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Les milles et une images de Cyrine Gane

Par Hugo Geraldo, avec Alexis Rey-Millet
9 minutes

À 24 ans, Cyrine Gane évolue à la frontière de plusieurs univers. Joueuse de futsal à Bondy, créatrice de contenu, impliquée dans des projets sociaux et humanitaires : elle trace sa route, mais en assumant ce qu’elle représente.

Les milles et une images de Cyrine Gane

Comme beaucoup d’enfants de son âge, Cyrine n’a pas autant aimé d’autres maillots que celui de Zinédine Zidane. Qu’importe s’il était trop grand et qu’il appartenait d’abord à son frère : c’est celui qu’on lui a offert pour ses neuf ans. Des années plus tard, ledit maillot est mieux ajusté mais surtout, la jeune femme se retrouve aujourd’hui à collaborer avec son idole de jeunesse lors d’événements organisés par leur sponsor commun, adidas.

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En effet, il n’est pas rare de croiser la joueuse de futsal de 24 ans, crampons aux pieds et foulard sur la tête, dans un clip promotionnel ou des matchs caritatifs. Ceci n’a rien d’une finalité, c’est juste une étape dans un parcours construit par le travail et une manière très personnelle d’utiliser sa passion comme outil d’engagement et de transmission.

Chabal, TDAH et suspension

Pour s’en rendre compte, il fallait être là, les samedis à Saint-Jean-de-Braye, dans l’agglomération d’Orléans : des matchs, une buvette qui tourne et des coéquipiers qui scandent le nom « Chabal ». Un peu incongru lors d’un match de foot. Ce fameux « Chabal », c’était Cyrine Boumnijel, milieu de la SMOC, le club local, qui prend un malin plaisir à foncer dans ses adversaires comme on se jetterait dans un ruck. Une chose est sûre : à 6 ans comme aujourd’hui, elle ne s’excusera jamais d’être « brute ». Parce que cette passion, chez les siens, se transmet justement comme dans une course de relais : dans le mouvement. « Mon grand frère a joué jusqu’en N3 et tout le reste de ma famille est dans le foot, sourit-elle. Moi ? Je n’ai pas de personnalité, tout ce qu’a fait mon frère, je l’ai fait ». Et cela ne se limite pas au rectangle vert : petite, Cyrine enchaînait les vacances d’été à Marseille. Submergée par la passion de l’OM de sa mère, elle l’assistait dans la préparation des tifos destinés à habiller le virage sud du Vélodrome.

Scolairement, c’est plus compliqué. TDAH, dyslexie, difficulté à se concentrer sur un texte. À l’école, Cyrine masque ses fragilités par l’agitation, les bêtises, les exclusions. Jusqu’au jour où le foot rebat toutes les cartes. Quand elle entre en section sportive au collège, se tape des entraînement tous les après-midis, et s’impose un contrat moral simple : « Si je travaille, j’ai le droit d’aller à l’entraînement ». Tout s’aligne : elle devient même déléguée de sa classe. Le sport ne lui sert pas seulement à s’échapper : c’est son outil pour tenir dans un système qui n’a pas été pensé pour elle.

Tout n’est pas linéaire pour autant. À 16 ans, alors qu’elle évolue à l’US Orléans, elle remet toute sa vie en question : accusée d’avoir bousculé un arbitre dans le tunnel lors d’un match, elle écope d’une suspension d’un an et demi. Le foot était sa structure, son repère, son identité. On le lui retire d’un coup. Elle reprendra plus tard en U19 national, mais la passion n’y est plus. Elle le dit sans amertume aujourd’hui : « On m’a enlevé mon monde. » C’est sans le savoir que grâce à ce vide-là que se prépare l’arrivée d’une autre version d’elle-même.

Le futsal, ce parquet cadeau

La bascule se fait à Paris en 2021, presque par hasard. Cyrine vient pour le travail : elle est embauchée comme aide sociale auprès de personnes en situation de handicap. Elle dort sur place, enchaîne les journées, découvre un milieu où chaque jour est différent, où la « gestion de crise » est la norme. Elle s’y retrouve : elle a besoin de mouvement, d’adrénaline, d’utilité concrète. Pour ce qui est du foot, c’est de l’histoire ancienne. Le poids de forme n’est plus présent, elle le sait, ce qu’elle veut, c’est juste faire du sport pour se dépenser.

Quand j’ai vu à quel point j’avais grossi, je ne pouvais pas rester comme ça.

Cyrine Gane

On lui parle de futsal. Elle accepte sans se douter que la flamme va se raviver. Un endroit où on lui demandera de réfléchir plus vite au lieu de courir plus longtemps. Premier entraînement : elle kiffe. Deuxième entraînement : pareil. Très vite, un match amical. Le match est filmé. Dans sa tête, elle vient de livrer une masterclass. Elle réclame les images, excitée. Sur l’écran, pourtant, ce n’est pas le niveau de jeu qu’elle voit en premier. C’est elle, son corps, son poids, son allure. Face à une  capture d’écran, elle se résout à changer cette image. « Quand j’ai vu à quel point j’avais grossi, je ne pouvais pas rester comme ça. Un mois plus tard, j’avais perdu quinze kilos ». Le reste suivra : réathlétisation, reprise de confiance, puis cette phrase qu’elle répète aujourd’hui avec calme : « Je ne suis plus passionnée par le foot à onze mais par le futsal. » C’est d’ailleurs ce sport qui lui a ouvert les portes de la capitale. Ou plutôt celles du 93 et Bondy, berceau de Kylian Mbappé ou bien de William Saliba.

