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Olivier Soler : « Le football est comme un boulet qui me poursuit »

Par Théo Denmat
8 minutes
Olivier Soler : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Le football est comme un boulet qui me poursuit<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Il aime le Perrier-menthe, Michael Isabey et Giorgio Chinaglia. Olivier Soler, qui campe depuis 2010 le rôle d’Antoine Loriot dans la série de France 3 Un Village français, est un homme de goût, mais surtout le neveu d’un certain Gérard, international français et ancien président délégué de Saint-Étienne. Un statut qui, derrière le « carton-pâte » peut provoquer des sentiments divergents. Et en venir à comparer Dany Boon à Diego Maradona.

Dans quelle mesure le comédien que vous êtes est-il footballeur ?Il y a un truc que j’aime, c’est une équipe. Là, je termine un tournage avec une vraie équipe de tournage, il y a un côté affectif qu’on peut retrouver parfois en famille, à sortir des conneries en dehors du plateau comme on les sort dans un vestiaire. J’aime bien être seul, mais bizarrement, cette envie d’être à un moment dans un groupe – équipe de tournage, équipe de foot ça porte le même nom – parfois, c’est chouette, oui. Il y a une notion de collectif. Dans les deux métiers, on ne fait pas grand-chose tout seul. (Silence) De toute façon, l’identité du football est comme matérialisée chez moi par une personne de la famille. C’est pas forcément Gérard, mon oncle, c’est comme un truc qu’on connaît. Si j’avais eu des parents horlogers, je pense que j’aurais entendu des tics tacs tout le temps, et en rentrant chez les gens j’aurais eu le réflexe de regarder leurs montres. C’est comme ça, on n’y peut rien. Mais… est-ce que le football continuera à me poursuivre ? Ça, je n’en sais rien.

Vous avez commencé à me raconter par téléphone l’histoire du premier but de votre oncle, Gérard Soler, après la mort de votre père lorsque vous aviez treize ans. Et qui arrive à une occasion spéciale… Le foot pour moi, c’est comme un boulet qui me poursuit. Parfois. Quand je dis boulet, pardon, hein. J’aime profondément le football en tant que spectateur. Mon papa est mort quand j’avais treize ans. Il est mort au mois de mars. Et…(il compte sur ses doigts, ndlr) mars, avril, mai, juin. Trois mois plus tard, mon oncle marquait le premier but de la France à la Coupe du monde 1982, contre l’Angleterre, à Bilbao. Et il y avait cette joie énorme de voir la France et mon oncle marquer, mais d‘un coup, les cartes se sont un peu brouillées. Vous êtes déchirés entre le bonheur d’un but de football et l’abstraction d’être heureux quand vous venez de vivre un drame. C’est étrange. C’est chouette de s’en remettre, le deuil il est important. Mais là, c’est comme si j’avais vécu un bonheur qui ne me concernait pas, comme si je ne me laissais pas le droit d’être heureux. Et j’étais déchiré entre le fait de voir les adultes fêter ça, lever les bras. Et moi le faire spontanément, et être rattrapé par la douleur du drame que je venais de traverser. Malheureusement, je venais de vivre un truc qui allait me poursuivre longtemps, et avant de me faire décoller les pieds du sol, il fallait vraiment y aller. Gérard Soler ne joue pas la demi-finale contre la RFA à Séville, c’est d’ailleurs le seul match auquel il ne participe pas… Il est remplacé par Didier Six comme titulaire. C’était un peu un chaud, un peu un castagneur. Donc on le voit à deux reprises, calmé par Hidalgo je crois, sortir du banc pour aller se jeter dans la fosse aux lions, et peut-être mettre un ou deux taquets. (Silence) Je crois qu’il y avait déjà en moi, à ce moment-là, ce rapport au théâtre et à la dramaturgie. C’est ce qu’amène le football. Le football c’est parfois encore plus beau : on est sûr de ne pas lire le scénario avant, voyez.

Il y a de très mauvais acteurs qu’on trouve merveilleux. C’est comme les entrées. On pourrait se dire qu’un type qui fait vingt millions d’entrées est forcément un bon acteur. Ça voudrait dire qu’on est obligé de comparer Dany Boon à Maradona, et j’ai un peu de mal.

