Bon, j’imagine que vous êtes un homme heureux ?
Quand on gagne, on est toujours heureux, c’est certain. De plus, gagner une compétition comme la CAN, c’est quelque chose de vraiment extraordinaire. La Côte d’Ivoire aura attendu 23 ans pour soulever de nouveau ce trophée, 23 ans c’est très long, et ça rend cette victoire encore plus belle.
Vous avez connu un début de compétition plutôt délicat, cela rend-il la victoire encore plus savoureuse ?
Oui, c’est vrai que ça a été difficile, mais c’est souvent comme ça qu’on réalise de grandes choses, en allant chercher les ressources au fond de soi. Il faut faire comprendre aux joueurs que même si on n’est pas dans les meilleures dispositions, tout reste possible, et il faut continuer à y croire. Il faut être capable de montrer un état d’esprit irréprochable, et c’est ce que les joueurs sont arrivés à faire. Pour ça, je leur tire mon chapeau, car ils ont prouvé qu’ils étaient d’immenses joueurs.
Comment avez-vous géré les critiques durant la compétition ?
Je n’écoute pas les critiques, ça ne veut rien dire. Aujourd’hui, je suis le plus beau, le plus fort parce qu’on est arrivé à gagner, mais je sais pertinemment que ce n’est pas vrai, que ça va passer, comme toujours. Nous, on savait que rien n’était perdu, après les journalistes parlent, c’est leur boulot après tout, mais moi, je ne les écoute pas. Je travaille avec mon staff, on sait ce qui va et ce qui ne va pas et on n’a pas besoin des commentaires de ceux qui croient toujours détenir la vérité, mais qui, finalement, n’ont jamais rien fait dans leur vie.
Selon vous, le tournant de la compétition a-t-il été le match contre le Cameroun ?
Oui, bien sûr. C’est là qu’on est allé chercher des ressources qui étaient alors insoupçonnées, et les joueurs sont arrivés à se transcender dans un match qui était capital pour la suite de la compétition. C’est dans ce genre de moment qu’on voit les grands champions. De toute façon, c’est dans ce type de rencontres qu’il faut être présent, ce n’est pas pendant les qualifications. Regardez, il y a certaines équipes qui étaient très fortes pendant les qualifs et qui sont sorties au premier tour. L’important dans le football, c’est d’arriver à atteindre son objectif final, voilà tout.
Et cet objectif, justement, ça a toujours été d’aller jusqu’en finale ?
À partir du moment où on a toutes les cartes en main, et qu’on a la possibilité de finir premiers de notre poule en battant le Cameroun, bien sûr qu’on y croit. On est des compétiteurs, il faut toujours viser haut. Je me rappelle qu’avec la Zambie, en 2012, on ne gagne pas un match de préparation, mais on soulève le trophée à la fin. Tant que c’est possible, il faut y croire, et peu importe les commentaires qui disent que c’est la fin du monde.
Quel match a été le plus difficile, selon vous ?
Je pense que c’est quand même la finale, car il y avait de la tension, de la fatigue, de la peur. Ça rend forcément ce genre de match délicat à gérer.
À l’approche de la finale, est-ce que vos joueurs n’étaient pas trop tétanisés, eux qui restaient sur deux échecs en finale ?
Non, puisqu’on leur avait bien dit de ne pas se focaliser là-dessus. Au contraire, même, les échecs sont toujours bénéfiques, et vu qu’on était face à un adversaire qui avait lui aussi perdu ses deux dernières finales, on était tous dans les mêmes dispositions. En plus, la dernière victoire de la Côte d’Ivoire, en 1992, c’était contre le Ghana…
La peur n’était même pas présente lors des tirs au but ?
On l’avait préparé, ça. Je leur ai toujours dit qu’on pouvait se retrouver dans la situation où l’on devrait jouer les tirs au but pour remporter le trophée. Il faut toujours se persuader que cette fois c’est la bonne et là, ça a fini par passer.
Après les deux premiers tirs au but ratés, la doute a quand même dû s’installer, non ?
Ah bah oui, c’est certain. Mais ça prouve qu’il ne faut jamais renoncer, c’est une belle leçon à retenir. Ça devait sûrement être écrit quelque part que cette CAN était pour nous.
Vous étiez dans quel état d’esprit, personnellement, à ce moment-là ?
J’étais très inquiet, forcément. Je me suis dit qu’on allait quand même pas encore passer au travers. Et puis on arrive à revenir à 2-1, et là, tout redevient possible, la pression va sur les épaules des adversaires et on recommence à y croire. Après, voilà, tout se joue au terme d’une longue séance, ce qui d’ailleurs fait le charme de ce sport. C’est juste fantastique…
Au moment du tir au but victorieux, la délivrance a été vraiment intense ?
