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Croc contents !

Par Théo Denmat
5 minutes
Croc contents !

Ce ne sont pas des pâtes, mais elles font pourtant partie du régime alimentaire des sportifs après une victoire : les médailles. Mais pourquoi diable les footeux croquent-ils leurs récompenses après un titre ?

C’est un poncif aussi éculé que la photo de classe et les reportages sur les premières neiges. Elle n’a rien d’original, n’est pas drôle, pas innovante, ne rend pas spécialement grâce aux traits du visage – déformés –, laisse assez peu de place à la créativité et surtout, bon sang, elle ne veut rien dire. La photo morsure de médaille. Est-ce une traduction de l’expression « avoir les crocs » ? Un signal d’alarme après un régime privatif ? Sont-ils tous fous à lier ? Mais pourquoi diable les sportifs, et footeux compris, se pavanent-ils la médaille coincée entre les incisives, comme un gamin rebelle sortirait une moitié de chewing-gum de sa bouche en plein cours ?

Le cliché est un classique des célébrations d’après-titre et, tout comme mercredi dernier en finale de Ligue Europa, on la retrouvera ce soir à coup sûr, que ce soit entre les lèvres d’Harry Kane ou celles d’Alisson Becker. Une habitude qui remonte à la nuit des temps olympiques, et même probablement avant, personne n’étant simplement là pour prendre la chose en photo. Voilà alors une explication simple à une mode simple : tout cela serait d’ordre « sexuel » .

Entre dévotion et dévoration

Le mot est tombé du bec mat d’Alain Héril, psychothérapeute et sexothérapeute depuis plus de vingt ans. Selon lui, le désir de morsure, avant d’être sportif, serait surtout un réflexe d’amants : « Dans la sexualité, mordre a à voir avec la dévoration et, de fait, la volonté d’incorporer l’autre à soi. Lorsqu’il y a morsure dans un couple, cela signifie que l’on est dans une intensité de relation et d’émotion forte. Et puis, plus simplement, que l’on veut laisser sa marque sur l’autre, y poser une empreinte, comme un marqueur d’appartenance. Il y a quelque chose de cet ordre-là dans la médaille. » Souvent remise par un officiel aux mains pas toujours propres, la médaille n’est de prime abord qu’un bout de métal accroché autour du cou, impersonnel, générique. En bref, les médailles ont beau être faites à 99% d’un argent recouvert d’une fine couche d’or, elles restent des babioles sorties d’usines. Pour s’approprier la chose donc, et par ce biais la victoire, les gagnants auraient le réflexe conditionné et l’envie irrépressible d’avaler leur dû, le « pince-moi, je rêve » étant cette fois supplanté par le : « mords-la, je rêve » . Attention toutefois à ne pas y aller trop fort : l’or marque. L’ex-décathlète allemand Frank Busemann, médaillé lors des JO d’Atlanta en 1996, racontait par exemple à Slate que sa récompense portait encore les traces de ses dents seize ans plus tard. Mieux, un champion allemand de luge monoplace s’était carrément pété l’incisive supérieure en mordant dans sa breloque d’argent glanée aux JO d’hiver de Vancouver en 2010. Son nom ? David Möller. Pas de hasard.

Philippe Roubinet, lui, ne déconne pas. « Les orpailleurs, c’est ceux qui cherchent des paillettes pour s’amuser, dit-il.Moi, je suis chercheur d’or. » Ancien employé d’une mine limousine et aujourd’hui guide de pleine nature pour faire découvrir les techniques de découverte de l’or, il rappelle que le geste date de l’Antiquité, à une époque où les pièces d’or étaient une monnaie aussi populaire que leurs malfaçons courantes. « L’or pur est malléable, explique-t-il. Les commerçants avaient donc pour habitude de caler les pièces entre leurs dents pour vérifier leur taux de pureté. Si les dents s’enfoncent ou, surtout, si la pièce se tord, alors on sait que c’est de l’or pur. Aujourd’hui ça ne se fait plus, mais c’est un geste qui est resté. » Réminiscence du passé ou pas, le coup de croc dans la médaille répond peut-être enfin à une injonction bien plus prosaïque, détaillée par le double champion olympique d’escrime Fabrice Jeannet pour Rue89 : « On le fait parce que généralement, t’as toujours un photographe un peu con qui te demande de le faire. Voilà, il faut croquer la médaille, pour vérifier que c’est du vrai. Moi, j’ai pas le souvenir de l’avoir fait, parce que je trouve ça débile. » Eh oui : un visage et une médaille sur un même cliché, ça a de la gueule.

« Moment de jouissance »

Pour autant, même lorsqu’une meute de photographe vous incite à rapprocher la médaille de vos lèvres, pourquoi ne pas tout simplement l’embrasser ? Là encore, Alain Héril y voit un « moment pulsionnel » . Il explique : « On passe de quelque chose de sensuel à l’étape supérieure qui rejoint l’aspect animal de nos comportements. Après avoir été mise autour du cou, donc sur le cœur, l’athlète la met dans la bouche, pour un moment de reconnaissance narcissique, d’auto-appropriation. C’est presque un moment de jouissance, et on y retrouve la perte de contrôle que l’on a au moment orgasmique. »

Croquer dans sa médaille serait donc un moyen de prendre conscience de l’exploit réalisé, de s’approprier sa récompense, de faire plaisir aux photographes qui vendront mieux leurs photos, et de soigner son ego. Plié, vendu. Il n’empêche que la manie échappe un peu à Marie, chocolatière à la Maison du chocolat de Nîmes, qui vend elle aussi ses médailles : « C’est 130g de chocolat, du noir à 70% de cacao. C’est ce que les gens préfèrent, ça se vend très bien. On a même le petit diplôme personnalisable qui est vendu avec. Mais personnellement au bout de deux, j’en ai marre. » Voilà un point qui n’éclaircit par une dernière question nébuleuse : terminer trop souvent au pied du podium fait-il grossir ?

Arne Slot emballé par la progression de Hugo Ekitiké

Par Théo Denmat

Tous propos recueillis par TD, sauf mentions.

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