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Djibril Cissé : « Si on m’appelle à 60 ans pour jouer en Ligue 1, je serai là »
Ce mardi soir, Djibril Cissé disputera son jubilé sur la pelouse du stade de l’Abbé-Deschamps (coup d’envoi 21h15, diffusion sur La Chaîne L’Équipe) en compagnie de plus de 50 potes qui ont jalonné son parcours. Une nouvelle manière de rendre hommage au club où tout a commencé pour l’ancien attaquant français qui a placé ce match de gala sous le signe de l’amitié.

Quand on organise un jubilé, c’est généralement pour annoncer qu’on ne rechaussera officiellement plus jamais les crampons. Faut-il comprendre que tu as fait une croix sur la barre des 100 buts marqués en Ligue 1 ?
Non, ce ne sera jamais mort et enterré ! Au cours de ma carrière, j’ai fait plein de trucs qui n’allaient pas ensemble : DJ et footballeur, acteur et footballeur… et je m’en suis à chaque fois plutôt bien sorti. Aujourd’hui, j’organise mon jubilé, mais dans ma tête, l’objectif des 100 buts est toujours présent. Mentalement, ça me dérange d’être si près du but et de ne pas pouvoir l’accomplir, parce qu’au total, j’en mets 70 à Auxerre, 24 à Marseille et 2 à Bastia. Ça fait 96. Il m’aurait donc fallu juste quelques mois de plus pour y parvenir…
Pourquoi ce chiffre est-il si important ?
Déjà parce que peu de joueurs l’ont atteint. Je pense à Kevin Gameiro, Mamad’ Niang, Bafé Gomis… Et surtout, peu de joueurs l’ont atteint en si peu de matchs. En fin de compte, je n’ai pas joué si longtemps en France au cours de ma carrière. Si on prend l’exemple d’Alex (Lacazette), il est à 201 buts (toutes compétitions confondues, dont 161 en Ligue 1, NDLR) mais avec cinq ou six saisons complètes de plus que moi.
En tant qu’entraîneur des attaquants de l’AJ Auxerre, tu n’aurais pas pu négocier une petite licence et rentrer pour tirer quatre penaltys une fois que le maintien était acquis ?
Honnêtement, j’y ai pensé. On peut jouer en pro avec une licence amateur, mais… (Il hésite.) Si l’idée ne vient pas du club, c’est compliqué de l’imposer soi-même. En tout cas, j’étais prêt à le faire gratuitement, ce n’est pas une histoire d’argent. Si à 60 ans, un coach m’appelle juste pour que je tire les penaltys, je serai là. Vu l’évolution du football, ce n’est d’ailleurs pas impossible, on imitera peut-être le football américain, où un joueur peut rentrer pour un geste spécifique avant de ressortir.
Quand je suis parti d’Auxerre, en 2004, hormis un tour d’honneur, je n’ai pas eu le sentiment d’avoir dit au revoir aux gens comme il le fallait.
C’est sûrement ce qui se passera lors de ton jubilé de ce mardi 27 mai à l’Abbé-Deschamps. Raconte-nous la genèse de ce projet.
Tout a commencé alors qu’on regardait le match de gala des Girondins de Bordeaux (organisé il y a un an pour commémorer les 100 ans du Parc Lescure, NDLR) avec Marc Las, le directeur de la rédaction de La Chaîne L’Équipe (où Djibril officie comme consultant depuis 5 ans, NDLR). Il m’a demandé : « Tiens au fait, tu l’as déjà organisé ton jubilé, toi ? » J’ai répondu non, et en 10 minutes, on a pris la décision de le faire. La chaîne était emballée pour le diffuser, je me suis chargé de composer le casting, et en fin de compte, il aura fallu moins d’un an pour voir le projet se réaliser. Je le vois comme une forme de remerciement à l’AJA. Quand je suis parti en 2004, hormis un tour d’honneur, je n’ai pas eu le sentiment d’avoir dit au revoir aux gens comme il le fallait. C’est pour ça que j’ai essayé de ramener des noms pas trop mal en guise de cadeau pour le public d’Auxerre, parce que c’est là que tout a commencé, même si mon talent et beaucoup de coachs que j’ai connus ont aussi joué un rôle ensuite.
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— AJ Auxerre (@AJA) May 21, 2025
Qui verra-t-on sur la pelouse ?
Du côté des Légendes de l’AJ Auxerre, d’abord des gars de ma génération : Boumsong, Kapo, Akalé, Tainio, Mexès… Revoir Philippe sur un terrain avec le maillot de l’AJA sur les épaules, c’est déjà une folie pour moi, mais si je me mets à la place des supporters… Il y aura aussi des joueurs plus anciens – Basile Boli, Corentin Martins, Moussa Saïb… – qui ont marqué le club et dont je sais que la présence fera plaisir au public.
Mais évidemment, pas avec les mêmes cannes qu’il y a 20 ou 30 ans.
