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Fabien Bonnel : « Depuis 2013, on célèbre tous les ans le « Sakho Day » »

Propos recueillis par Adrien Hémard
8 minutes
Fabien Bonnel : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Depuis 2013, on célèbre tous les ans le « Sakho Day »<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Pour les Irrésistibles Français, le mois de mars rime normalement avec rentrée des classes après un long hiver sans équipe de France. Mais pas cette année. Comme tout le monde, les ultras des Bleus vont assister au retour de la bande à DD depuis leur canapé. Un canapé où ils passeront peut-être aussi l'Euro. Capo du groupe, Fabien Bonnel fait le point avant un France-Ukraine qui rappelle forcément des souvenirs.

Comment ça va en ce mois de mars qui, normalement, est spécial pour les Irrésistibles Français ?Ce n’est pas la grande joie, mais on s’y attendait. C’est difficile de voir les joueurs arriver à Clairefontaine en se disant que cette trêve se passera sans nous. L’espoir qu’on a, c’est peut-être un retour du public pour les matchs de mai. En attendant, on espère vivre une bonne semaine internationale de notre côté, devant la télé. On n’a pas beaucoup de choses pour égayer nos vies depuis un an, mais on a les Bleus. J’espère que tous ceux qui aiment le football et l’équipe de France pourront s’évader cette semaine.

J’ai été très marqué par le faux espoir vendu par Roxana Maracineanu fin février, qui espérait un retour du public d’ici 3-4 semaines. Ce genre de fausse promesse… J’ai eu le sentiment qu’on se foutait de moi.

C’est quoi le sentiment qui domine finalement ?C’est la résignation, parce qu’on n’est pas bête : on voit ce qu’il se passe dans le pays, on a participé à l’élan de solidarité envers le personnel hospitalier qui vit une période compliquée. On sait que le foot est secondaire. Ma femme est infirmière, pas en réanimation, mais on a des échos de certains services où c’est tendu. On n’a pas envie que les hôpitaux soient sous l’eau avec des soignants épuisés. Après, à titre perso, je ressens aussi de la frustration. Parce que bien qu’on travaille avec les instances, j’ai été très marqué par le faux espoir vendu par Roxana Maracineanu fin février, qui parlait d’un retour du public d’ici 3-4 semaines, ce qui collait avec France-Ukraine, alors que le contexte sanitaire ne le permet pas du tout. Ce genre de fausse promesse… J’ai eu le sentiment qu’on se foutait de moi.

Le dernier match des Bleus avec du public, c’était contre le Portugal devant 1000 personnes en novembre dernier. Comment comblez-vous le vide ?On a prouvé qu’on savait tenir des mesures de distanciation physique en tribune. Ça faisait plaisir de revenir au stade, de se revoir, mais être à 3 sièges les uns des autres, ce n’était pas un kif. On n’était à peine 1000, en comptant le personnel du stade, les joueurs, etc. Le dernier vrai match, avec un stade plein, c’était en novembre 2019, ça remonte. Malheureusement, c’est compliqué de maintenir une vie d’association pour nous, parce qu’on est basés à Paris, mais on a des membres sur tout le territoire. Et puis, organiser un zoom à 700 personnes, t’imagines le bordel ? Le lien s’entretient plus par petits groupes de gens. On tente des trucs pour s’occuper aussi sur nos réseaux internes, là par exemple on va faire des lives commentés des matchs.

Un tifo, ce n’est pas que des feuilles, c’est aussi les gens en dessous qui lui donnent vie et prennent du plaisir à faire ça. Donc là, faire un tifo de feuilles posées sur des fauteuils, ça me dérange.

D’ailleurs, vous avez préparé des tifos pour combler votre absence ?Un tifo, ce n’est pas que des feuilles, c’est aussi les gens en dessous qui lui donnent vie et prennent du plaisir à faire ça. Donc là, faire un tifo de feuilles posées sur des fauteuils, ça me dérange. En revanche, oui on a travaillé à quelque chose pour montrer aux joueurs que même s’il n’y a personne au stade, tous les supporters des Bleus sont là, derrière eux. Rendez-vous avant le match contre l’Ukraine pour découvrir ça.

Justement, France-Ukraine, ça vous rappelle forcément des bons souvenirs…Des mauvais souvenirs d’abord, parce que j’étais au match aller à Kiev et là… (Rires.) Quel week-end de merde : il faisait froid, on perd 2-0, Koscielny prend son rouge, je me fais voler mon portefeuille. J’ai pleuré à la fin de ce match. Et puis bon, le soir, on va noyer la défaite dans les bars de Kiev. À 2-3h du matin, je me suis mis à écrire un texte pour nos adhérents du genre : « Si vous n’y croyez pas, ne venez pas au stade mardi, on veut 80 000 guerriers en tribune. » À partir de là, on a basculé. On a senti la pression bien avant le coup d’envoi. Dès que je suis sorti du métro, j’ai compris que rien n’était pareil : les gens étaient au stade bien plus tôt que d’habitude, je voyais du bleu partout, j’entendais des chants de partout. C’est toute une série de détails qui te font dire que ce match-là, ce jour-là, sera différent. Les Ukrainiens entrent en premiers, le public les pourrit. Et derrière, les Bleus arrivent, et dès cet instant, la soirée chavire, le stade s’embrase.

