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Sonny Anderson : « Quand vous allez être champion de France, vous le sentez dès le début de la saison… »

Propos recueillis par Flavien Bories
13 minutes
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Buteur de talent, Sonny Anderson a fait trembler les filets du championnat français durant huit saisons, empochant au passage une flopée de titres. Dans cet entretien, le Brésilien se confie, parle de son enfance, de sa famille, de ses succès et de certains moments plus difficiles. Monaco, Marseille, Lyon, dont il était l’emblématique capitaine, sans oublier son passage au Barça où il a dû plier face au caractériel Van Gaal.

Tu as déjà eu peur d’être oublié ?Non, c’est la vie. Les années passent, les gens oublient… enfin ce n’est pas qu’ils oublient, mais d’autres joueurs arrivent, d’autres choses se passent au club. On n’est plus dans l’actualité. Ça fait plaisir quand on ne t’oublie pas. Ça montre qu’on a marqué notre époque, le club, l’esprit des gens. Dans dix, vingt ans, on y pensera forcément moins et c’est comme ça. Mon dernier match à Lyon, c’était en 2003. Ils m’ont acclamé au Parc OL alors que je n’y ai jamais joué. Je ne bouderai jamais mon plaisir lorsque les gens m’accueillent de cette façon. Plus le temps passe, plus ce que je ressens est fort. Ils n’ont pas oublié ce que j’ai pu faire à l’OL.

Tu as a fait une très belle carrière en club, mais tu ne comptes « que » huit sélections avec le Brésil.À l’époque, pour avoir des sélections dans l’équipe, avec les attaquants qu’il y avait, il fallait être au top. Rivaldo, Ronaldo, Romário, Bebeto. Vous voyez ces joueurs… avoir une place dans cette équipe valait très chère. C’est moins le cas aujourd’hui. Je suis fier d’avoir côtoyé ces joueurs et d’avoir marqué lors de ma première sélection contre la Corée. Le seul regret que je peux avoir est de n’avoir jamais participé à une Coupe du monde ou une Copa América. J’aurais pu participer à la Copa, mais j’étais blessé.

On a du mal à imaginer que ça ne te fait pas un pincement au cœur de ne pas avoir davantage goûté à la Seleção. En 1998, Ronaldo est intouchable, mais Edmundo ? J’ai eu un petit pincement au cœur? d’autant que la Coupe du monde se passait en France. Mais je savais qu’au Brésil, Edmundo était un grand joueur. Il avait fait de bonnes choses. C’était sûr qu’il allait être sélectionné. Bebeto avait lui aussi fait une bonne saison. Romário n’était pas appelé. Ronaldo était là, Denilson aussi. C’était tous des bons joueurs, en forme à ce moment-là. La plupart jouait au Brésil. Ils étaient plus connus que moi là-bas.


Comment c’était une enfance à Goiatuba ?Je n’avais qu’une seule chose en tête : jouer au foot. Mon père était entraîneur de l’équipe de Goiatuba. Je faisais tout pour quitter la maison et le suivre. J’étais tout petit, j’avais six ou sept ans. Je ne voulais pas rester à la maison. Je sortais tout le temps en cachette. Mon père me retrouvait au club et me demandait : « Mais qu’est-ce que tu fais là ?! » C’était trop tard pour rentrer. Alors il me donnait un ballon et je jouais. À chaque fois qu’on déménageait dans une nouvelle maison, il voulait qu’il y ait un stade à côté. Je faisais semblant d’aller à l’école pour aller au terrain de foot. À la maison, je jouais à dribbler les chaises, dans le garage, c’était le but. Je prenais beaucoup de chaussettes pour faire un ballon et j’aimais jouer avec mes frères.

Lorsque tu faisais semblant d’aller à l’école et que ton père s’en apercevait. Il passait l’éponge ?Non, il m’a toujours grondé, ma maman aussi. Elle voulait que j’aille au foot, mais à l’école aussi. J’étais petit. On ne pouvait pas savoir si j’allais devenir footballeur, mais à treize, quatorze ans, j’ai décidé et dit à ma mère : « Il faut que j’aille jouer au foot ! » À partir de là, mon père m’a amené à Jaú, où il habite encore aujourd’hui avec elle. Il m’a fait entrer au centre de formation, et après tout est allé très vite, puisqu’à seize ans et demi, j’étais déjà professionnel. Ma formation, je l’ai faite dans la rue et avec mon père. Il m’entraînait avec les pros de son club alors que j’avais dix, onze ans.

