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Bienvenu Matumo : « L’argent du Congo ne doit pas être dilapidé dans des projets inutiles »

Propos recueillis par Antoine Donnarieix
8 minutes

À la suite des récents accords de sponsoring sportif entre la République démocratique du Congo, l’AS Monaco, l’AC Milan et le FC Barcelone, la colère est montée d’un cran face au pouvoir en place à Kinshasa. Militant et porte-parole du mouvement citoyen La Lucha en RDC et chercheur à l’université Paris 8, Bienvenu Matumo a accepté de revenir sur cette problématique au sein d’un pays en période de guerre.

Bienvenu Matumo : « L’argent du Congo ne doit pas être dilapidé dans des projets inutiles »

Pourquoi décidez-vous de prendre la parole aujourd’hui ?

J’œuvre depuis une décennie en faveur de ce mouvement des jeunes congolais pour faire avancer la démocratie et la transparence politique. Nous souhaitons dénoncer les contrats signés avec le FC Barcelone, l’AS Monaco et l’AC Milan. Le Congo est un pays avec un tas de problèmes de fond, et les ressources mobilisées ne peuvent pas être investies dans des projets prestigieux sur la forme. Ces ressources doivent être utilisées dans des projets prioritaires comme l’aide humanitaire. Actuellement, 25 millions de Congolais sont dans un état de faim chronique, ils n’ont pas de quoi manger et se retrouvent dans une extrême situation de pauvreté. Aussi, les Congolais n’ont pas accès aux services publics de base. Dès lors, il est insoutenable de voir l’État donner ces millions pour de la visibilité à l’étranger à travers des infrastructures inexistantes. Officiellement, cela est considéré comme des politiques sportives et touristiques qui permettent aux personnes de venir visiter le Congo. Or, le Congo n’a pas de politique touristique ou sportive planifiée. Pourquoi gaspiller autant d’argent dans de la publicité ? L’argent doit être injecté avec méthode dans les secteurs de l’éducation, du tourisme et du sport. Cela doit être organisé pour que le tourisme de masse puisse bénéficier à notre pays. Si l’objectif est simplement d’écrire sur le maillot « RD Congo, cœur de l’Afrique », nous pensons que c’est un manque de vision de la part des autorités congolaises. En cela, nous sommes dans une approche de dénonciation d’un gaspillage des ressources d’un pays comme le Congo. Il n’y a pas de contrepartie citoyenne. Aujourd’hui, notre pays a besoin de routes, de sécurité, d’emploi, ce sont des problèmes majeurs à régler en urgence.

 

Comment se sont développés l’information et votre scepticisme quant à ces accords de sponsoring sportif ?

Cela s’est développé à travers des contacts locaux, puis la presse nationale et internationale. Les ministres en question ont confirmé avoir signé le contrat. Concernant les preuves, nous sommes au courant des montants sortis dans la presse : 14 millions d’euros pour l’AC Milan, 4,8 millions d’euros pour l’AS Monaco et plus de 40 millions d’euros pour le FC Barcelone. Tout cela est reversé dans la publicité et doit permettre d’améliorer la situation interne du Congo. Je rappelle que nous sommes en guerre, que 70% de notre population vit avec moins de 2 dollars par jour et que nous n’avons pas d’infrastructures solides. À l’heure actuelle, nous sommes un espace géographique où tout est à reconstruire. En l’occurrence, cette stratégie de publicité consiste à mettre la charrue avant les bœufs. Si le travail est fait au niveau interne et que les bases du développement sont posées, une publicité saine serait possible. Mais pour cela, il faudrait une politique d’aménagement du territoire coordonnée. Concrètement, rien n’est fait. Je soupçonne que nos ministres touchent des commissions dans ces contrats. Nous possédons des matières premières au Congo : le coltan, le cuivre, le cobalt, le lithium… Ces ressources nous font déjà connaître sur le plan international.

Les ministres volent l’argent de l’État congolais pour les investir dans cette publicité. Il y a clairement un fond de colonialisme dans cette affaire. Pourquoi ne pas privilégier les clubs locaux ?

En parallèle, pouvez-vous expliquer l’état actuel du football congolais ?

