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Un Vardar dans le dur

Par Julien Duez, à Skopje
8 minutes
Un Vardar dans le dur

En Macédoine du Nord, c’est un monument du football national qui s’est effondré. Condamné à descendre en D2 pour la première fois de son histoire, le Vardar Skopje a payé le départ précipité de son propriétaire russe par une chute sportive inexorable et devra se réinventer de fond en comble dans l’antichambre pour espérer renouer avec sa gloire d’antan. En attendant de savoir de qui viendra le coup de pouce salvateur, les ultras ont déjà pris les devants.

Même pas un dernier sursaut d’orgueil. Ce dimanche, le Vardar Skopje a terminé sa saison de Prva Liga par une défaite à domicile contre le Makedonija GP (0-2) et quitte donc l’élite macédonienne pour la première fois de son histoire depuis l’indépendance du pays en 1991 avec la queue entre les jambes. De toute façon, clore l’exercice 2020-2021 avec les trois points n’aurait pas changé grand-chose : depuis le revers subi face à Struga la semaine dernière, les Crveno-Crni savaient que les dés étaient définitivement jetés. Maintenant, reste à faire passer cette foutue gueule de bois qui s’annonce très longue.

« Vous imaginez la Ligue 1 sans le PSG ou Marseille ? Eh bien la D1 macédonienne sans le Vardar, c’est pareil. » Posté à la terrasse du café Pelister à l’ombre d’une gigantesque statue équestre représentant Alexandre le Grand, Miki regarde sa pinte de Skopsko avec un œil vitreux. Cela fait maintenant quelques mois que ce jeune quadra, patron d’une petite boîte de climatisation voit son club s’enfoncer inexorablement vers un monde qui lui était jusqu’alors inconnu : la deuxième division. Enfin, presque inconnu : au terme de la saison 2010-2011, le Vardar est relégué sportivement, mais sauve sa tête dans l’élite à la faveur d’une fusion last minute avec le FK Miravci, pourtant situé à 200 bornes de la capitale, et tout juste sacré champion de D2. Mais cette fois-ci, personne ne viendra à la rescousse du géant rouge et noir aux pieds d’argile. Dans toute la Macédoine, la nouvelle s’apparente à un drame national. National, car Miki l’affirme, non sans un brin de vantardise : « Le Vardar est le club le plus populaire du pays. On estime que 200 000 personnes le supportent et si l’on ajoute les familles, le chiffre doit plus ou moins monter à 700 000. Quand on sait que la Macédoine est un pays de deux millions d’habitants, ça veut dire qu’un tiers de la population est derrière nous ! »

Salades russes en Macédoine

Son groupe, les Komiti, compte quant à lui quelque 3000 membres plus ou moins actifs. Fondé en 1987, l’année qui vit le Vardar remporter son seul titre de champion de Yougoslavie (avant que celui-ci ne soit rétrocédé au Partizan Belgrade pour une sombre histoire de points pénalités liés à une affaire de matchs truqués), il tire son nom des groupes d’insurgés contre l’occupant ottoman, « un peu comme les Tchetniks en Serbie », précise Miki. « Après la mort de Tito en 1980, on voyait que la Yougoslavie était en train d’évoluer et que son destin était de passer d’une fédération à une confédération. Notre groupe est né à une époque où le sentiment national macédonien était en train de s’éveiller. Mais il rassemble des membres de tous bords, nous ne roulons pas pour un parti politique en particulier. » Comme moult ultras, son credo a toujours été de chanter, boire des bières et de se marrer dans la tribune Ouest avec les copains. Mais voilà, aujourd’hui, Miki a d’autres responsabilités qui lui sont tombées sur le coin de la figure : cela fait en effet six mois que les Komitis ont repris la direction du Vardar. « On n’a pas réfléchi et on a pris leur place. Mais on est là de manière totalement officieuse puisque nous ne sommes pas inscrits dans les registres du club. En attendant, des ultras qui gèrent collectivement un club de foot professionnel, ça doit être unique au monde ! » se marre l’intéressé.

En attendant, comment en est-on arrivé là ? « La raison est simple », pose le journaliste Branko Ilievski, fin connaisseur du football macédonien. « Il y a un an, le propriétaire du Vardar, l’oligarque russe Sergueï Samsonenko, a annoncé son départ du club, car il n’avait plus les moyens de le financer. Politiquement, il était proche du VMRO-DPMNE (le parti nationaliste macédonien, NDLR), mais l’arrivée au pouvoir du SDSM (le parti socio-démocrate, NDLR) en 2016 a quelque peu changé la donne et freiné ses projets, notamment immobiliers. » Né à Rostov-sur-le-Don en 1967, Samsonenko compte parmi les oligarques qui profitent de la Perestroïka pour se lancer avec succès dans les affaires et débarque en Macédoine du Nord en 2013 avec 250 000 euros destinés à racheter l’autre fleuron du Vardar : son équipe de handball. La section foot rejoint logiquement son giron un an plus tard. « Ce qu’il n’a pas compris, c’est que, même à l’échelle macédonienne, une équipe de foot, ça coûte beaucoup plus cher qu’une équipe de handball », souffle Miki entre deux gorgées de bière.

