beaucoup ballon.
Vous avez regardé la Ligue des Champions la semaine dernière ? Oui mais ça m’a gonflé dès la mi-temps du match du mardi (Liverpool/Real Madrid 4-0, ndlr). Et le mercredi, Manchester a mal joué (2-0 contre l’Inter Milan, ndlr) et a eu de la chance, comme souvent. Le match Barcelone/Lyon était plutôt bon, même si les équipes françaises ne peuvent pas rivaliser…
Le foot d’aujourd’hui ne vous plait pas vraiment. Des joueurs trouvent-ils néanmoins grâce à vos yeux ? Des joueurs comme Messi, Ronaldo, Fabregas sont beaux à voir jouer, ils ont du style. Je préfère voir un type arrogant et talentueux, même si je regrette que les grands joueurs n’aient pas une attache géographique avec le club dans lequel ils jouent, à part quelques-uns comme Gerrard, Giggs… Les jeunes joueurs locaux ont moins leur chance à cause de l’exigence de résultat qui force les investisseurs à débourser des sommes énormes pour enrôler des stars et des entraineurs de renom. Le meilleur exemple de cette pratique est l’Inter Milan. Les Figo, Vieira, qui passent d’un club à l’autre indifféremment… ça n’a plus de sens, la seule loyauté qui reste est envers l’argent. Ça serait mieux de voir des jeunes joueurs percer.
Mais pour voir du spectacle, il vous faut des joueurs de talent, ce qui nécessite de l’argent. Pas forcément. En Angleterre, derrière le “Big Four” et deux ou trois clubs comme Everton ou Aston Villa, on trouve une quinzaine de clubs qui n’ont pas le niveau, qui sont juste là à essayer de survivre pour toucher les droits télé : Wigan, Bolton, Blackburn, Portsmouth… Leeds United et Nottingham Forest étaient de vrais clubs en leur temps, même en partant de loin…
La politique de la Fédération Anglaise en matière de hooliganisme a été d’augmenter de façon drastique le prix des billets. Est-ce la meilleure façon de procéder selon vous ? Le problème, c’est que ça a tendance à chasser les classes moyennes des stades. Or le vrai public du foot provient des classes moyennes. Dans les années 70, les stades étaient peut-être moins sûrs du point de vue de la sécurité, mais l’ambiance était incomparable, et les gens venaient voir le match comme on va voir un concert, il y avait un caractère festif qu’on retrouve moins aujourd’hui. L’ambiance dans les stades est désormais très feutrée en Angleterre, à quelques exceptions près. J’ai assisté à un match de Dundee, il y avait au plus 15 000 personnes dans le stade et l’ambiance était incroyable, passionnée… J’ai été à Old Trafford pour un match et l’atmosphère y est maussade. Les 75 000 personnes présentes ce jour-là ne mettaient pas le quart de l’ambiance que j’ai vécue à Dundee. Je préférerai toujours me rendre à un match où le public a une vraie relation avec son équipe, où l’on ressent la notion de communauté dans les tribunes.
En Angleterre, les gens préfèrent voir leur club gagner plutôt que la sélection nationale. Est-ce également le cas en Écosse ? Oui, dans un sens, car l’impossibilité pour les jeunes internationaux d’émerger appauvrit le niveau des sélections. Les plus gros clubs font appel à des joueurs de toutes nationalités pour être les plus compétitifs possible au niveau européen et les espoirs nationaux doivent se contenter de brèves apparitions dans ces rencontres qui les feraient pourtant beaucoup progresser.
Quelqu’un comme Shaun Wright-Phillips aurait pu devenir l’un des meilleurs au monde à son poste s’il était resté à Manchester City. Il est parti à Chelsea à 24 ans et n’a plus joué que des bribes de matchs… Un joueur doit impérativement jouer autant de matchs que possible quand il a 22, 23, 24 ans ! Ce n’est pas jouer dix matchs dans la saison, et être baladé entre le banc des remplaçants et la réserve qui font progresser.
L’Angleterre est à cause de cela l’une des plus faibles nations de football parmi les grands pays européens. Il y a juste Rooney devant, qui est capable du meilleur comme du pire, et la paire Gerrard/Lampard au milieu, mais ils n’arrivent jamais à jouer ensemble ! Ça fait peu pour une équipe comme l’Angleterre… L’Écosse, autrefois très compétitive, ne représente plus grand-chose au niveau international.
