- Tour de France
Élie Baup : « Pédaler à la montagne, il n’y a rien de mieux »
Élie Baup n’a jamais caché son amour pour le Tour de France. L’ancien entraîneur de l’OM, champion de France 1999 avec Bordeaux et aujourd’hui à la tête d’une section VTT en Occitanie, se livre à cœur ouvert sur cette grand-messe de juillet.

Enfant, vous disiez aimer autant le vélo que le football. D’où vient cette passion ? Je suis né dans les Pyrénées, fils d’agriculteur, c’était difficile d’aller voir du foot. L’équipe la plus proche, c’était les Girondins de Bordeaux, mais à cette époque, ils n’avaient pas une super équipe. Le Tour de France, lui, venait à nous. Il y avait des grands champions médiatisés qu’on voyait à la télé, et ça, ça compte quand on est enfant. C’était sublimé par les journaux, les radios, les télés… Chaque année, je partais avec mes parents qui ont été les premiers à me faire découvrir le Tour, et puis un peu plus tard, j’y allais avec des copains du village. On allait dans un col ou à l’arrivée pour voir les coureurs, on débriefait les étapes le soir, c’était génial.
Quels étaient vos coureurs favoris quand vous étiez jeune ? Eddy Merckx a été le premier grand champion que j’ai vu de mes propres yeux, mais les histoires d’Anquetil ou Poulidor étaient également très connues. Mais j’étais trop petit pour voir les grands champions français. J’aimais la course, tout simplement.
Une fois, j’étais dans une voiture du Tour et je vois un mec tomber dans les barbelés, c’était un carnage. On se dit parfois que c’est surhumain.
Que représente pour vous le Tour de France ? Quand on était jeune, ça rimait avec l’été. Plus tard dans la peau du coach, c’était la période la moins stressante puisque c’était en période de prépa, la saison n’avait pas encore commencé, c’était un plaisir de le regarder à chaque fois. C’est un événement incroyable : pour avoir côtoyé de près Christian Prudhomme et passé plusieurs étapes dans une voiture de directeur sportif, c’est vraiment impressionnant. Quand on voit le ravitaillement, les mécanos, la souffrance des sprinteurs en montagne et surtout le sacrifice des équipiers pour amener les leaders à perdre le moins de temps possible, moi ça me marque à chaque fois. Et bien sûr, je suis choqué des chutes. Une fois, j’étais dans une voiture du Tour et je vois un mec tomber dans les barbelés, c’était un carnage. On se dit parfois que c’est surhumain.
Pendant votre carrière d’entraîneur dans le football, vous arriviez à trouver du temps pour suivre le Tour ? Je n’ai jamais lâché le Tour. Ce qui tombait bien, c’est que c’était en période de préparation lorsqu’on coachait en pro. Dans ces périodes-là, j’essayais toujours de regarder les fins d’étapes, quitte à programmer les séances après. Quand j’entraînais Bordeaux, on se retrouvait en stage dans les Hautes-Alpes, là où les coureurs passaient. Ça m’est déjà arrivé d’emmener les joueurs voir l’étape. On avait même fait une partie du parcours le matin même, c’était vachement sympa.
Il y avait des joueurs avec qui vous discutiez cyclisme dans les clubs où vous êtes passés ? À Bordeaux, il y avait Pavon ou Laslandes qui étaient des passionnés. Pareil à Saint-Étienne où on discutait beaucoup avec des mecs comme Jérémie Janot ou Julien Sablé. Tous ces gars étaient des mordus de vélo.
Quel est votre regard sur le cyclisme actuel ? Je prends toujours autant de plaisir à regarder le Tour et je suis admiratif de la souffrance sportive, de cette abnégation et de ce travail technologique. Je connais bien Bruno Armirail (triple champion de France de contre-la-montre, NDLR) puisqu’il est de Bigorre comme moi. Lorsqu’il me parle de son travail en soufflerie, à chaque fois je suis impressionné. Rien que pour le Tour de France de l’an dernier, Bruno allait dormir au Pic du Midi, chez nous, et il redescendait pour s’entraîner la journée alors que sa femme était enceinte pour ensuite retourner se coucher tout seul là-haut. Quand tu vois des mecs faire des trucs incroyables, tout ça pour gagner quelques secondes, tu ne peux qu’être impressionné. C’est pareil pour la nutrition et la diététique, les gars font attention à tout, ils ont des années d’avance sur plein d’autres sports.