Ouais, bien sûr. La Côte d’Ivoire attendait cette CAN depuis trop longtemps, donc évidemment ça a été un moment magique.
Vous avez effectué une très belle danse avec vos joueurs, à la fin du match, c’était quelque chose de prévu ?
(rires) Je n’ai jamais été un danseur. Je suis allé voir les spectateurs et je suis tombé sur le clan de Serge Aurier (rires) qui m’a attrapé et m’a arraché la chemise, d’ailleurs, de moi-même, je ne me serais jamais permis de me mettre torse nu. Et puis, voilà, on s’est mis à danser de façon très spontanée. Dans ce genre de moment, tu ne fais même plus attention au monde qu’il y a autour, on est juste entre nous, en train de fêter le titre comme des enfants. C’est vraiment quelque chose de magique.
D’ailleurs torse nu, on a vu que vous étiez très bien entretenu.
Ça ne m’a pas plu qu’on m’arrache la chemise, j’aurais préféré que ça n’arrive pas, car je sais que certaines personnes vont encore saisir l’occasion pour me critiquer. Mais bon, c’est comme ça, les joueurs me l’ont enlevée. Mais j’ai tout de suite demandé un maillot à un joueur pour ne pas rester comme ça.
Après cette victoire, vous avez dit quelque chose de particulier à vos joueurs ?
Je leur ai dit merci, tout simplement. Les longs discours ne servent à rien, on a beaucoup parlé tout au long de la compétition, là je n’avais rien d’autre à leur dire, juste merci. Je les ai remerciés pour leur discipline qui a été parfaite, contrairement à ce que l’on a pu dire. Je n’ai jamais été négatif avec cette équipe, quand on fait trois finales de CAN, en 2006, 2012, puis 2015, avec trois qualifications consécutives pour la Coupe du monde, il faut arrêter les critiques. De toute façon, les victoires finissent toujours par arriver quand on est régulier, regardez l’Allemagne qui a été championne du monde après deux demi-finales perdues. C’est comme ça, le football, il faut persévérer, rien ne se fait en un jour.
Comment s’est passé le retour à Abidjan ?
Exceptionnel ! Il n’y a pas vraiment de mot pour décrire ce qu’on ressent. J’avais essayé de traduire ça aux joueurs avant la finale, en leur disant qu’on était tout proches de vivre quelque chose d’indescriptible. Quand on gagne dans un club, c’est beau, mais quand on gagne avec un pays, c’est beaucoup plus fort, il y a toute une nation qui est fière de ses couleurs. J’ai juste dit à mes joueurs de vraiment savourer les deux jours qui suivaient la victoire, car après ça s’estompe un peu, mais ces deux jours-là sont particulièrement intenses. La joie d’avoir procuré autant de bonheur à autant de gens, c’est vraiment particulier, on ne peut pas s’en rendre compte tant qu’on ne l’a pas vécu, c’est trop fort, il n’y a pas de mot.
Vous, personnellement, vous remportez votre deuxième CAN avec deux pays différents. Vous êtes définitivement entré dans l’historie du football africain.
Tous les records sont faits pour être battus, il y a quelqu’un qui fera mieux que moi dans un avenir plus ou moins proche, c’est comme ça. J’essaie de faire du mieux possible partout où je vais. Mon ambition, en prenant la tête de la Côte d’Ivoire, c’était évidemment de remporter cette CAN, on a toujours envie de gagner, de réussir, c’est notre moteur. La victoire est ce qui nous anime quotidiennement, sans ça on tomberait dans la facilité. Je suis fier de ce que j’ai fait, c’est certain, mais peut-être que je ne réalise pas complètement. Après, il ne faut pas oublier les gens qui ont rendu ça possible, comme mon adjoint Patrice Beaumelle, qui est toujours à mes côtés et qui fait un travail remarquable. Il y aussi Gilles Morisseau, l’entraîneur des gardiens, et tout un staff qui a permis cette magnifique aventure.
Qu’est-ce que vous allez faire, maintenant ?
Je suis sous contrat avec la Côte d’Ivoire pendant encore un an et demi, après on sait très bien que parfois les choses vont vite dans le football. C’est un milieu fait d’offres et de demandes, et si jamais je reçois une offre qui m’intéresse sportivement, je suis prêt à m’asseoir et à discuter pour regarder tout ça de plus prêt. Actuellement, je suis toujours sous contrat avec la Côte d’Ivoire et je savoure encore ce formidable succès, et puis pourquoi pas continuer ici, d’ailleurs. Pour être honnête, je ne me pose pas trop de question pour l’instant. On verra bien.
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