Euro 08 – Grèce : Otto persuasion
L'adhésion de ses troupes aux valeurs d'Otto Rehhagel les a menés à la victoire en 2004. Une nouvelle fois, c'est en écoutant ce dernier que les Grecs pourraient bien figurer à l'Euro. Si, trop confiants, ils n'en font au contraire qu'à leur tête, ils se ramasseront.
Tout est possible dans le football, surtout l’improbable. La Grèce est championne d’Europe en titre, et pourrait même, pourquoi pas après tout, faire le doublé. Il ne faut jamais sous-estimer le cœur d’un champion. Tout le monde prétendait depuis au moins quinze ans qu’il n’y avait plus de petites équipes, mais, au fond, personne n’y croyait vraiment. Et, malgré cette victoire grecque, personne n’y croit encore.
À nouveau, les qualités des Grecs sont jugées insuffisantes, leurs individualités pas assez clinquantes et leur jeu trop naze. Sauf que ce n’est heureusement pas si simple. Le football, malgré tous les efforts de certains, reste un sport d’équipe dans lequel si tout n’est pas forcément possible, le risque que ce ne soit pas forcément la meilleure, pardon, la plus riche des deux équipes qui l’emporte, est encore assez important. Comme l’a prouvé cette équipe de Grèce, solidaire et combative.
Démocrate. Son état d’esprit collectif est venu compenser ses présumées lacunes individuelles. Ainsi, et ce n’est pas qu’un hasard, la Grèce a dans l’ordre couché le Portugal, l’Espagne, la France, la République tchèque et le Portugal à nouveau, quatre formations particulièrement bien dotées en individualités, quatre formations incapables de faire la différence face au bloc sculpté par Otto Rehhagel. Une équipe solide, sobre, un peu austère, à l’Allemande comme son chef, serait-on tenté de dire. Mais surtout dans la tradition de la démocratie antique.
Le roi Otto a rétabli l’autorité du sélectionneur en même temps que le respect des joueurs pour la sélection, selon un principe qui rappelle là encore l’un des fondements de la démocratie athénienne, l’autochnie : « Une bonne terre produit des bons hommes » . D’autres qualités propres à son équipe sont issues de cette époque, comme la solidarité ou une organisation tactique intelligente. La Grèce s’est adaptée à ses adversaires. Aucune ne l’étant dans l’absolu, sa pertinence ne peut exister que par rapport à l’adversaire et aux qualités spécifiques d’une équipe. Toutefois, la Grèce n’est pas un catenaccio des plus réducteurs ; les remontées de balle sont souvent agréables à voir, propres et techniques, collectives et mouvementées, intelligentes et décisives.
Dans le même ordre d’idée, le technicien allemand a imposé le marquage individuel à ses joueurs, avec un libéro décroché derrière deux stoppeurs, technique qui s’est avérée d’une redoutable efficacité face à des équipes qui en avaient presque oublié le concept, l’indiv’ était en effet tombée en totale désuétude. Ici, pour prolonger le rapport à la démocratie athénienne, on peut penser à l’éphébie, une formation militaire et civique suivie par les jeunes Grecs de 18 à 20 ans qui permet à la cité d’assurer sa défense sans avoir d’armée permanente ; elle prémunissait aussi la ville des risques de tyrannie.
Otto Rehhagel a ainsi persuadé ses joueurs de suivre les préceptes de sa philosophie, « une discipline, une foi, un sens collectif qui vire au sens du sacrifice » . La Grèce antique n’est pas loin, même si on est plus proche de Beckenbauer que de Socrate, le joueur brésilien. « Le football moderne, c’est celui qui gagne » , avait ironisé le sélectionneur avant la finale…
L’équipe de Grèce s’est donc installée sur le toit de l’Europe en suivant des principes issus tout droit de son antique démocratie. Mieux, elle pourrait tomber de la même manière, en se montrant trop sûre d’elle, en ne se souciant plus de ce qu’il se passe en dehors de ses frontières, en voulant imposer son jeu. D’autant que cette fois, tout le monde, peuplé de barbares, va les attendre et sait comment les jouer. Il suffit de les laisser sortir. Alors, cela pourrait être une sacrée purge si les Grecs résistaient à la tentation et suivaient les consignes jusqu’au bout. Sauf que, les Grecs considèrent avoir une bonne équipe, meilleure qu’en 2004. Du coup, ce sera plus dur pour Otto de les gérer, il devra à nouveau les persuader de l’efficacité de ses valeurs démocrates, antiques. D’un autre âge. Si ses sbires font l’erreur de se découvrir un peu, voire de jouer au football, ils vont être reçus. A ce jeu-là, s’ils touchaient leur bille, ça se saurait.
Alors pourvu que l’Otto persuasion fasse à nouveau effet, pour la démocratie et surtout pour la rigolade. Ce serait quand même vachement marrant si la Grèce gagnait deux Euros de suite.
Simon Capelli Welter
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