C’est sûr, ce qui compte, c’est avant tout d’être ensemble ! J’ai eu Tainio au téléphone qui me disait, un peu gêné, qu’il pensait ne pas venir à cause d’une blessure. Je lui ai répondu qu’on s’en fout de la performance. On n’est pas en 2002, les gens ne s’attendent pas à voir les mêmes accélérations que je faisais quand j’avais 20 ans. Que tu veuilles jouer 5 minutes ou une mi-temps, peu importe, l’important, c’est de se retrouver et de faire le show.
C’est fou de se dire qu’on sautait par la fenêtre pour acheter des gâteaux et même pas pour aller en boîte !
En mode Harlem Globe Trotters.
Exactement. Ce sera un match à mon image, un peu fou. Si tu t’attends à deux fois 45 minutes à la fin, tu te trompes. Ce sera un format trois fois 30 minutes, avec concours de reprises de volées, un spectacle de danse et de chant de ma fille et des DJ sets avec Yann Müller, DJ Abdel et sûrement moi au milieu. Sans oublier d’autres surprises qui seront aussi à ma sauce.
Certains fans de foot, plus jeunes, t’identifient avant tout comme un joueur de Marseille. Tu aurais aussi pu organiser ton jubilé au Vélodrome.
Oui, d’autant plus qu’en tant qu’Arlésien, j’ai tendance à être plus marseillais de cœur. Mais je n’ai pas la prétention de remplir le Vélodrome, et un jubilé dans un stade à moitié plein, ce n’est pas beau visuellement, ça fait miskine le gars, personne n’est venu le voir. Et puis comme je l’ai dit, c’est à Auxerre que tout a commencé et que les gens ont découvert qui j’étais, donc la question ne s’est même pas posée.
Au sein de ce casting qui compte près de 50 noms, on retrouve quelques filles. Comment est venue l’idée de construire des équipes mixtes ?
Sans aller jusqu’à dire que je regarde tous les matchs, je suis le foot féminin depuis longtemps, au moins depuis l’époque de ma grande copine Marinette Pichon, et il mérite d’être davantage respecté et mis en lumière. C’est pour ça qu’il y aura par exemple Gaëtane Thiney, qui vient juste d’arrêter après une carrière exceptionnelle, mais aussi mon autre pote Julie Soyer et Charlotte Lorgeré, avec qui je bosse à L’Équipe. Côté AJA, on aura la capitaine des féminines Emma Faure, Joye Serrano-Mijan, avec le frère de laquelle j’ai joué en U15, et Pauline Vassard qui a été désignée par ses coéquipières. En gros, il fallait des gens avec lesquels j’ai au moins un lien amical, même si on n’a jamais joué ensemble.
Olivier Kapo, ton colocataire au centre de formation, nous racontait il y a quelques années que vous faisiez parfois le mur pour acheter des gâteaux au supermarché à côté du stade.
(Sourire.) C’est fou de se dire qu’on sautait par la fenêtre pour ça et même pas pour aller en boîte ! Les gens hallucinent quand on se raconte ce genre d’anecdotes aujourd’hui ! Évidemment, on n’allait pas se faire virer du centre pour ça, ç’aurait été impossible à justifier, on ne s’était quand même pas fait ramener par la police après avoir fait une grosse dinguerie. Au pire, on risquait juste de se faire confisquer le paquet et on prenait une amende de quelques francs, pour l’exemple.
C’est ce genre de petites bêtises d’ado qui contribuent à forger une amitié qui dure ?
C’est clair. Faire des conneries ça crée un lien, surtout quand on réussit derrière. Je crois aussi que se retrouver dans une ville comme Auxerre qui n’a rien à voir avec notre environnement de départ, ça aide pour se serrer les coudes, surtout quand c’est la première fois que tu commences à manger du foot matin, midi et soir.
Lilian Thuram était très dur avec moi physiquement, il me mettait de ces tacles… Au point que Zizou a dû lui dire de lever le pied à l’entraînement.
Paradoxalement, le foot vous met aussi en concurrence permanente. Comment faire en sorte que ça ne vienne pas briser une amitié ?
En centre de formation, les recruteurs sont intelligents, il n’y a pas beaucoup de joueurs au même poste. En tout cas, je ne me souviens pas d’un autre avant-centre pur dans l’équipe de ma génération. En revanche, à l’échelon pro, c’est différent, il faut vivre avec. Tu n’es pas obligé de faire ami-ami avec ton concurrent, mais il faut malgré tout assurer un minimum d’entente. Tout est une question de tempérament. Certains viennent à l’entraînement et repartent cordialement, mais sans rien dire. Moi, j’étais plutôt du genre à demander comment va la femme de l’un, comment vont les enfants de l’autre, à proposer qu’on aille manger ensemble… J’ai toujours voulu connaître l’humain derrière le footballeur parce que quand l’humain ne va pas bien, ça a des conséquences sur l’athlète derrière. On ne peut pas être un phénomène sur le terrain quand on a les couilles à l’envers.
Quand tu es convoqué pour la première fois en équipe de France, beaucoup de joueurs de la génération 1998 sont encore là. Tu es allé vers eux pour te faire des potes ou plutôt vers les gars de ta génération ?