Une fois, en match, j’ai pris le ballon, dribblé toute la défense, même le gardien. Au lieu de marquer tout de suite, j’ai fait un peu comme Ntep à Rennes. J’attends pour marquer tout doucement et là, le défenseur arrive de derrière et m’enlève le ballon.

Vous étiez très proche ?C’est lui qui m’a transmis l’envie de jouer, avec la tête. Il me le répétait tout le temps. « Il faut réfléchir beaucoup plus vite que tout le monde. Travailler beaucoup plus dur que tout le monde. » Quand je ne travaillais pas assez, une fois rentré à la maison, il ne me faisait pas de cadeaux. À l’époque, j’avais quinze ans et il entraînait l’équipe dans laquelle je jouais. Une fois, en match, j’ai pris le ballon, dribblé toute la défense, même le gardien. Au lieu de marquer tout de suite, j’ai fait un peu comme Ntep à Rennes. J’attends pour marquer tout doucement et là, le défenseur arrive de derrière et m’enlève le ballon.

Il n’a pas dû être tendre.Il m’a dit : « Ta place c’est ici, à côté de moi, sur le banc ! » Il m’a sorti du match. Je pensais que c’était fini. En arrivant à la maison, il m’a dit : « Tu ne mangeras pas pendant deux jours ! Tu ne referas jamais ce que tu viens de faire. Tu y penseras toute ta vie. » Le premier jour, il ne m’a pas laissé manger. Le deuxième, je l’ai fait en cachette. Ma mère m’en donnait, mais mon père était toujours là et me disait : « Souviens-toi de ce que tu as fait ! » Ça m’a tellement marqué ! Mon père était exigeant. Le football, c’était le plaisir de jouer, mais il fallait être sérieux pour être le meilleur.

Peux-tu me parler de ton frère, Toninho ?C’était l’exemple pour toute la famille, le premier qui a réussi. C’était un ancien neuf et demi, mais il portait le numéro 8. Il était exceptionnel au niveau football et humain. Il a commencé à Jaú, on prenait le bus pour aller le voir jouer. Il a beaucoup aidé la famille et puis il a fait un choix. Moi, j’ai opté pour l’Europe, lui a choisi le Japon. Pendant cinq ans, il était une star là-bas. Il a été en sélection brésilienne, mais, comme moi, il avait beaucoup de concurrence. Il était très élégant comme nous l’inculquait notre père : « Il faut respecter le ballon, le football, les gens. Courir avec la tête haute, sur la pointe des pieds. » Ce qui nous différenciait, c’est que mon frère n’avait pas de pied gauche. Il était obligé de faire le coup du foulard. J’avais un autre frère, décédé en 2009. À l’époque, on se disait qu’il serait le meilleur de tous. Il frappait fort du pied gauche comme du droit. Il avait la tête, la puissance, la technique. Mais il n’a pas supporté l’exigence de mon père. Il lui disait : « Lâche-moi, laisse-moi tranquille. » On était déçu pour lui.

Je te cite : « Le pied gauche était mon mauvais pied, mais à la naissance seulement ! Après, je l’ai tellement travaillé qu’il est devenu plus précis que le pied droit. » Mon père était le premier à me dire : « Il faut travailler ton pied gauche. » Je m’entraînais à ne faire que des séances avec le pied gauche. Je refusais de taper du droit même lorsque je n’étais pas bon. J’ai tellement utilisé mon pied gauche qu’au bout d’un moment, mes frappes enroulées, mes coups francs étaient plus précis que lorsque j’utilisais mon pied droit.

En 1992, tu pars à Genève, comment appréhendais-tu ce changement de vie ?Je ne m’y attendais pas du tout. Je ne savais pas du tout où c’était. Pourtant, j’avais déjà fait des voyages en Europe avec Vasco de Gama pour des tournois. Je ne savais même pas dans quel club j’allais atterrir. Mon agent, qui était au Brésil, devait accompagner un joueur au Servette, mais ce dernier n’a pas voulu venir. Il ne pouvait pas y aller les mains vides, alors il m’a proposé d’y aller. J’ai fait des tests. Ils ont trouvé que j’avais quelque chose de spécial et ils m’ont gardé. Une fois que j’y étais, je ne voulais plus rentrer au Brésil. C’était en Europe que je voulais faire carrière. Mes parents m’ont soutenu en me disant : « Ne pense pas à la famille, reste là-bas. » À l’époque, seuls les meilleurs Brésiliens partaient en Europe.


