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Edvin Murati : « Lorik Cana, c’est un vrai frère »

Propos recueillis par Romain Duchâteau
Edvin Murati : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Lorik Cana, c&rsquo;est un vrai frère<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Arrivé comme clandestin en 1991 dans l’Hexagone, Edvin Murati reste le premier Albanais à avoir évolué dans l’Hexagone. Désormais diplomate à l’ambassade albanaise en France, l’ex-Parisien et Lillois retrace un parcours singulier. Sans manquer d’évoquer l’entrée en lice dans l’Euro de la troupe actuelle menée par Lorik Cana.

Après une rupture des ligaments croisés qui vous a contraint à mettre un terme à votre carrière en 2007, vous êtes depuis 2011 conseiller économique honorifique à l’ambassade d’Albanie en France et avez fondé la chambre de commerce France-Albanie. Une nouvelle vie pour le moins radicalement différente…Je voulais mettre en contact les deux pays et œuvrer pour les relations France-Albanie. Je fais profiter de tous les contacts et de tout le réseau que j’ai afin d’aider au développement de mon pays. Je trouve ça intéressant, puis j’aime en général le contact avec les gens. Le football m’a permis de nouer de nombreuses relations. Quand on arrive à mettre en relation des personnes différentes et qui sont intéressées, c’est super. Parce que l’Albanie a été un pays communiste, donc ça n’a pas toujours été évident. C’est un pays qui commence à se développer, ça progresse énormément.

Est-ce parce que vous avez passé la majorité de votre parcours dans l’Hexagone que vous êtes resté si attaché à la France ?Oui, évidemment. Je vis en Île-de-France, j’adore Paris. Ma femme est française. J’ai beaucoup d’amis et je me suis installé ici pour faire le pont entre l’Albanie et la France. Pourquoi j’aime la France ? Qu’est-ce que vous n’avez pas ici, hein ? (rires) Vous avez tout. Même s’il y a beaucoup de manifestations, de grèves. La France a tout. Même si tu as envie de mourir, la France te laissera mourir. (rires)

Si de nombreux Albanais sont passés en France (Cana, Lenjani, Aliaj, Zmijani, Vata, Marra), vous avez été le premier joueur albanais à ouvrir la voie. Mais dans des circonstances singulières, puisque vous avez débarqué, à quinze ans, en tant que clandestin dans le coffre d’une voiture en 1991…C’est sûr que ce n’était pas une arrivée normale. À l’époque, mon frère était à Paris. Il m’avait dit qu’il pouvait me donner la possibilité d’effectuer un essai au Paris Saint-Germain, mais il fallait trouver les moyens pour venir. On ne pouvait pas avoir de visa parce que tout était fermé. Je suis parti à un match de Coupe d’Europe avec l’équipe du Partizan Tirana aux Pays-Bas. Arrivé là-bas, j’ai passé la frontière à pied, puis j’étais ensuite dans le coffre d’une voiture afin d’aller en Allemagne. Puis je suis entré en France après avoir marché en forêt durant plus de trente kilomètres pour éviter la douane. J’abrège hein, car sinon on en a pour dix ans. (rires) Quand je suis arrivé à Paris, j’ai fait les tests et j’ai été pris. Mais à l’époque, c’était très compliqué de faire sa place, parce qu’il n’y avait que trois joueurs extra-communautaires qui pouvaient jouer. Il y avait des grands joueurs comme Weah, Raí, Ricardo, Leonardo. Juridiquement, on va dire que c’était compliqué de faire sa place.

Vous parvenez donc à intégrer les catégories de jeunes du PSG. Sauf que l’acclimatation dans ce nouveau pays n’est pas évidente pour vous…Ah oui ! Je ne comprenais rien, je n’étais pas dans mon pays.

Pour mon premier jour au PSG, à 15 ans, pour aller Camp des Loges, j’étais complètement perdu ! J’avais même pris un taxi et j’étais parti en courant parce que je n’avais rien pour payer. (rires)

Le premier jour, mon frère me dépose au Camp des Loges et me dit : « Maintenant, débrouille-toi ! » De chez lui, il fallait prendre le bus, le RER, changer à Châtelet, revenir à Saint-Germain-en-Laye, prendre le bus et marcher. À quinze ans, j’étais complètement perdu ! Et pour vous dire la vérité, j’avais pris un taxi le premier jour et j’étais parti en courant parce que je n’avais rien pour payer. (rires) Au début, j’ai eu aussi du mal avec la langue française, ce qui est normal, car je ne comprenais rien. Mais comme j’ai bien été accueilli au PSG, il n’y a pas eu de problème pour l’apprendre. Je suivais des cours le matin et le soir, donc ça allait.