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La native d’Orléans a trouvé sa deuxième famille. Le Bondy Cécifoot n’est pas un club comme les autres. Tout le monde peut y trouver refuge : section non-voyants (B1), malvoyants (B2-B3), futsal féminin, futsal masculin, école de foot pour enfants déficients visuels. Un club où la norme, c’est la différence. Cyrine retrouve tout ce qui l’anime. Lorsqu’elle raconte son premier match sur le banc aux côtés de Thiam, un joueur non-voyant, on comprend pourquoi elle s’y sent aussi bien. « Il commentait chaque à action, il arrivait à savoir ce qu’il se passait alors que j’étais incapable d’analyser le match comme ça. Maintenant, je vais le voir à la mi-temps de tous mes matchs, on débriefe, c’est devenu une habitude. »

Bonne Gamine

Portée par ce nouvel élan, Cyrine est alors une autre personne, au point de se faire appeler différemment. Au boulot, ses collègues l’ont surnommée « Cyrine Gane », comme le combattant UFC Ciryl Gane. Bien que dure au mal, elle laisse courir et finit par s’approprier le pseudonyme. Parce que ça la fait rire, aussi parce qu’elle admire le calme, la discipline et la mentalité de « Bon Gamin ». Boumnijel reste sur les papiers, Gane émerge sur les réseaux sociaux, univers dans lequel elle se lance sans véritable plan, sans storytelling.

La notoriété, elle ne l’a jamais vraiment cherché, elle s’en méfie même. Pourtant, elle a conscience que ça peut être un outil plutôt efficace. « Je préfère le terme créatrice de contenu. J’essaie de faire ce que j’aimerais voir. » Ce qu’elle aime montrer dépasse le terrain : raconter le contexte, montrer l’envers du décor, partager ce qui a du sens. « J’aime bien expliquer ce qu’il y a autour, pas juste le match. » Que ce soit des vlogs de match, les coulisses et même ses routines avant chaque rencontres.

C’est un exemple très positif. Elle représente la femme d’aujourd’hui : talentueuse, diverse, engagée.

Bernard Messi, co-fondateur d’Impulstar

C’est seulement plus tard qu’on prend la mesure de son potentiel, comme a pu le faire Bernard Messi, co-fondateur du plus grand tournoi de street qui se fait à l’échelle mondial, Impulstar. À la recherche d’égérie de taille pour ses futurs événements, son équipe et lui la repère d’abord sur les réseaux. Il s’en souvient très clairement : « Une fille aussi habile, aussi juste dans le jeu, ça faisait longtemps que je n’avais pas vu ça en dehors du monde pro », décrit  Narbé. Son niveau m’a bluffé. » Puis il découvre « tout ce qu’elle a autour d’elle » : l’énergie, la diversité de ses contenus, son engagement social, sa capacité à parler aux plus jeunes, aux quartiers, aux filles, dont celles qui portent le voile. « C’est un exemple très positif. Elle représente la femme d’aujourd’hui : talentueuse, diverse, engagée. »

Élever la voix, pour elle et les autres

Ce voile qu’elle porte au quotidien, c’est peut-être un détail pour elle, mais pour d’autres ça veut dire beaucoup, dans un sport oùil proscrit. La Fédération française de football interdit le port de signes religieux visibles en compétition, une position qui ne reflète pas les normes internationales de la FIFA, qui autorise le voile dès lors qu’il ne présente aucun danger. Si Cyrine joue aujourd’hui avec un casque, à la manière de Petr Čech, c’est à la suite d’une commotion subie lors d’un match, qui a rendu indispensable une protection spécifique. Une autorisation médicale en atteste et lui permet, par ricochet, de rester sur le terrain tout en respectant ses convictions personnelles. Les lois pourront évoluer, mais pas du jour au lendemain. Lors d’une rencontre entre son équipe de Bondy et le Sporting Paris, une réserve est déposée par l’équipe adverse visant des joueuses portant un voile. Cyrine choisit alors de prendre la parole pour expliquer la situation, sans chercher la polémique.

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« Je ne m’attendais pas à autant d’engouement. Je pensais vraiment que ça allait rester dans le monde du futsal. » Ce qui devait être une simple clarification est largement relayé. Son idée est claire et son club se mobilise immédiatement. « On a fait la vidéo ensemble. Pendant une heure et demie, j’étais au téléphone avec le président… Le texte a changé au moins quatorze fois. » Pour elle, l’enjeu dépasse le terrain : il met en lumière les tensions persistantes entre règles, convictions personnelles et inclusion.

C’est là que Cyrine trouve le sens de son image. Et ses horizons s’élargissent chaque mois : projets humanitaires, engagements sportifs, collaborations qui prennent de l’ampleur. Elle le fait toujours avec la même idée en tête : utiliser sa notoriété pour mettre en valeur ce qu’elle aime. Son dernier voyage l’a menée en novembre en Afrique de l’Ouest, au Togo et au Bénin, où elle a eu l’occasion de participer à des projets de forage d’eau potable. Des expériences de terrain qu’elle raconte afin de transmettre à sa façon. Parmi les projets qui lui tiennent le plus à cœur, il y a le développement du futsal féminin en Tunisie, son pays d’origine, là où cette discipline sportive n’existe presque pas. Son objectif ? Proposer, structurer, créer des espaces… Elle sait que la diaspora peut être le point de départ d’une vraie dynamique, et elle veut y prendre part. La suite, Cyrine Gane l’imagine en grand : « je ferais les JO 2028 », dit-elle en rigolant, sans savoir encore dans quel sport. Avec elle, tout reste possible, tant qu’il y a un but.

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Tous propos recueillis par HG et ARM.

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