Qu’est-ce qui a changé par rapport à votre époque ? Aujourd’hui tout est quantifié, en fonction des efforts de la journée, on mange en conséquence, on vérifie tout. C’est plus dur d’approcher les coureurs, depuis le Covid et même avant, on craint davantage la contamination. Il y a une distance qui est de plus en plus mise entre le public et les coureurs. À mon époque, on allait à l’entrée des cars et on parlait avec les proches des coureurs, on claquait la bise avec Jalabert, Virenque, ils parlaient à la foule, saluaient le public. Ce n’était déjà plus trop le cas à l’époque de Bardet ou Pinot. Maintenant, il y a une forme de protection, notamment par rapport à la problématique virale.
On est champion du monde en 2018, finaliste en 2022… Il faut faire pareil avec le vélo. Il faut continuer à faire monter des jeunes et à les mettre en avant.
Quels sont les cyclistes français que vous suivez ? On parle notamment beaucoup de Paul Seixas pour les années à venir. Seixas est très bon, il se révèle, c’est impressionnant. Dans les prochaines années, il sera présent. Après, je me rends compte qu’il y a de moins en moins de Français qui prennent le départ du Tour. Il n’y en a que 38 cette année, alors qu’à une époque, la moitié du peloton était constituée de Français. L’école française est un peu plus limitée qu’avant. Si on compare avec le foot, la France est le deuxième exportateur de talents derrière le Brésil (elle est même passée première, NDLR). On est champion du monde en 2018, finaliste en 2022… Il faut faire pareil avec le vélo. Il faut continuer à faire monter des jeunes et à les mettre en avant.
Sur cette thématique, peut-on établir un parallèle entre les deux sports en matière de formation ? Tout à fait. Au foot, les DTN ont toujours mis en avant la formation, l’éducation, la préformation, c’est pareil en cyclisme avec AG2R quand Vincent Lavenu était encore manager ou Marc Madiot à la FDJ. En revanche, il faut faire attention au tournant pris depuis quelques années, que ce soit en cyclisme ou au foot, où des gros investisseurs arrivent avec comme objectif la rentabilité à tout prix. Typiquement, c’est ce qu’il s’est passé à l’OL, ils viennent de se maintenir, mais avant ça ne se passait pas comme ça. Ils s’en sortaient grâce à leur formation, ils vendaient des joueurs certes, mais ils les formaient avant tout. C’est exactement ce qu’il s’est passé avec Lavenu à AG2R. Son idée, c’était d’aller chercher des jeunes et de les faire progresser, pareil à la FDJ… Lenny Martinez est l’exemple parfait, je l’ai vu gagner, Lenny, et là, il part chez Bahreïn Victorious après avoir fait toutes ses classes en France. L’aspect financier a pris le pas sur tout. En ce moment, je suis sur la Ronde de l’Isard, dans les Pyrénées, c’est une course espoirs, et depuis quelques années, on voit de plus en plus d’équipes étrangères. Ce n’est pas étonnant.
Justement, vous avez fondé votre propre club de VTT, le Comminges VTT, en 2021. Et depuis plus de deux ans, vous êtes team manager des U17 et U19 d’une équipe de VTT en Occitanie, la formation vous manquait tant que ça ? Oui, puisque j’étais directeur de la formation pendant dix ans avant d’être entraîneur, je retrouve un peu ce qu’on faisait à l’époque mais de manière différente. Dans le vélo, il n’y a pas de centre mais des pôles espoirs. Par exemple au foot, toutes les régions ont un centre de formation. Au vélo, il y a trois ou quatre centres en France. Ce que j’essaie de faire, c’est d’apporter des valeurs éducatives, de les faire sortir d’une forme de sédentarité aussi, leur permettre de quitter leur téléphone… voilà, leur donner le goût de l’effort, d’avoir un équilibre sans en faire des champions forcément. Je le fais pour permettre aux jeunes de se retrouver. Je m’implique aussi dans plein d’initiatives comme le « savoir rouler à vélo » ou des directives de transition écologique. Au-delà de l’éducateur, j’essaie aussi de faire apprendre des valeurs humaines. J’essaie de rencontrer le maximum de gens compétents comme des psychologues ou des préparateurs physiques qui peuvent m’accompagner dans l’éducation des jeunes, j’ai toujours essayé de faire ça, et le plaisir de vivre une vie dans le sport, ça passe par là. La solidarité, l’entraide, ce sont des choses qui résonnent en moi. Le sport revalorise l’élève, l’enfant, il accepte les différences, grâce au sport on crée du lien. Après, quand vous basculez de formateur à entraîneur pro, comme j’ai fait dans le football, il n’y a pas de retour en arrière. Si vous voulez refaire une carrière dans la formation, c’est pas la peine d’essayer. Les mecs te ferment la porte.
