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Pourquoi les joueuses ont-elles autant de sélections ?
Dimanche soir, la Néerlandaise Sherida Spitse disputera face aux Bleues son 248e match en sélection. Un total qui la place devant Cristiano Ronaldo (221) parmi les joueurs.ses les plus capés d’Europe. Lors de cet Euro, des dizaines de joueuses ont déjà dépassé les 130 sélections. Dans le foot féminin, les records s’enchaînent. Mais comment expliquer une telle longévité en équipe nationale ?

→ Parce qu’elles jouent plus souvent, tout simplement
Le premier constat est basique : les joueuses jouent plus de matchs en sélection que les hommes. Leurs calendriers internationaux sont souvent plus remplis, avec davantage de dates FIFA exploitées, plus de tournois amicaux (SheBelieves Cup, Tournoi de Chypre, Tournoi de l’Algarve, etc.), et une tendance à maximiser les rassemblements. Même les années sans grande compétition, il se passe toujours quelque chose. Pendant longtemps, les sélections féminines ont compensé un manque d’exposition médiatique ou de compétitions structurées par un enchaînement de matchs amicaux ou de tournois de développement. Ce rythme est resté. Les joueuses voyagent beaucoup, affrontent souvent les mêmes adversaires, mais elles jouent. Beaucoup.
- La question à Élise Bussaglia, 192 sélections en équipe de France : Avez-vous parfois eu le sentiment d’enchaîner trop de matchs en sélection, même en dehors des grandes compétitions ?
« Quand une grande compétition tombe juste après la fin de saison, alors qu’on est déjà fatiguées, ça peut être un peu long. Il arrive qu’on enchaîne trois saisons d’affilée sans vraie coupure estivale, et dans ces cas-là, c’est forcément éprouvant. Mais en même temps, quand on a la chance de disputer un Euro, des JO ou une Coupe du monde, on est tellement heureuses de vivre cet évènement que ça efface beaucoup de fatigue. Et c’est vrai que les années sans compétitions officielles, où on peut bénéficier d’une vraie coupure, ça fait aussi beaucoup de bien mentalement et physiquement. »
→ Parce que les clubs laissent plus facilement partir les joueuses
Dans le foot masculin, un rassemblement amical peut tourner à la séance d’ostéopathie collective. Entre les blessures diplomatiques, les clubs qui renâclent à libérer leur star pour un match contre la Lettonie, et les calendriers surchargés, les internationaux ratent régulièrement des fenêtres internationales. Dans le foot féminin, c’est l’inverse : la sélection est une vitrine. Le championnat est moins médiatisé, parfois amateur ou semi-pro, donc les fédérations prennent le pouvoir. Les clubs ne bloquent pas les convocations, les joueuses sont honorées d’y aller, et les sélectionneurs alignent (presque) toujours leur meilleure équipe.
- La question à Élise Bussaglia : À ce propos, avez-vous déjà ressenti des tensions entre votre club et la sélection ?
« En général, les clubs savent qu’il y a un calendrier FIFA qui s’impose à tous. Les éventuelles tensions viennent souvent d’un manque de communication plus que d’un désaccord de fond. Personnellement, je n’ai jamais eu de souci. Entre mes clubs et l’équipe de France, ça s’est toujours bien passé. Bien sûr, chacun défend ses intérêts – le club veut protéger sa joueuse, la sélection veut pouvoir compter sur elle –, mais tant que le dialogue est bon, tout peut bien se passer. L’idéal, c’est que tout le monde pense avant tout à la joueuse. Le risque, c’est que chaque camp se concentre uniquement sur ses priorités. Un club investit beaucoup dans ses joueuses, donc il attend qu’elles soient performantes, qu’elles ne reviennent pas blessées, qu’elles aient des temps de récupération…Mais s’il y a une bonne entente et une communication saine entre les staffs du club et de la sélection, il n’y a pas de raison que ça pose problème. La clé, encore une fois, c’est le dialogue. »
→ Parce que la concurrence est plus faible
C’est peut-être cruel à écrire, mais c’est mathématique : il y a moins de femmes licenciées, donc moins de concurrence à chaque poste. En France, les femmes représentent à peine 10% des licenciés à la FFF. Moins de prétendantes = plus de stabilité. Une joueuse qui s’installe à son poste en sélection peut y rester longtemps. Il n’est pas rare de voir une cadre enchaîner 10, 12 voire 15 ans en équipe nationale.
- La question à Élise Bussaglia : Cette faible concurrence entraîne-t-elle une forme de stabilité confortable ou un devoir de constance et d’exemplarité ?
