Ince, black football manager
En nommant Paul Ince entraîneur, les Blackburn Rovers inaugurent un nouveau concept : un manager noir anglais. Un non-événement à bien y regarder même si une première, a fortiori, dans un pays majeur, est forcément à analyser comme il se doit.
Juin 1997. Un jeune étudiant français en pension dans une famille anglaise s’arrête net devant la télé au moment de dîner : « What ? A Black man on the news tv ? » . Haussement d’épaules de l’un des jeunes adolescents de la maison : « Yeah and so what ? » . Ben ouais, c’est exactement ça : and so what ? Ou plutôt ça aurait dû être ça. Car il faudra encore patienter dix ans en France pour enfin voir un Noir présenter le journal sur une chaîne majeure.
Mais on pourrait retourner la pareille à nos amis anglais en apprenant la nomination de Paul Ince à la tête d’une équipe de Premier League, Blackburn en l’occurrence : and so what ? C’est tout simplement le premier Noir de l’histoire du football anglais à arriver aux manettes d’une équipe de l’élite. Une mini-révolution, mine de rien, au sein d’Albion.
Briser le tabou et les stéréotypes
Au fond, on se demande : pourquoi une représentativité si rigoureuse dans les médias et même dans les institutions (pas mal de députés noirs) et pas dans le football ? L’heure de rappeler que la Grande-Bretagne fonctionne avec le système de quotas dans un certain nombre de secteurs d’activité. Encore faut-il que l’aspiration de la minorité ait été entendue et validée. Or, il se trouve que le football a longtemps été considéré comme une affaire de Blancs outre-manche. Ce n’est qu’en 1978 par exemple qu’un Noir, Viv Anderson, a été sélectionné en équipe nationale. À titre de comparaison, la France avait inauguré le créneau en 1931 avec Raoul Diagne.
Bien évidemment, il n’a jamais été question d’introduire des quotas dans un domaine où la performance devrait être la seule arbitre comme le rappelait (So Foot n°8) Leon Mann, porte-parole de l’association de lutte contre le racisme dans le football : « Le mieux que l’on puisse faire est d’en parler, de faire connaître le problème de représentation à des postes à responsabilités. Il est impossible de légiférer, on ne va pas introduire des quotas de managers noirs et on ne va pas attaquer un club qui ne fait pas ce choix-là. On cherche donc avant tout à briser le tabou » .
Il faut dire que qui dit représentativité dit aussi d’une certain façon représentation. Et dans l’imaginaire anglais, le joueur noir a longtemps été avant tout un athlète du jeu, loué pour ses supposées qualités physiques. En gros : un gars solide ou/et très rapide. À eux les postes de défenseurs centraux, dans les couloirs (latéraux ou ailiers) ou en pointe. Chris Kamara, qui avait cornaqué Bradford City en D2, croit percevoir une certaine évolution depuis les 80’s : « Il y a quinze ans, il n’y aurait jamais eu de liberos ou de gardiens. Aujourd’hui, ce n’est plus un problème » . Mais quid des meneurs de jeu, des patrons de l’entrejeu ?
Quand Ince était LE taulier
Du coup, s’il devait y avoir un premier manager noir en Premier League, ça ne pouvait être que lui, Paul Ince. Pendant près d’une décennie, il aura figuré une sorte de Roy Keane qui aurait été anglais et noir. Des bonnes jambes (forcément diront certains tenants des archétypes raciaux) mais aussi un cerveau de premier ordre, une rigueur et un mental rageur à faire pâlir davantage encore ceux pour qui un Noir était avant tout un gars sympa mais vachement désinvolte. Oui, que ce soit à Manchester United, l’Inter Milan, Liverpool (excusez du peu !) ou en sélection, Ince aura été LE taulier qui fait tant défaut à l’équipe d’Angleterre depuis son retrait.
Mais au vrai, on pourrait aussi s’interroger. Et si cette nomination de Paul Ince confortait sans le vouloir une certaine idéologie nauséabonde ? On l’a dit, l’homme aux 53 sélections est celui qui a pris à contre-pied l’imaginaire collectif anglais. Mais, à bien y regarder, c’est le seul, l’exception qui confirmerait cette “règle” puante. Si on lui ouvre la porte pour mieux continuer à la fermer aux autres (vous savez, les joueurs instinctifs, sympa et relax), il sera temps de se demander où est le progrès.
Une fois encore, Ince fait office de précurseur sans être tout fait certain de faire des petits. Une décennie après sa retraite, on ne voit toujours pas venir son héritier noir dans l’entrejeu anglais. Il se pourrait qu’on attende encore plus longtemps avant de lui trouver un successeur à la tête d’une formation d’élite.
Dave Appadoo
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