Lors de la saison 1993-1994, tu signes à l’OM. Sans les problèmes rencontrés par le club, ça aurait dû être un mariage parfait.J’avais envie de rester à Marseille. C’était comme si j’y étais depuis longtemps, mais le club est descendu en deuxième division, il y a eu des problèmes. L’OM ne pouvait plus faire de transferts ni acheter des joueurs. C’était compliqué. J’ai eu la possibilité de partir à Monaco.

Au moment de rejoindre le Barça, Bernard Tapie m’a dit juste une chose : « Souviens-toi que l’entraînement à Barcelone, c’est comme les matchs ici. »

Jouer au Vélodrome, c’est une ambiance que tu n’as retrouvée nulle part ailleurs ?À l’époque, c’était vraiment quelque chose d’exceptionnel. Quand vous êtes bien, c’est merveilleux. Mais lorsque vous ne l’êtes pas, ils sont tellement exigeants que les joueurs ont du mal à jouer dans ce stade. C’est très compliqué. C’était la première fois que je rencontrais une ambiance qui ressemblait à ce que j’avais connu au Brésil. Je préfère l’ambiance d’avant, beaucoup plus chaleureuse, à celle d’aujourd’hui. Le stade a tellement changé. Je suis allé voir des matchs là-bas, je n’ai pas eu le même ressenti.

En 1995-1996, tu finis meilleur buteur avec Monaco et vous remportez le titre l’année suivante.Quand vous allez être champion de France, vous le sentez dès le début de la saison. Vous vivez des choses extraordinaires sur le terrain et en dehors. On était des amis. On avait un groupe exceptionnel. Barthez, Dumas, Scifo, Benarbia, Ikpeba, Henry, Djetou… on est liés, solides sur le terrain. On est champions à quatre journées de la fin.

Qu’as-tu ressenti au moment de signer au Barça ?Deux personnes m’avaient conseillé Barcelone. Tigana m’a dit : « Maintenant tu dois confirmer. Si tu vas à Barcelone, c’est que tu as le niveau. » C’était mon coach à l’époque de Monaco. Il m’a vraiment protégé de la presse espagnole au moment du transfert. Bernard Tapie m’a dit juste une chose : « Souviens-toi que l’entraînement à Barcelone, c’est comme les matchs ici. »

Et une fois arrivé ?J’ai été bien accueilli par les joueurs, mais je suis arrivé à un moment compliqué, lors des élections présidentielles du club. Et j’ai dû remplacer Ronaldo. Dans l’esprit des socios, ils s’attendaient à voir un numéro 9 comme lui. Mais on n’avait pas le même style.

Le défi barcelonais t’a fait peur ?Non, je venais d’être désigné meilleur joueur du championnat de France, meilleur buteur, champion. Je savais à quoi m’attendre à Barcelone. La première année a été compliquée. Van Gaal ne me faisait pas jouer où je le souhaitais. La deuxième s’est très bien passée et, même à la fin, lorsque j’ai signé à Lyon, les supporters du Barça ne voulaient pas que je parte. Ils m’aimaient là-bas. Je suis parti, mais j’ai réussi ce que je devais y faire.

Quitter le FC Barcelone pour Lyon, n’est-ce pas une régression ?Pas du tout. Quand j’ai vu que Lyon était capable de mettre autant d’argent à l’époque et souhaitait faire partie des meilleurs en Europe et en France… le projet me plaisait énormément. C’était un challenge. Je suis arrivé à Barcelone pour jouer et, lorsque j’étais bien pendant la deuxième saison, Patrick Kluivert est arrivé en cours d’année. À la fin de la saison, je suis allé voir Van Gaal. Il disait vouloir deux équipes. Je lui ai demandé : « Est-ce que ce sera le meilleur de nous deux qui jouera vu qu’on est en concurrence ? » Il m’a répondu : « Non, il n’y aura pas de concurrence. Tu ne joueras pas, tu seras remplaçant. C’est lui le titulaire. » J’ai donc préféré partir.