C’est en partie pour ça que vous avez basculé du foot au cyclisme ? Oui, et aussi parce qu’au VTT, il y avait cette notion de plein air qui me faisait du bien. Pédaler à la montagne, il n’y a rien de mieux. Si on est stressé, on prend le vélo et d’un coup tout s’envole : il y a ce lien avec la nature, avec l’effort physique, on se lâche totalement. D’ailleurs, dans les clubs où je suis passé, j’organisais des décrassages en vélo. Je leur faisais acheter des VTT et c’était parti, les gars aimaient bien ça en plus, ça sortait du cadre, c’était assez drôle. J’ai connu des joueurs qui ne savaient pas faire de vélo ! C’était moins traumatisant les lendemains de matchs, à chaque fois il y avait des chocs, un bobo à la cheville, un coup au genou, donc faire du vélo, ça dédramatisait le truc. J’ai même essayé la natation à Toulouse, au Stadium, là où s’entraînent les dauphins du TOEC, le club dans lequel est passé Léon Marchand. Il y avait une piscine en plein air chauffée toute l’année, mais là c’était encore plus compliqué que le vélo, donc j’ai arrêté.
Il n’y a pas de calculs, et les mecs du vélo ne se demandent pas pourquoi je suis là. Ils se disent que je les aide, que je suis passionné et c’est super.
Depuis tout à l’heure, vous parlez de votre carrière comme si c’était le passé, ça veut dire que votre vie dans le football est définitivement derrière vous ? Pas vraiment. Pour tout vous dire, j’ai voulu revenir à la formation, mais ça n’a pas marché. Même du côté de Marseille, j’ai essayé de revenir lors de l’époque Jacques-Henri Eyraud, j’avais demandé à plusieurs personnes s’il y avait un poste dans la formation. Ils étaient intéressés, mais ça ne s’est pas fait. Et c’est peut-être une erreur de ma part, mais je n’ai pas voulu retourner à la base des bases, c’est-à-dire dans un club amateur. Je voulais transmettre tout mon vécu dans un club pro, mais chez les jeunes. Sauf que j’ai tout de suite vu que ça en embêtait certains, les gens se sont dit « oulalala qu’est-ce que Baup vient faire là, qu’est-ce qu’il cherche, il vient déstabiliser l’équipe pro. » Alors c’est sûr, parfois on a l’étiquette de champion de France qui colle à la peau. J’ai fait plus de 120 matchs en Coupe d’Europe, y a les histoires de fric, de transferts, donc on se dit « qu’est-ce qu’il vient nous foutre le bordel celui-là. » C’est vraiment nul, quoi. On perd cette notion de proximité. Alors qu’à l’inverse, au vélo, les mecs ne se posent pas de question. Au contraire, c’est moi qui paye de ma poche les trajets, je suis bénévole à fond, je fais des déplacements de huit heures avec des jeunes pour aller à la Coupe de France, à Puy-Saint-Vincent, à Lons-le-Saunier… Il n’y a pas de calculs, et les mecs du vélo ne se demandent pas pourquoi je suis là. Ils se disent que je les aide, que je suis passionné et c’est super. Je rencontre des jeunes de partout, il y a un côté rafraîchissant. En tout cas moi, je ne cherche rien, je veux juste faire partager l’amour sportif et la passion du vélo, et c’est déjà très bien !
Pour terminer, un pronostic pour ce Tour 2025 ? (Rires.) Pour le vainqueur, Tadej Pogačar bien sûr. Il n’y a pas trop d’hésitation, mais j’aimerais bien voir Remco Evenepoel sur le podium parce qu’il vient du football ! Et puis si on peut glisser un petit Kévin Vauquelin… bon ça va être compliqué mais on ne sait jamais.
Tu seras un homme, mon SonPropos recueillis par Titouan Aniesa