Portez-vous un regard compatissant sur des joueurs comme Joey Barton ou Martin Taylor, que beaucoup considèrent comme des bouchers ? Je ne dirai pas que Joey Barton est un boucher. Il a toujours été un joueur rugueux mais les gens le jugent surtout pour son comportement hors-terrain.
Il a quand même démonté son coéquipier Ousmane Dabo à l’entrainement… Oui, disons qu’il a quelques problèmes dans sa tête ! Quant à Martin Taylor, c’est sa réputation qui le dessert. Il a toujours été très physique, mais son tacle sur Eduardo (le Brésilien d’Arsenal avait subi une fracture tibia-péroné il y a un an après un tacle de Taylor les deux pieds décollés, ndlr) est plus maladroit que méchant, si on regarde bien.
Vous avez regardé le France/Écosse qualificatif pour l’Euro 2008 ? Oui, j’ai vu ce match. Mc Fadden (seul buteur du match sur une frappe des 30 mètres, ndlr) est devenu un héros national après la rencontre, mais une fois encore, l’Écosse a raté une occasion de faire quelque chose de grand en ne se qualifiant pas au final.
La moitié du Parc des Princes était écossaise ce jour-là. Oui, ce fut d’autant plus rageant de voir notre équipe nationale ne pas se qualifier par la suite.
Maradona, nouveau sélectionneur de l’Argentine, est un peu le dernier Roi d’Écosse. Oui, après ce qu’il a fait à l’Angleterre, il sera adoré pour toujours en Écosse ! La rivalité avec l’Angleterre n’est pas prête de cesser. En gros, on veut voir perdre l’Angleterre dans toutes les disciplines possibles ! En foot ou en fléchettes, on espère toujours voir l’Angleterre chuter !
Vous deviez être content quand les Anglais ont perdu chez eux le dernier match de poule pour l’Euro contre la Croatie (2-3) ! Ravis, nous étions absolument ravis ! C’est ça aussi, d’avoir une équipe d’Écosse aussi nulle depuis une vingtaine d’années. Nos espoirs de succès déçus se sont transformés en aigreur supplémentaire envers l’Angleterre.
Vous vivez en Floride. Comment expliquez-vous que le football ne suscite pas le même enthousiasme aux États-Unis qu’ailleurs ? C’est une question de culture. La société américaine ne peut pas comprendre le concept du match nul. Les meilleurs matchs de foot que j’aie vus étaient des matchs nuls, comme le St Mirren/Dundee (4-4) il y a quelques années. Les Américains ont besoin d’un vainqueur, c’est culturel. L’idée même du match nul leur est inconcevable. C’est pour cela que le foot ne prend pas vraiment là-bas, en plus du fait qu’il y a des sports typiquement américains qui prennent beaucoup de place comme le baseball, le football américain, le basket, ou encore le hockey sur glace…
La vie de quel joueur de foot pourrait faire un bon livre, à part George Best ? Oui, on pense tout de suite à Best, naturellement, mais on peut citer Brian Clough (attaquant de Middlesbrough et Sunderland dans les années 60, ndlr), Robin Friday (attaquant mythique de Reading dans les années 70, élu meilleur joueur de tous les temps du club, ndlr), Brian Hamilton (ancien joueur d’Everton dans les années 70, ndlr), Rodney Marsh ou encore Stan Bowles (attaquants notamment de Queen Park Rangers, respectivement de 1966 à 1972 et de 1972 à 1979, ndlr). Ces mecs-là pouvaient se saouler la gueule toute la nuit, passer la matinée au bordel, et se pointer au stade dans la foulée pour faire un match énorme ! Après quoi ils retournaient se pinter la lampe et baiser des putes !
Vous avez quelque chose à dire à Franck Sauzée (Irvine Welsh a dédicacé son roman “Porno” à Franckie, ancien joueur d’Hibernian et accessoirement son idole, ndlr) ? Oui, je veux simplement lui dire : « Franck, reviens ! » . On a besoin de lui, il a sa place n’importe où au club. Qu’il vienne nous rendre visite !
Propos recueillis par David Lyndon
Par