Vidéo


Kluivert était-il meilleur que toi ? Ou sa nationalité néerlandaise l’a favorisé auprès de son compatriote entraîneur ? On pouvait jouer tous les deux, mais Van Gaal ne voulait pas. On s’entendait super bien avec Patrick. On a fait des bouts de match ensemble. Ce n’est pas contre Patrick, mais vu le discours du coach, même si j’avais été en pleine forme et lui non, je n’aurais pas joué.

Laigle, Coupet, Delmotte, Caveglia, Violeau… c’était vraiment mes potes de l’époque. Quand on se parle au téléphone, qu’on se voit… on a gardé cette complicité. Flo Laville m’a appris à jouer aux cartes dans le bus.

Donc retour en France…J’ai quitté Barcelone où on travaillait beaucoup tactiquement. En France, ce n’était pas vraiment le cas. Il y avait un système en place et si les joueurs s’entendaient entre eux, c’était compatible. On avançait comme ça. Notre plus grande force, c’était le groupe. Une bande de potes. Après les entraînements, on allait boire des verres, on discutait, on faisait des barbecues les week-ends où on ne jouait pas ou les lendemains de match.

Tes meilleurs potes ?Laigle, Coupet, Delmotte, Caveglia, Violeau… c’était vraiment mes potes de l’époque. Quand on se parle au téléphone, qu’on se voit… on a gardé cette complicité. Flo Laville m’a appris à jouer aux cartes dans le bus. C’était toujours des moments de rigolade parce qu’au début je faisais n’importe quoi. Greg (Coupet) avait toujours le sourire, un mec disponible. Pierre (Laigle) était un peu plus timide, mais il était simple. Il n’y avait pas de disputes sur le terrain.

Tes meilleurs souvenirs à l’OL ?Lorsqu’on a gagné la Coupe de la Ligue et le championnat. J’en avais discuté avec Jean-Michel Aulas et Bernard Lacombe. Je suis arrivé à Lyon pour gagner des titres et pour que le club devienne fort.

Après la défaite à Maribor le 25 mars 1999 en tour préliminaire de la Ligue des champions, des supporters se sont montrés violents à ton égard. Tu es monté au créneau.Je suis contre toutes les violences. Je venais de Barcelone. J’arrivais blessé. Je n’étais pas encore à 100%, mais il fallait que joue ce match de Maribor. On s’est fait éliminer. Je suis allé tranquillement le lendemain avec mes enfants à l’entraînement et il y avait des gens cagoulés, violents, qui ont tapé ma voiture. À ce moment-là, je me suis dit qu’il fallait que je rencontre les supporters. J’ai dit : « S’il y a encore une seule violence, je quitte le club, je m’en vais. C’est normal que vous ne soyez pas contents, mais laissez-moi retrouver la forme. » Le week-end suivant, on joue le Paris Saint-Germain à Gerland. Je provoque un penalty sur le côté du virage nord. Je frappe, on gagne 1-0. À partir de là, ils m’ont respecté et, par la suite, on a créé une relation très, très forte.

Palmarès :Vainqueur de la Supercoupe d’Europe en 1997 avec le FC Barcelone
Champion du Brésil en 1989 avec Vasco de GamaChampion de Suisse en 1994 avec le Servette FC
Champion de France en 1997 avec Monaco et en 2002 et 2003 avec LyonChampion d’Espagne en 1998 et 1999 avec le FC Barcelone
Vainqueur de la Coupe d’Espagne 1998 avec le FC BarceloneVainqueur de la Coupe de la Ligue en 2001 avec Lyon
Vainqueur de la Coupe Intertoto en 2004 avec VillarrealVainqueur du Trophée des champions 2002 avec Lyon
Meilleur buteur du Championnat suisse en 1993 avec le Servette FCMeilleur buteur du championnat de France en 1996 avec Monaco et en 2000 et 2001 avec Lyon
Meilleur buteur du championnat du Qatar en 2005 avec Al RayyanMeilleur buteur de la Ligue Europa 2004 avec Villarreal
Meilleur joueur étranger du Championnat suisse en 1993 avec le ServetteMeilleur joueur étranger de l’année du Championnat de France en 1996 avec Monaco
Meilleur joueur du championnat de France en 1997 avec Monaco
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Propos recueillis par Flavien Bories

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