En octobre 1994, à dix-sept ans, vous disputez votre premier match comme pro avec le PSG à l’occasion d’un match amical contre le Real Madrid. Sur la pelouse de Santagio Bernabéu, vos coéquipiers sont Weah, Raí ou encore Valdo. Qu’est-ce que vous avez ressenti ce jour-là ?En fait, à l’époque, Luis Fernandez s’engueulait tout le temps avec David Ginola. (rires) Alors, ce jour-là, comme ils venaient encore de s’engueuler, Luis Fernandez m’a dit : « Edvin, vas-y, tu vas jouer ! » En quatre-vingts minutes sur le terrain, j’ai dû toucher le ballon deux fois. Je n’avais jamais autant couru dans ma vie. Puis, en face, il y avait une grosse équipe du Real Madrid : Laudrup, Míchel, Redondo, Sanchís, etc. J’ai failli tomber dans les pommes. (rires)

En 1999-2000, après plusieurs prêts (Châteauroux, Stade briochin, Fortuna Düsseldorf), vous connaissez votre saison la plus aboutie aux côtés de Benarbia, Robert et Okocha…Le joueur qui m’a vraiment marqué, c’est Jay-Jay Okocha. Il était trop fort, c’était un joueur complet. Quand il avait envie, il faisait ce qu’il voulait. Il avait tout : détente, Vo2, sprint, puissance, frappe, technique. Tout, il avait tout. Avec lui, tout paraissait facile. Et en plus, c’était un super mec…

Trois ans plus tôt, vous obteniez la double nationalité. Devenir un citoyen français à part entière, c’était une fierté pour vous ?Ça m’a déjà permis de payer des impôts, mais aussi les amendes et les PV. (rires) Je plaisante, évidemment. Je l’avais demandée. La France m’avait accueilli, donc je lui étais reconnaissant. J’étais arrivé en tant que réfugié politique. Je n’avais pas de papiers et de situation stable. Comme on pouvait se permettre d’avoir la double nationalité et de jouer en équipe nationale, je l’ai fait. Sur le plan matériel, cela m’a notamment beaucoup aidé d’avoir les papiers français. C’était une fierté pour moi. Mais la première fois que j’avais fait la demande, cela avait été refusé. Je me souviens avoir été dans le bureau de Thierry Morin, ancien directeur du centre de formation du PSG, et j’avais commencé à pleurer.

Avec Coach Vahid, on s’est engueulé plusieurs fois. Mais j’ai beaucoup progressé avec lui. C’est quelqu’un de sérieux, proche des joueurs.

En France, il y a aussi eu un passage à Lille (2000-2002) avec Vahid Halilhodžić, un personnage haut en couleur…Avec Coach Vahid, on s’est engueulé plusieurs fois. Une fois, c’était parce que je devais aller en sélection avec l’Albanie parce qu’on jouait l’Angleterre et l’Allemagne, deux matchs qui étaient répartis sur trois jours. Pour un joueur d’un petit pays comme l’Albanie, cela arrive peut-être qu’une seule fois dans une vie. Et Vahid m’avait dit : « Tu n’y vas pas ! » Mais, légalement, c’est l’UEFA qui décide, donc j’ai pu y aller. Sinon, on a passé des bons moments. J’ai beaucoup progressé avec lui. C’est quelqu’un de sérieux, proche des joueurs. C’est Vahid, tout le monde connaît Vahid !

Vos plus grandes émotions, vous les avez toutefois vécues en équipe nationale avec l’Albanie. Au cours de vos 42 sélections, il y a d’abord eu ce coup franc de trente mètres face à la Suisse en 2002…Il faut tout de même rappeler que j’ai fait exprès, hein ! (rires) Parce qu’il y a des gens qui croient que je n’ai fait pas exprès de marquer ce but. Ça fait plaisir qu’on se souvienne de ce but et qu’on m’en reparle. Quand je vais en Albanie, les gens s’en rappellent donc ça me touche. J’ai toujours été réglo avec mes partenaires, j’ai toujours tout donné sur le terrain et je pense que c’est ce qui fait qu’on m’aimait.


Puis l’acmé de votre carrière intervient deux ans plus tard quand vous évoluez à Thessalonique et que vous marquez face au champion d’Europe grec (2-1) dans une atmosphère enfiévrée.La Grèce venait juste d’être championne d’Europe en 2004. Je me souviens qu’il y avait des pancartes dans la rue : « Ce n’est pas le Portugal ici. » C’était assez marrant. (rires) J’ai marqué, c’était un coup de chance et c’est arrivé au bon moment. Ce n’était que du bonheur.


