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À Marioupol, le calice de la guerre jusqu’à la lie

Par Nicolas Jucha
À Marioupol, le calice de la guerre jusqu’à la lie

En février, Andriy Sanin rêvait encore de voir le club de Marioupol se maintenir en Premier-Liha ukrainienne avant de lutter pour une qualification en Ligue Europa. Depuis, l'armée russe a ravagé sa ville, son club et sa carrière. Le premier vice-président du club ukrainien raconte la guerre vue depuis un terrain de foot...

« On s’est organisés en mode télétravail, avec les hauts dirigeants on s’occupe de toutes les tâches opérationnelles, quant aux joueurs, on reste en contact avec des groupes Messenger créés spécifiquement. » Un énième témoignage à propos du premier confinement du printemps 2020 et des révolutions qu’il a apportées dans le monde du travail ? Non. Ici, le témoin s’appelle Andriy Sanin, premier vice-président du FK Marioupol. Sa problématique est bien plus grave qu’un confinement ou que l’obligation du port du masque : sa ville a été détruite par l’armée russe, tout comme le club au développement duquel il participait depuis plus de cinq ans. Certes, la saison sportive en Premier-Liha ukrainienne était difficile, une dernière place avant que Vladimir Poutine ne décide de lancer l’offensive, « mais avec mes collègues, on partageait un grand enthousiasme pour le futur du club ». L’institution pouvait se targuer d’être encore dans l’élite, comme son équipe U19, et d’avoir une académie remplie « de plus de 300 enfants de 8 à 18 ans ». De quoi se sentir heureux. « On faisait le job de nos rêves, on avait de bons collègues et on osait rêver d’une qualification européenne. »

Stade et survie

Aujourd’hui, Andriy Sanin rêve seulement de pouvoir un jour revenir, et reconstruire. « Notre terrain était devenu l’un des meilleurs d’Ukraine depuis qu’on avait installé une nouvelle pelouse hybride en 2021. » Mais le Volodymyr-Boïko Stadium et ses 12 500 places n’ont pas résisté aux tirs russes. Comme le reste des installations, trois terrains d’entraînement, un stade indoor de 5500 places, désormais réduits à l’état de ruines. Au vu de la violence de l’offensive russe, le football ne pouvait être épargné. Avec sa femme Tetyana et son fils Artem, 10 ans, Andriy Sanin expérimente la guerre dans toute sa laideur. « Dans les premiers jours des hostilités, les avions de guerre russes ont bombardé et mis hors service les lignes de haute tension vers Marioupol. La ville s’est retrouvée sans électricité et par conséquent sans approvisionnement en gaz et en eau également. Les magasins ont fermé immédiatement, acheter des vivres devenait impossible… Avec une température de moins dix degrés à l’extérieur. »


Le stade indoor avant, et après.

Pour obtenir de l’eau, la famille Sanin « collecte de la neige et la fait fondre », pour résister au froid, « nous dormions avec nos manteaux, car il ne faisait jamais plus de 12 degrés » et pour manger, « on cuisinait très simple à partir d’une petite réserve de nourriture, avant de demander de l’aide dans les villages environnants ». Le pire ? « Ni la faim ni la soif, mais les bombardements constants. Au bout d’un moment, on ne réagissait même plus pour se mettre à l’abri au simple son des fusils. » Impuissant, Sanin et son épouse déplacent le lit de leur fils dans leur chambre, « pour rester ensemble tout le temps, comme ça si une bombe russe tombait sur la maison, nous irions au ciel ensemble… »

« Comme Alep, en Syrie »

Au sein du FK Marioupol, l’objectif devient progressivement le même pour tout le monde : sortir ensemble de l’enfer. « La plupart des joueurs ont pu être épargnés par la situation car, quand l’offensive a commencé, l’équipe était à l’aéroport d’Antalya, de retour d’un stage d’hiver. Aujourd’hui, ils sont en prêt dans d’autres clubs, de retour au Shakhtar Donetsk pour ceux qui nous étaient prêtés par ce club… » Dans les premières heures, Sanin réorganise le quotidien du groupe professionnel au téléphone, « entre deux bombardements russes » et bénéficie de l’aide de la fédération turque qui loge provisoirement l’équipe dans un hôtel cinq étoiles à ses frais. L’une des plus grandes difficultés réside dans l’exfiltration de certains jeunes du centre de formation, « car les parents ne pouvaient pas venir les chercher ». Certains éducateurs s’improvisent alors parents de substitution. « Ils ont clairement traité ces jeunes joueurs comme leurs propres enfants, ce sont des héros, des vrais. » Qui doivent boire le calice de la guerre « jusqu’à la lie ».


Le siège du club avant, et après.

Pour l’homme de 48 ans, l’objectif a rapidement été de mettre à l’abri sa femme, son fils et le chat de ce dernier, un Scottish Fold du nom de Carmen. Le voyage en voiture de Marioupol à Zaporijjia prend dix heures, « au lieu de trois en temps de paix » en raison des nombreux checkpoints russes. « Ils cherchaient des armes, des traces de poudre sur nos mains ou des prétendus tatouages nationalistes… » Surprise de la guerre, l’animal de compagnie d’Artem sauve la famille Sanin. « Quand les soldats russes l’ont vu dans la voiture avec mon fils, cela a détendu l’inspection. »

À l’heure actuelle, Andriy Sanin peut se réjouir de savoir sa femme et son fils en sécurité avec le statut de réfugiés à Zagreb, en Croatie, mais ne doute pas que « ce que nous avons vécu va mener à des troubles post-traumatiques qui seront difficiles à soigner ». Comme pour tous les membres de son club détruit, tous les habitants de sa ville qui « est complètement détruite par l’armée russe comme l’est Alep en Syrie ». Il ne reste aucun bâtiment intact et au club, pour la première fois depuis qu’il y est, les salaires ne sont plus versés. « Le plus inquiétant reste de savoir que certains de nos jeunes et leurs familles n’ont pas réussi à quitter les zones occupées par l’armée russe. » Même si la ville a été « effacée de la surface de la Terre », que la Russie planifie la mise en place d’une administration sous son contrôle, Andriy Sanin veut rester optimiste et croire à « une Ukraine qui va survivre à la guerre et à la capacité à ressusciter Marioupol… » Et si la ville renaît de ses cendres, « impossible d’imaginer la nouvelle Marioupol sans son club de football ».

Dans cet article :
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Par Nicolas Jucha

Propos recueillis par NJ
Photo fournies par Andriy Sanin.

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