« Je n’ai jamais ressenti ça comme une stabilité acquise. Pour moi, chaque match en club était une occasion de prouver, de me dépasser. Être appelée en sélection restait un objectif fort, et une fois là, je voulais tout donner pour mon pays. Je ne l’ai jamais pris pour acquis. C’est une remise en question permanente. Être sélectionnée, c’est être parmi les meilleures du moment, donc il faut sans cesse le prouver et montrer au sélectionneur qu’il peut compter sur nous à tout moment. »
→ Parce que le développement du foot féminin pousse à jouer plus
La FIFA et les fédérations multiplient les compétitions pour accompagner l’expansion du foot féminin. Les Coupes du monde passent de 12 à 32 équipes (puis 48 en 2031), les Jeux olympiques accueillent de plus en plus de nations, les qualifications s’étalent sur des mois… et les amicaux continuent d’exister pour combler les trous. Plus de pays et plus de compétitions signifient plus de matchs pour tout le monde. Surtout pour les cadres, qui sont rarement ménagées. Et comme ces compétitions sont aussi des outils de promotion, personne n’a intérêt à aligner l’équipe B pour faire tourner.
- La question à Élise Bussaglia : La multiplication des compétitions est-elle toujours bénéfique ou commence-t-on à frôler la saturation ?
« Honnêtement, on est encore loin du niveau de saturation qu’on peut voir chez les hommes. Il y a une vraie différence dans le nombre de matchs joués, notamment en championnat. Si on profite des dates FIFA pour organiser des amicaux ou des mini-tournois, je trouve ça positif. Après, si certaines joueuses ont des pépins physiques, il faut que ce soit géré intelligemment, en lien avec le club. Mais pour moi, la question de la surcharge de matchs dans le football féminin ne se pose pas encore vraiment. »
Dans presque tous les grands pays de foot, les meilleures joueuses ont plus de sélections que les meilleurs joueurs. Et de loin. Aux États-Unis, Kristine Lilly (354) enterre Cobi Jones (164). En France, Eugénie Le Sommer (200) devance Hugo Lloris (145). En Allemagne, Birgit Prinz (214) surpasse Lothar Matthäus (150). Aux Pays-Bas, Sherida Spitse (247) fait mieux que Wesley Sneijder (134). Même au Brésil, Formiga (234) devance Cafu (142). Seule exception notable : l’Espagne. Sergio Ramos (180 capes) tient bon face à Alexia Putellas (131). Mais vu l’âge de la milieu catalane, l’écart pourrait encore se réduire.
« Leur longévité est impressionnante, pose Élise Bussaglia. Pour les Nord-Américaines, le fonctionnement est un peu différent : elles font beaucoup de stages et de camps qui génèrent plus de sélections. Mais pour quelqu’un comme Sherida Spitse, ça montre qu’elle a commencé jeune, qu’elle a été performante sur la durée, qu’elle a su éviter les blessures, bien gérer sa récupération, son hygiène de vie. Et surtout, il faut une vraie force mentale pour rester au plus haut niveau aussi longtemps. C’est une marque de professionnalisme, d’investissement. On ne distribue pas des sélections pour faire plaisir. Si tu es là, c’est parce que tu apportes quelque chose. Et ces joueuses sont un vrai modèle de constance pour les générations futures. »
À l’avenir, avec un réservoir plus large et des sélections qui évoluent, il faudra vraiment être au top sur la durée pour atteindre ces chiffres. Ce sera de plus en plus rare.
Les sélections à rallonge des footballeuses disent beaucoup sur le football féminin : un sport qui n’a pas encore sombré dans l’ultrarotation, la gestion chirurgicale des minutes et les intérêts divergents clubs/sélection. Un sport où les meilleurs jouent, tout le temps, le plus longtemps possible. « Plus le vivier sera large, plus il y aura de concurrence, et donc plus ce sera difficile de durer aussi longtemps en sélection, estime Bussaglia. Celles qui ont passé les 150 sélections, c’est soit parce qu’elles étaient exceptionnellement fortes, soit parce qu’il y avait moins de concurrence à un moment donné, ou qu’elles ont eu la chance d’éviter les blessures. Mais à l’avenir, avec un réservoir plus large et des sélections qui évoluent, il faudra vraiment être au top sur la durée pour atteindre ces chiffres. Ce sera de plus en plus rare. » Pour l’instant, les chiffres donnent parfois le vertige. Ils racontent surtout une chose : dans le foot féminin, quand on aime le maillot, on ne compte pas. Ou alors jusqu’à 300.
Monaco s'accroche à Manchester CityPar Evan Glomot
Propos d’Elise Bussaglia recueillis par EG