La région des Balkans reste encore aujourd’hui le théâtre de vives tensions nationalistes comme l’a prouvé le match interrompu entre l’Albanie et la Serbie en octobre 2014. Quel regard avez-vous porté sur ce grave incident ?Le foot doit rester du foot. La politique n’a rien à faire dans le sport. Dans le foot, il y a la notion de fair-play et les joueurs doivent donner le maximum. Il ne faut pas jeter de l’huile sur le feu, car beaucoup de gamins regardent les matchs. Il y a déjà assez de problème comme ça… Un match de foot doit rester un match de foot. C’est tout. Mais il faut quand même dire que le TAS (Tribunal arbitral du sport, ndlr) nous a donné raison, même si on est un tout petit pays.

La France a sur le banc des joueurs comme Coman et Martial, Payet met des coups francs et Giroud commence à marquer. Mettez-vous dans la peau du sélectionneur de l’Albanie…(rires)

On a vu lors du premier match de la « Shqipëri » face à la Suisse qu’émanait du public albanais une passion cocardière fièrement revendiquée et symbolisée par l’hymne national « Hymni i Flamurit » . Ce soutien indéfectible derrière son équipe, cela a toujours fait partie de l’ADN de l’Albanie ? Oui, ça se voit encore davantage ici parce qu’on s’est qualifiés pour l’Euro. C’est la première fois de notre histoire. On a pu voir que les trois quarts du stade étaient remplis de maillots albanais. Les supporters sont excités et surtout fiers de porter le maillot de leur pays. Tous les supporters sont derrière l’équipe, ça touche beaucoup. Souvent, on parle de choses négatives sur l’Albanie. Cette compétition est l’occasion de montrer quelque chose de positif. Il faut en profiter et bien se comporter.

Quelle analyse faites-vous sur le premier match perdu contre la Suisse (0-1) ?J’étais au stade, donc j’ai bien pu voir. Le but vient d’une faute technique sur corner. Ça peut arriver, mais au haut niveau, ça ne pardonne pas. Et c’est comme ça que la Suisse remporte le match. On n’a pas d’expérience, c’est la première fois qu’on dispute une grande compétition. Ça viendra avec le temps. Il faut rester humble. On est une petite équipe, il faut garder les pieds sur terre. La Suisse a disputé le dernier Mondial et compte plus de joueurs dans des bons clubs européens. Ce qu’il faut retenir, c’est que l’équipe a mouillé le maillot et que c’était un beau match à voir.

L’Albanie a affiché ses limites, mais aussi affiché un visage combatif à travers des individualités intéressantes comme Hysaj, Roshi ou Sadiku.Il y a de bons petits joueurs qui sont maintenant formés en Europe. Le potentiel est là dans cette équipe. L’Albanie joue désormais sans complexe d’infériorité, c’est ce qui est bien. L’entraîneur et le président l’ont d’ailleurs dit : « Jouez, prenez du plaisir. On s’est qualifiés pour l’Euro, c’est déjà réussi pour nous. Il faut être relâché. » On l’a vu puisqu’on a continué de jouer même à dix.

Justement, l’absence du capitaine Lorik Cana (expulsé contre la Suisse), dont le sélectionneur Gianni De Biasi dit qu’il « a le maillot cousu sur le corps » et qui fait office de guide pour ses partenaires, ne risque-t-elle pas d’être préjudiciable contre les Bleus ? Forcément. Lorik, c’est notre capitaine. Il a beaucoup fait pour l’équipe nationale. Il a toujours eu un état d’esprit remarquable. On n’a rien à lui reprocher. Il a tellement donné pour l’équipe qu’il faut le remercier. C’est un vrai frère. On est déçus pour lui qu’il ne puisse pas participer au match contre la France. Parce qu’il a joué à l’OM en plus. Et, en fin de carrière, un match France-Albanie à Marseille, ça aurait été juste super pour lui… Mais bon, c’est le football.

Il y a un an, l’Albanie surprenait les Bleus lors d’un match amical (1-0). Pour la rencontre ce mercredi soir opposant votre pays natal et votre pays d’adoption, quel est votre pronostic ?Oulalala… Je ne suis pas bon en pronostic. J’espère juste qu’on ne va pas prendre de taule. (rires) La France a sur le banc des joueurs comme Coman et Martial, Payet qui met des coups francs et Giroud qui commence à marquer. Donc, qu’est-ce que vous voulez faire ? Mettez-vous dans la peau du sélectionneur de l’Albanie. (rires) Ce n’est pas évident. Mais bon, on ne sait jamais. Peut-être qu’on va faire comme le Sénégal en 2002, qui sait…

Alban Selami : « J’ai vendu mes maillots dans 35 pays différents »
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Propos recueillis par Romain Duchâteau

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