Et d’ailleurs, vous avez inséré un peu de ce football-là dans le spectacle que vous avez joué en 2013, L’heure d’après. J’ai créé un spectacle autour du deuil du père et du football. D’ailleurs, dans ce spectacle, le type se retrouve forcé d’aller jouer au foot et il ne veut pas lever les bras. Parce qu’il ne comprend pas la nécessité de le faire alors qu’il y a d’autres choses plus graves qui se jouent. Même quand il marque un but, il ne veut pas les lever. C’est un personnage en résistance, qui, je crois, exprime ce que j’aurais pu exprimer en étant enfant. Résistance par rapport au foot, pas imposé, mais tout de même très présent. Et résistance par rapport à la mort, parce que ça touche tout le monde. Et dans cette pièce, j’ai joué ce personnage éclaté, partagé entre le football et un horizon qu’il a du mal à entrevoir.
Un footballeur peut vivre de coups d’éclat. Dans le métier de comédien, on peut être moyen 50% du film ou de la pièce et devenir quelqu’un ? La différence entre le jeu et le sport, c’est que le jeu est trop subjectif. Il y a de très mauvais acteurs qu’on trouve merveilleux. C’est comme les entrées. On pourrait se dire qu’un type qui fait vingt millions d’entrées est forcément un bon acteur. Ça voudrait dire qu’on est obligé de comparer Dany Boon à Maradona, et j’ai un peu de mal. Vous voyez ce que je veux dire ? Maradona, on voyait le talent brut. Quand je vois Dany Boon jouer, avec toute la sympathie qu’on a pour le garçon, (il souffle) c’est abstrait pour moi en matière de jeu. Il y a ça d’irrationnel dans le cinéma. Au foot, pour plaire, vous êtes obligé de faire des gestes incroyables. Dans notre métier, pour plaire… ce n’est pas vous qui choisissez. Vous pouvez plaire en jouant mal. Et encore, c’est très subjectif tout ça : qui décide de qui joue mal ? Dans le sport, c’est moins subjectif. Même quelqu’un de néophyte peut s’apercevoir du talent d’un mec. De son agilité, de sa rapidité, des buts qu’il va marquer. On peut se reposer sur des statistiques. Un très bon acteur peut être dans un cinéma d’auteur et être moins remarqué. Vous avez réalisé en 2006 des portraits de joueurs de foot pour la chaîne Foot School TV. Il a des joueurs qui vous ont marqué ? Positivement ou négativement, d’ailleurs. J’avais adoré le faire avec Demba Ba, qui est un mec super chouette avec un parcours intéressant. Il y a un joueur qui m’a beaucoup touché, je me souviens… comment s’appelait-il ? Michaël Isabey. Une espèce de douceur comme ça, quelque chose de presque enfantin dans la voix. Très, très touchant. Très fragile et fébrile au moment où je l’ai rencontré. Et ça aussi c’est intéressant. De voir les natures s’exprimer différemment, et sur un terrain notamment. On pouvait avoir affaire à un super bagarreur, et quand vous lui parliez, il s’exprimait presque avec la sensibilité d’un petit garçon. Je ne suis pas journaliste du tout, alors c’était facile pour moi de mettre une caméra avec un gars et de parler humain, de parler de la vie avec eux.

J’ai une faiblesse pour les cons, et pour les mecs qui mènent un autre combat que celui qu’ils ont à mener.

Vous avez joué en 2014 dans Le Monde de Fred, un film dans lequel vous incarnez un journaliste sportif et réalisateur frustré, qui enchaîne des portraits de joueurs de football sans grand intérêt. Ça fait beaucoup de points communs avec votre parcours, dans quelle mesure vous en êtes-vous inspiré ? Le cinéma croise cette histoire, une fois de plus. J’étais à Munich, en train d’interviewer Ribéry et je sais plus qui pour ces portraits à la télé…
Et Daniel Van Buyten.Voilà et Daniel. Et une réalisatrice avec qui j’avais déjà travaillé pour Canal+ m’appelle et me dit : « Qu’est-ce que tu fous en Allemagne en train de faire des portraits de joueurs de foot ? » J’étais dans un hôtel pas joyeux. Quand elle m’a posé la question, limite je ne savais plus quoi lui répondre. Le décalage avec mon métier de comédien… donc on a explosé de rire, et je me suis dit que cette abstraction que je venais de ressentir, il faudrait en faire un truc. Bizarrement, je me replaçais moi dans ce que j’avais vécu enfant. C’est-à-dire dans ce grand écart entre le foot et mon univers à moi. Et puis le type qui m’accompagnait, un vrai chef op’ de cinéma, a commencé à faire des images de moi sans me le dire quand je dormais dans le train. Plus tard on était devant la télé à l’hôtel, je lui dis de venir voir un truc incroyable : il y avait une nana avec les seins à moitié à l’air en train d’organiser un jeu, et le fond de l’écran, c’était des balles de tennis jaunes. Le tout en allemand. Et devant l’abstraction de ce spectacle improbable, il est venu filmer ça aussi. Et ça a été le point de départ du Monde de Fred. C’est un film fait de bric et de broc pour lequel j’ai beaucoup de tendresse. Vraiment. Vous êtes un amateur de photos et de peinture, et pourtant vous n’avez pas d’œuvre représentant des footballeurs chez vous. Il n’y a pas une figure dans le foot qui ressort à vos yeux ?J’aimais la folie destructrice de Best. Moi, c’est l’humain que je cherche. Il y avait un joueur, Giorgio Chinaglia, un type qui avait des fusils de chasse. Un grand malade qui a fini sa carrière au Cosmos de New-York. Beau gosse. Mais apparemment un gros connard qui ne pensait qu’à lui, imbu de sa personne… Lui, pour lever les bras, il les levait tout le temps et puis il faisait le tour du terrain, voyez. Puis Garrincha qui a une histoire de dingue, aussi. Et Maradona s’il ne devait en rester qu’un. J’ai une faiblesse pour les cons, et pour les mecs qui mènent un autre combat que celui qu’ils ont à mener.

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