Le championnat possède de réelles difficultés fonctionnelles. Des clubs de première division ne possèdent pas l’argent suffisant pour aller jouer un match dans une autre ville. Cela a entraîné un arrêt du championnat à six journées du terme. Dernièrement, le Tribunal arbitral du sport (TAS) a demandé que la fédération congolaise fasse reprendre le championnat. Dans le cas d’un refus ou d’un retard dans l’exécution, les clubs congolais pourraient être exclus des prochaines compétitions continentales par la CAF. Aujourd’hui, les équipes du championnat national sont devenues grabataires et ne donnent plus d’espoir. Le TP Mazembe n’a pas franchi les demi-finales de la Ligue des champions africaine depuis 2015. Ce manque de moyens, cette désorganisation entraînent des infrastructures vieillissantes et des joueurs très mal payés. Il y a un problème de cohérence quand on voit les millions d’euros distribués aux clubs européens. Du point de vue moral, cela n’a aucune pertinence. Les ministres volent l’argent de l’État congolais pour l’investir dans cette publicité. Il y a clairement un fond de colonialisme dans cette affaire. Pourquoi ne pas privilégier les clubs locaux ? La situation est catastrophique : nous n’avons pas de stade décent pour accueillir les équipes. Lors du prochain match international de la RD Congo face au Sénégal, le match pourrait être joué à Lubumbashi car le stade des Martyrs ne répond plus aux normes de sécurité. Actuellement, l’équipe A’ de la RD Congo est coincée à l’hôtel, car la fédération n’a pas les frais pour payer à manger… À l’exception du TP Mazembe avec des fonds privés, nous n’avons pas de centre de formation au pays. Nos jeunes footballeurs à Kinshasa ou à Goma s’entraînent dans la rue, c’est une réalité.

 

Que font vos ministres face à cette situation ?

Nous ne comprenons pas le comportement de nos ministres et pourquoi ils sont aussi engagés dans ces contrats. Lorsque nous souhaitons leur faire part de nos critiques, ils ne s’expliquent pas. Jeudi dernier à Kinshasa, nous avons organisé une manifestation devant les bureaux du ministère pour militer contre ces engagements avec les clubs européens. Au moment où nous sommes arrivés, des milliers de jeunes sont également arrivés avec des banderoles « Nous soutenons les ministres ! », « Ce projet est cohérent ! » Ils sont venus nombreux car le chômage est très élevé à Kinshasa. On leur fait porter un maillot de Milan, Monaco ou Barcelone, ils se dressent contre nous pour être prêts à nous agresser et à la fin de la journée, ils reçoivent deux euros. C’est de la corruption. Mais c’est à la fin de la journée qu’ils se rendent compte que la situation du pays n’évolue pas. Ici, le gouvernement joue avec la misère des gens pour avoir un soutien d’apparence. Heureusement, nous sommes éclairés et nous devons continuer à dénoncer ce qu’il se déroule sur place. Il faut résister à ce genre de manipulation. L’argent du Congo ne doit pas être dilapidé dans des projets inutiles.

Chancel Mbemba ou Cédric Bakambu sont des figures de notre football, ils doivent être en mesure de se prononcer. Dieumerci Mbokani est parti récemment à la retraite, il doit s’exprimer.

Face à cette suspicion de détournement d’argent public, quels sont vos moyens d’action ?

En tant que mouvement basé au Congo, nous allons d’abord nous focaliser sur les autorités pour que le gouvernement soit en mesure d’annuler ces contrats. Aussi, notre diaspora en France doit nous permettre de coordonner nos efforts vis-à-vis des clubs concernés. C’est là où l’apport médiatique peut avoir un poids important. Les clubs doivent réaliser la gravité de ces contrats. Nous souhaitons aussi mobiliser un maximum de personnes à travers une pétition. Nous cherchons à nous déplacer pour aller au siège des équipes et échanger avec les responsables. Ce n’est pas possible que ces clubs avec des valeurs fortes puissent passer à travers un gouvernement corrompu pour bénéficier de fonds publics.

Depuis la RD Congo, la loi du silence a pris le dessus sur cette affaire. Comment gardez-vous confiance dans un climat de guerre à l’est du pays ?

Je reste confiant dans le fait que le Congo puisse se relever. Cela fait maintenant plus d’une décennie que je suis actif dans ces mouvements solidaires. Le Congo doit pouvoir accéder à la paix, à la justice et à la dignité. Notre génération a l’obligation de se jeter dans l’eau pour que la situation se redresse. J’ai une conscience politico-civile et nous n’avons pas le droit à l’erreur. Nous sommes impuissants face à ces élites qui accaparent la richesse et le pouvoir. Cela dit, nous sommes plus nombreux que cette élite qui nous gouverne. Nous pouvons espérer des jours meilleurs.

Pensez-vous qu’il soit possible que vos footballeurs internationaux suivent votre démarche dans cette lutte contre la corruption au sein du football congolais ?

J’y suis très favorable ! Chancel Mbemba ou Cédric Bakambu sont des figures de notre football, ils doivent être en mesure de se prononcer. Dieumerci Mbokani est parti récemment à la retraite, il doit s’exprimer. Je ne leur demande pas forcément de prendre position publiquement, car cela peut comporter des risques, mais ils ont la chance de côtoyer nos représentants. Dès lors, ils peuvent suggérer aux ministres que les décisions prises ne vont pas dans le sens du football congolais. Faire de la vitrine à l’étranger, cela ne doit pas être une priorité. Les anciennes gloires doivent prendre la parole et ne pas être enfermées dans la peur. Je ne vois pas les politiques s’attaquer aux stars du football congolais, ils n’oseront jamais. S’ils décident d’agir ensemble, toute la nation leur sera reconnaissante.

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