L’ultra précise cependant que sous l’ère Samsonenko, le Vardar a été quatre fois champion de Prva Liga et a participé à l’édition 2017-2018 de la Ligue Europa, une première pour un club macédonien. Tout comme il ne peine pas à détailler les nombreux (et coûteux) investissements réalisés par le propriétaire de son club. Pour la section hand : une salle flambant neuve de 6500 places, accolée à un palace sobrement baptisé Hotel Russia. Pour la section foot : une académie et un centre d’entraînement. « Samsonenko devait racheter sur dix ans les parts du club possédées par la ville à travers une société foncière municipale, mais il a explosé en vol au bout de cinq ans. À son arrivée, la dette du Vardar était d’un million d’euros, aujourd’hui elle plafonne à 3,5 millions », calcule Miki, précisant que les joueurs ont inévitablement commencé à être payés au lance-pierre. En conséquence de quoi, le club accuse une flopée de départs depuis un an. Un comble pour le champion sortant, détenteur d’un tiers des titres nationaux depuis l’indépendance de la Macédoine du Nord en 1991. « Cet hiver, la direction a jeté l’éponge, l’entraîneur Aleksandar Vasoski a rejoint le projet de l’Akademija Pandev et pour faire simple, le noyau du Vardar est désormais composé de joueurs dont la moyenne d’âge tourne autour de la vingtaine. Et pour ne rien arranger, la mairie de Skopje a dit qu’elle ne pouvait pas intervenir financièrement, car le Vardar est une entreprise privée. Elle s’est déclarée prête à reprendre le club seulement quand les finances seront assainies », ajoute Branko Ilievski. Difficile de ferrailler en championnat quand on cumule une dette abyssale avec un groupe sans expérience du haut niveau. « Je ne crois pas que nous nous maintiendrons en D1 », prophétisait Miki deux semaines avant la fin du championnat. « Tout ce qu’il nous reste à faire à présent, c’est de repartir de zéro en D2 en commençant par régler nos problèmes d’argent. »

Vider l’océan à la petite cuillère

Le téléphone de Miki ne cesse de sonner pendant l’entretien. Celui qui occupe le poste de président de l’Odbor za spas na FK Vardar ( « organisation pour sauver le FC Vardar » en français, une association directement gérée par les Komiti) est en effet occupé à négocier avec des investisseurs potentiels pour venir éponger la dette de Samsonenko, lequel n’arrive toujours pas à refiler sa patate chaude. « Je peux vous dire que quelques entreprises macédoniennes se sont montrées intéressées pour investir entre un et deux millions d’euros par saison. Si tout va bien, la dette du club pourrait être épongée en six ans. Mais il faut impérativement passer à la vitesse supérieure. On ne peut pas se contenter de multiplier les petits gestes, ce n’est pas suffisant. » Les petits gestes dont parle Miki, ce sont notamment des nouveaux maillots, où le sponsor Betcity (l’une des entreprises de Samsonenko) a été remplacé par le logo des Komiti, mais aussi des billets-fantômes (coronavirus oblige) vendus en février dernier à l’occasion du classique annuel contre les rivaux du Pelister Bitola et qui ont permis de rapporter quelque 55 000 euros. « Les Rangers et le Dinamo Bucarest ont réalisé des actions similaires, mais on est les seuls à avoir rempli notre stade à 100% », sourit Miki. « Au total, nos actions de solidarité nous ont permis de récolter 150 000 euros en trois mois, alors qu’on est un simple groupe ultra entièrement composé de bénévoles. Imaginez ce qu’un gros investisseur avec des moyens largement supérieurs aux nôtres pourrait faire ! La dette du club est de 3,5 millions d’euros, mais la marque Vardar vaut beaucoup plus que cela. »

Pour les Komiti, bien que la haine vis-à-vis du propriétaire et de la municipalité soit toujours féroce, l’heure n’est pas à la résilience. « On a connu une situation similaire en 2009 après la crise financière mondiale et on a mis huit mois pour la régler », rappelle Miki. « Cette fois-ci, on était mieux préparés, même si ça fait déjà presque six mois qu’on est aux commandes. Mais il faut savoir que la D2 macédonienne a un statut amateur et que les frais de fonctionnement d’un club sont bien moins importants qu’en D1. Autrement dit, on devrait pouvoir tenir toute la saison avec seulement un demi-million d’euros. » En revanche, pour recommencer à vibrer devant du beau jeu, cela risque de prendre un peu plus de temps. « On ne va pas se mentir, pour le moment, les gens regardent davantage le Vardar par patriotisme que pour le niveau sur le terrain », glisse le porte-parole avec un clin d’œil avant de montrer du doigt son T-shirt des ultras de Schalke 04, le seul club avec lequel les Komiti entretiennent une amitié internationale et qui, coïncidence ou pas, sera lui aussi relégué en D2 à la fin de l’exercice en cours. En attendant, c’est l’optimisme qui prime. Comme le répètent les ultras dans leurs communiqués successifs : « Le Vardar vivra parce que le peuple est derrière lui. » Nul doute qu’ils préféreraient quand même retourner le hurler debout dans leur chère tribune Ouest plutôt qu’assis derrière un bureau.

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Photos : Komiti.

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