À Kiev, il faisait froid, on perd 2-0, Koscielny prend son rouge, je me fais voler mon portefeuille.

Chanter dès l’échauffement, c’est déjà rare au Stade de France. Mais mettre autant d’ambiance…. France-Ukraine 2013, c’est un match ovni, un truc qu’on ne revivra pas, jamais. Même France-Brésil 1998, même France-Allemagne 2016, même si on avait gagné l’Euro 2016. Les chants partaient de partout, je n’ai pas bossé ce soir-là : tout le stade était ultra. C’était un 19 novembre, on était tous torse nu. À la fin, Varane et Pogba amènent les joueurs sur nous, sécuritairement c’était n’importe quoi, il y a eu un énorme mouvement de foule. Des personnes ont récolté quelques gros bleus. (Rires.) Après le match, on a du mal à quitter le stade, comme si on avait gagné un trophée. La fête s’est prolongée tard dans les bars de Saint-Denis. Depuis, on célèbre tous les ans ce « Sakho Day » chez les IF. Dans le groupe, on chambre ceux qui n’étaient pas là, parce que France-Ukraine 2013, ce n’est même pas une barre à dépasser, c’est impossible, c’est le match d’une vie.

C’est maintenant l’Euro 2021 qui se profile. Vous le sentez comment ?Au niveau sportif, j’y crois fort. La chance de DD a encore frappé parce que l’année dernière, on n’était pas au top, et là tout va bien, les cadres reviennent en forme. Plus on ira loin, plus ça nous fera oublier nos tracas actuels. Après d’un point de vue supporters et fête, j’y crois moyen. J’ai rendu mes places pour le premier tour parce que les jauges seront limitées, au mieux, et la fête quasi impossible. Ce n’est pas comme ça que je veux vivre un grand tournoi, sans pouvoir visiter le pays, aller en fanzone, etc. Certains le font, on est assez partagés dans le groupe entre y aller ou pas. Mais pour moi, l’extrasportif compte autant que le sportif. Bon, cela dit, j’ai gardé mes billets pour les demies et la finale, quand même.

Comment le vivent vos 1 600 adhérents ?On est descendu à 600, 700 personnes qui ont repris leur adhésion cet hiver, sans savoir s’ils allaient voir un match. Et honnêtement, je préfère voir le verre à moitié plein : ça fait plaisir de voir cet état d’esprit, ça prouve qu’on est lié par autre chose que du foot, qu’on a un noyau dur assez conséquent. Et je ne blâme pas du tout ceux qui n’ont pas repris l’adhésion, c’est normal : il n’y a pas de matchs !

Le format de l’Euro nous soulait depuis le début. Pendant le tirage au sort, on se préoccupait plus des villes hôtes que des équipes adverses !

Si vous ne pouvez pas y aller, il y aura des choses mises en place en France ?On verra selon les annonces de Castex du jeudi qui précèdera l’Euro. (Rires.) Mais oui, sur le papier, on mettra en place tout ce qu’on peut pour se rassembler et vivre ça ensemble.

D’un point de vue sanitaire, le format de l’Euro dans 12 villes est une hérésie. Mais pour un supporter, c’est quoi à la base : une folie ou une idée géniale ?Ça nous soulait depuis le début. Pendant le tirage au sort, on se préoccupait plus des villes hôtes que des équipes adverses ! Par exemple, jouer à Rome, ça nous faisait rêver, mais ensuite il fallait aller à Bakou, non merci. Sur le papier, cet Euro itinérant était peut-être une bonne idée, mais pour le supporter, c’est juste une galère absolue. En plus, on n’aurait pas eu le côté festif d’avoir tous les supporters au même endroit, même si nous, on était gâtés avec Munich et Budapest au programme. Une compétition sur un seul pays, ça a un autre charme. L’Allemagne en 2024, ça va être super. Pour le trio Mexique-États-Unis-Canada, mon compte en banque ne se réjouit pas, mais le programme n’est pas dégueu.

En octobre, vous deviez fêter vos dix ans contre le Portugal. On souffle les bougies quand ?C’est au point mort. On avait beaucoup d’idées pour faire ça bien, avec un beau spectacle, tout est en stand-by. On le fera dans un stade plein, mais quand ? Peut-être que ce sera pour les 12 ans, vu qu’on est le 12e homme. En tout cas, on n’attendra pas les 15 ans. Cet anniversaire aura lieu, on soufflera les bougies. Là, on a eu une vidéo sympa, spontanée, des joueurs le 10 octobre dernier. C’était déjà un beau cadeau, parce que ça montre qu’on existe, que notre investissement paie. Certes aujourd’hui, on est tristes de ne pas avoir pu fêter cet anniversaire, mais on est encore plus malheureux de ne pas voir de matchs depuis un an.

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