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Stéphane N’Guéma : « Les footballeurs gabonais ne rêvent plus »

Propos recueillis par Nicolas Jucha
8 minutes
Stéphane N’Guéma : « Les footballeurs gabonais ne rêvent plus »

La semaine passée, Stéphane N'Guéma et quatre joueurs du championnat gabonais étaient interpellés et placés en garde à vue à Bongoville. Leur tort ? Avoir voulu sensibiliser les joueurs de l'équipe nationale sur la précarité qui accable les joueurs au Gabon, privé de championnat depuis deux ans à cause de la pandémie de Covid-19. Récit d'une interpellation arbitraire.

C’était quoi le projet initial de votre petite délégation ?On était partis à Bongoville pour rencontrer les joueurs de l’équipe nationale du Gabon. Nous avions fait toutes les démarches, dont un courrier pour le président de la Fédération gabonaise de football, tout le monde était au courant de notre venue : le président, le sélectionneur, tous les gens travaillant autour de la sélection… On voulait évoquer avec les internationaux la situation des footballeurs au pays, qui subissent l’arrêt du championnat national depuis deux ans, et se retrouvent livrés à eux-mêmes. Ils vivent dans une situation de précarité qui n’a pas de nom, ils ont fait du football leur métier, mais depuis deux ans, ils ne peuvent plus l’exercer. On voulait l’expliquer aux internationaux. En parlant à Pierre-Emerick Aubameyang ou à Bruno Ecuele Manga, ou à un autre joueur, on espérait que l’un d’eux glisse un petit mot au ministre des Sports ou au président de la Fégafoot.

Comment cela se passe au moment où vous entrez dans l’hôtel de la sélection ? A priori, c’est le moment où les choses dégénèrent…Dès que nous sommes arrivés à Bongoville, les quatre joueurs du championnat gabonais qui m’accompagnaient ont attendu dehors, je suis entré seul dans l’hôtel. J’ai joué en équipe nationale (22 sélections, 5 buts), tout le monde me connaît. Mais quand je suis entré dans le hall de l’hôtel, j’ai rencontré l’intendant de l’équipe nationale, monsieur Serge Ahmed Mombo. Dès qu’il m’a vu, il a commencé à monter sur ses grands chevaux : « Stéphane, qu’est-ce que tu fais là ? Qui t’a demandé d’entrer ? J’ai donné des consignes strictes pour ne pas te laisser entrer… Sors, je ne peux pas te laisser voir les joueurs. » C’est une humiliation, je lui ai pourtant dit que nous étions venus pour rencontrer les joueurs, que j’avais des documents. « Je ne veux pas voir ton document, je te demande de sortir tout de suite de l’hôtel. » Je n’ai pas eu le choix, je suis sorti.

J’ai demandé aux gendarmes ce que l’on nous reprochait, ils ont insisté : « Ce n’est pas de notre faute Stéphane, les ordres viennent d’en haut. »

Dès lors que vous êtes refoulés de l’hôtel, vous enclenchez un plan B, une banderole à l’intention des internationaux…On a décidé d’attendre le départ pour l’entraînement des joueurs. On s’est dit que si les joueurs voyaient la banderole – « Nous Panthères du Gabon, nous soutenons les joueurs locaux » -, ils décideraient de s’arrêter pour nous parler. Les joueurs sont sortis de l’hôtel, mais aucun n’est sorti du bus. J’ai donc lancé un live sur les réseaux, dans lequel j’expliquais à tous les footballeurs évoluant au Gabon ce qui était en train de se passer. Eux étaient au courant de notre projet. J’ai expliqué le refus de la Fégafoot, le fait qu’aucun joueur n’avait réagi à notre banderole… Puis une fois le bus de l’équipe passée, on a rangé la banderole et on est repartis pour Franceville. Je ne sais pas si ce sont les joueurs qui ont refusé de descendre, si c’est l’intendant qui le leur a interdit, ou si des ordres venaient de la fédération.

Tu peux raconter l’interpellation ?Quand j’ai terminé mon petit live, on est repartis, c’est moi qui conduisais. Je pense que la fédération avait déjà appelé la gendarmerie pour leur demander de nous arrêter. On a été arrêtés à un barrage – il y a des barrages routiers au Gabon -, et les agents nous ont dit « simple contrôle de routine, donnez-nous vos papiers et ceux du véhicule ». Ces gendarmes m’ont reconnu : « Stéphane, écoute, on doit respecter les consignes reçues. » Ils avaient tous mes papiers, ils nous ont demandé de nous asseoir devant le commissariat. Je leur ai demandé ce que l’on nous reprochait, ils ont insisté : « Ce n’est pas de notre faute Stéphane, les ordres viennent d’en haut. » Alors j’ai demandé : « Là-haut, c’est qui ? » Ils ont refusé de donner la moindre précision.

Donc votre garde à vue commence quand ?Le jour même, le mercredi, à partir de 18h. On est ressortis le lendemain à midi. Quand on est arrivés, ils nous ont tous auditionnés, moi en premier. Je leur ai donc demandé « vous nous reprochez quoi au juste ? » Ils nous ont dit que c’était des ordres venus d’en haut, et qu’ils devaient nous enfermer jusqu’au vendredi après le match des Panthères. Leur plan de départ, c’était 48 heures de détention. Soi-disant on voulait se faire passer pour des joueurs de l’équipe nationale… On a dormi par terre, à même le sol. On avait faim, les mecs nous ont dit : « Vous vous démerdez, vous mangez des boîtes de sardines avec du pain… » Cela voulait dire : « Vous ne mangez pas. » C’était pénible et horrible. On n’était pas en cellule, car elles étaient déjà pleines. On nous a réservé une salle, il faisait froid, il y avait des moustiques, aucune couverture, à même le sol… C’est illégal, on ne fait pas des choses comme ça.