La chance que j’ai eue, c’est que les anciens sont venus vers moi dès le stage de préparation pour le Mondial 2002 à Tignes. Vincent Candela, Frank Lebœuf, que j’appelle encore Papa, Christophe Dugarry, Liza, Sylvain Wiltord avec lequel ça a cliqué au bout de deux secondes… Tous m’ont pris comme un petit frère. Ils ne m’ont pas vu comme une menace, un petit con aux cheveux blonds avec plein de tatouages. Au contraire, ils ont tout fait pour me mettre dans les meilleures conditions et que je sois bon. J’ai eu de la chance, sans des gars comme ça, mon histoire en équipe de France aurait pu se terminer beaucoup plus rapidement. Le seul avec lequel ça a été compliqué au début, c’était Lilian Thuram.
Pourquoi ?
Il était très dur avec moi physiquement, il me mettait de ces tacles… Au point que Zizou a dû lui dire de lever le pied à l’entraînement. Le déclic est intervenu quand on a battu sa Juventus avec Liverpool en 2005. Il est venu me voir et m’a dit : « Je sais que j’ai été dur avec toi, mais c’était pour que tu comprennes à quel point le foot est compliqué. » Je pensais qu’il ne m’aimait pas parce que j’étais trop différent de lui, mais c’était juste pour m’endurcir.
Et aujourd’hui, alors que tu entraînes des joueurs qui ont parfois la moitié de ton âge, tu essaies de développer une amitié avec eux ou tu fais en sorte de maintenir une barrière ?
Je le vois autrement. Comme en équipe de France, on est davantage sur une relation petit frère grand frère. Je veux être accessible pour eux, ils peuvent m’appeler Djib’, ils peuvent me demander de leur récupérer un colis dans un magasin quand je suis à Paris, mais sur le terrain, ils doivent avoir peur du grand frère, comme moi j’ai peur du mien. Les excès de confiance sont autorisés avec un pote, pas avec un frère.
Dans le football moderne, les piges dans un club sont de plus en plus courtes. Ça ne doit pas non plus aider à construire des relations à long terme ?
Je n’ai que deux exemples où je savais que je n’allais pas rester longtemps : à Al-Gharafa et à Krasnodar, où je suis parti à chaque fois après six mois (en 2013, NDLR). Mais même si on ne se voit qu’une semaine, je vais faire en sorte que ce soit une semaine cool. Après, on peut toujours rester en contact, tout dépend de la personne. Harry Kewell (qu’il a croisé à Liverpool et au Qatar, NDLR) m’appelle à chaque fois qu’il est à Paris par exemple. Une amitié après-football est possible à partir du moment où on entreprend la démarche de l’entretenir.
Quelle serait ta définition personnelle de l’amitié ?
Un ami, c’est quelqu’un qui sera à tes côtés quand tu as une période de moins bien. Quelqu’un qui t’aidera à trouver une solution quand tu as un problème. Quelqu’un qui ne te laissera pas tomber.
Du coup, Steven Gerrard qui a décommandé sa venue à l’Abbé-Deschamps il y a quelques jours n’est pas un vrai pote ?
Nooon, parce que je sais que c’est pour des raisons professionnelles (l’ancien capitaine des Reds est pressenti pour reprendre le banc des Glasgow Rangers, NDLR). En plus, il a pris le temps de prendre son téléphone pour m’appeler et me le dire directement alors qu’il aurait pu demander à son assistante de s’en charger.
Malheureusement,pour raisons professionnelles, Steven Gerrard vient de m annoncer qu’il ne pourrait pas honorer sa présence pour mon jubilé le mardi 27 mai prochain Ma déception est grande mais mon respect pour mon capitaine passe au dessus de tout . Partie 1 pic.twitter.com/NPPjL8z8Gd
— Djibril Cisse (@DjibrilCisse) May 20, 2025
Les autres milieux dans lesquels tu gravites, à savoir la mode et la musique, sont-ils plus propices à se faire des amis que le foot ?
Bonne question. Je pense que c’est pire parce qu’au moins, dans le foot, on peut modifier un système de jeu pour contenter deux personnes. OK, il y a un avant-centre qui est meilleur que toi, mais je vais te faire jouer à droite. Dans la musique et la mode, c’est toujours ou l’un, ou l’autre. Ou bien David Guetta, ou bien DJ Snake, mais pas les deux en même temps sur scène.
Où as-tu rencontré tes vrais amis en fin de compte ?
Mes potes les plus proches viennent d’en dehors du foot. Farid, mon manager, en fait partie, Matt Pokora aussi.
Matt Pokora qui sera le seul nom hors foot à être présent sur la pelouse. Pourquoi ?
Parce que malgré le côté gala, je voulais que ça reste un peu sérieux, que les participants aient un minimum de ballon. Les gens ont d’abord payé pour voir un match, qui se jouera certes à notre vitesse, et quelques surprises, pas l’inverse.
Jean-Alain Boumsong de retour à AuxerrePropos recueillis par Julien Duez et Célien Vauthier