Depuis deux ans, zéro match et zéro accompagnement pour les joueurs qui sont privés de leur emploi. Beaucoup vivent un vrai calvaire social. Certains sont obligés de laver des voitures, d’autres vendent des vêtements au marché. Certains ont vu leur femme partir parce qu’ils n’avaient plus les moyens de subvenir aux besoins de leur famille. Enfin, il y a ceux qui sont carrément à la rue…

Comment expliques-tu votre sortie anticipée le lendemain à midi ?Il y a eu une pression de la population sur les réseaux, notre association s’est bougée, notre avocat a passé des coups de fil, la FifPro a fait son travail. L’objectif pour eux, c’était de nous libérer après le match, mais c’était devenu intenable, car on n’avait rien fait. Au moment de nous « libérer » , c’est le président de la Fédération de football gabonaise et le commandant de la sécurité de l’équipe nationale qui sont venus me parler. Ils ont essayé de me faire la morale, de me dire que ce que nous avions fait était… J’ai refusé d’admettre que nous avions essayé de nous faire passer pour des joueurs de l’équipe nationale. Ils ont quand même demandé aux gendarmes de nous restituer nos pièces d’identité et téléphones, mais avant que nous ne partions, ils ont mis un dernier coup de pression. « Quand vous partez, il ne faut plus faire de live, il ne faut plus parler. Parce que si vous parlez encore, la prochaine fois qu’on vous chope, on va bien vous secouer. » Une vraie menace.

L’objectif de base, c’était sensibiliser les internationaux à la situation de leurs confrères au pays et aussi faire avancer un projet de charte du footballeur en sélection…C’est ça, deux sujets à aborder. La charte, c’est un travail commun avec le ministère des Sports et la Fégafoot, pour tous les internationaux jusqu’aux équipes jeunes. L’association des footballeurs professionnels du Gabon l’a signée, mais la Fégafoot et le ministère ne veulent pas la signer. Les internationaux avaient pourtant accepté le texte. On ne sait pas pourquoi cela bloque aujourd’hui auprès de la fédération. C’est important car on devait la mettre en place avant la CAN, pour protéger tous les joueurs des équipes nationales. Concernant le championnat national, tout ce que l’on demande, c’est une date de reprise. On veut une date avant la fin du mois de novembre. Le championnat était censé redémarrer le 23 octobre. Depuis deux ans, zéro match et zéro accompagnement pour les joueurs qui sont privés de leur emploi. Les dirigeants ne communiquent même plus. Beaucoup de joueurs vivent un vrai calvaire social. Certains sont obligés de laver des voitures, d’autres vendent des vêtements au marché. Certains joueurs ont vu leur femme partir parce qu’ils n’avaient plus les moyens de subvenir aux besoins de leur famille. Enfin, il y a ceux qui sont carrément à la rue. Certains se sont fait chasser de leur logement car ils ne payaient plus le loyer, faute de revenus. Au siège de l’ANFPG, on reçoit des joueurs quasiment tous les jours. On donne un sac de riz par-ci, un bidon d’huile par-là, du pain… Je vous assure que c’est vraiment compliqué pour ces joueurs, on parle de misère quasiment absolue. On a réglé des cas très sensibles. On a discuté avec certains bailleurs pour que des joueurs puissent éviter une expulsion de leur logement. Certains parents de joueurs nous appellent pour nous demander des comptes parce qu’ils croient que c’est nous qui organisons le championnat… C’est triste de voir des joueurs à la rue, qui n’ont même plus les moyens de se nourrir. Parmi eux, certains ont des enfants, c’est toute la famille qui souffre.

Depuis la semaine passée, as-tu parlé avec certains internationaux ?On a parlé avec Didier Ibrahim NDong et Axel Méyé, les deux seuls qui ont pris position. Je ne vais pas commenter l’échange entre Didier et Mario (Lemina, NDLR) sur les réseaux sociaux, c’est sans commentaire, c’est une discussion entre eux deux. J’attends juste des joueurs qu’ils apportent leur soutien aux joueurs basés au Gabon. Dans cette équipe nationale, il y a des joueurs qui sont passés par le championnat gabonais. Leur soutien, ce serait déjà beaucoup.

Surtout le soutien de Pierre-Emerick Aubemayang…Bien sûr, parce que si lui parle au ministre des Sports, « monsieur le ministre, faites quelque chose pour les jeunes au pays » , cela peut faire bouger les lignes. La voix d’Aubameyang, elle porte. J’ai son numéro, mais on ne va pas l’appeler directement. La démarche, c’est de s’adresser à la Fégafoot, à l’ensemble de l’équipe nationale, au sélectionneur. On n’appelle pas Aubameyang dans le dos des autres, et de toute façon, il connaît la situation. Même si la fédération refusait de nous écouter, Aubameyang aurait pu en décider autrement. Je suis vraiment inquiet pour l’avenir parce que les footballeurs gabonais ne rêvent plus. Ils n’ont plus la chance de jouer, de pouvoir atteindre l’équipe nationale grâce au championnat. Tout le monde se focalise sur la CAN, on est qualifiés, c’est bien. Mais on fait quoi après ? Il y a des trentenaires dans l’équipe, qui va les remplacer ? Les gens ne se rendent pas compte qu’il faut préparer l’avenir, et on ne peut pas le faire en ne misant que sur les binationaux. Il faut donner la chance à tout le monde.

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Propos recueillis par Nicolas Jucha

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