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Les leçons tactiques de France-Portugal

Par Markus Kaufmann
5 minutes
Les leçons tactiques de France-Portugal

Pour le premier amical contre l'Espagne, Deschamps avait choisi de sacrifier les montées de Matuidi au nom de la liberté de Pogba. Cette fois-ci, retour à la configuration du Mondial brésilien : c'est au tour de Matuidi de jouer libre. Pogba allait-il trouver l'espace suffisant pour dominer le milieu ? Quelle allait être la participation (tant attendue) de Griezmann au jeu par rapport à Valbuena ? Allait-on remarquer l'absence de Sissoko à droite ? Cabaye allait-il convaincre devant la défense face à une équipe à l'aise en contre ?

Il y a une certaine influence allemande dans cette façon de faire permuter les quatre joueurs français les plus offensifs. Une certaine cohérence avec le football moderne, aussi. Celui des postes qui ne veulent plus rien dire, celui de Benzema, Müller et Cristiano. Hier, alors que Messi – joueur d’une autre planète, mais aussi peut-être d’un autre temps – aura buté sur une défense brésilienne quelconque sans même essayer de s’associer avec ses coéquipiers, Benzema aura passé le ballon 34 fois sur 48 prises de balle. Sans oublier de marquer son but et d’en offrir un à Pogba. Un attaquant meneur dans le même style qu’Ibrahimović époque parisienne. Ce n’est donc pas une surprise de voir Matuidi s’épanouir à ses côtés.

Une animation offensive à l’image de Benzema

En juin dernier, Cesare Prandelli était parti au Brésil sans aucune pointe centrale, défendant son choix ainsi : « Cela fait partie de la transformation du football, c’est un principe dont je suis convaincu. Nous ne voulons pas donner de repères à l’adversaire, nous voulons faire diversion, sinon j’aurais appelé Gilardino et Toni. » Malgré l’échec total du Mondial italien, c’est un principe que continue à suivre Didier Deschamps. À tel point que c’est devenu la principale caractéristique de l’identité de jeu de ces Bleus (d’autant plus depuis l’absence de Ribéry) : une attaque qui ne donne aucun repère aux défenseurs adverses, à l’image des mouvements du Gato Benzema. Dès la dixième seconde, Matuidi se lance à gauche devant son avant-centre distributeur. Deux minutes plus tard, l’action qui mène au premier but est typique de l’animation offensive mise en place cet été au Brésil : une percée de Matuidi à gauche, un appui sur la finesse technique de Griezmann, Pogba qui reste en retrait, Valbuena qui avait lancé le ballon sur un côté à partir du cœur du jeu, et enfin Benzema dans la surface. Trois minutes plus tard, Griezmann redescend en bas pour participer à la relance, puis remonte tout en haut, côté droit. Il terminera le match à 40 passes, contre 13 en une heure contre l’Espagne (avec une possession plus faible, certes).

Même face à une équipe portugaise qui peut compter sur la lecture du jeu de Tiago, la France de Deschamps ne se laisse pas déchiffrer facilement : d’une action à l’autre, Valbuena joue dans l’axe puis s’écarte à gauche, Griezmann débute à gauche et vient ensuite compenser le manque de poids du couloir droit, Benzema est toujours insaisissable, et enfin Matuidi brise les lignes portugaises dès qu’un espace appelle ses longues enjambées. Même Varane se permet quelques montées. Bilan : il y a de quoi se créer des occasions contre n’importe qui. Mais ce désordre organisé autour de déviations de balle plus ou moins risquées, la grande majorité des actions bleues finissent par dépendre d’une part de la qualité de la première passe verticale, et d’autre part des prises de décision d’Évra, tantôt très bonnes, tantôt très mauvaises. Malgré tout ce mouvement, presque toutes les occasions bleues restent des centres tendus venus de la gauche. Il faut varier, notamment à droite et dans l’axe, même sans Sissoko, qui a beaucoup manqué au couloir droit. Évra aura touché 67 ballons (et deux positions de hors-jeu, plutôt bon signe), contre 47 seulement pour Sagna. Enfin, pour compenser tous ces mouvements, Deschamps donne le sale boulot à Cabaye et Pogba.

Paul Pogba a deux ans pour devenir Yaya Touré

Si l’ex-joueur d’Alex Ferguson est le sacrifié des schémas actuels de Deschamps, où il se retrouve à jouer un rôle de milieu bagarreur plutôt qu’inspirateur de jeu, c’est peut-être tout simplement parce que DD croit en lui. Aux côtés de Cabaye, dans un poste de milieu intérieur droit qui finit toujours par devenir un deuxième milieu central dans le faux 4-2-3-1 bleu, Pogba a plus l’occasion de mettre des coups d’épaule à Cristiano que des lucarnes. Seulement, c’est dans ce rôle qu’il a dans ses pieds les solutions aux 3 principaux défauts de l’équipe de France. D’une part, la première passe verticale bleue, en direction généralement de Valbuena ou Benzema. Plus il saura faire la différence avec une passe laser, à la Vieira from Senegal for Arsenal, plus les Bleus seront offensifs dès la récupération, notamment avec l’option B d’un avant-centre dans la profondeur.

D’autre part, le pressing. Dans une distribution des rôles qui fait penser à une charnière centrale, avec Cabaye à la couverture et Pogba sur l’homme, le natif du 77 doit devenir le grand méchant de l’axe. Coups, vice, savoir-faire, Thiago Motta, Mark van Bommel, Javier Mascherano. Enfin, le plus difficile, la gestion du jeu. Si Deschamps insiste à le faire jouer ailleurs que dans sa facilité turinoise, c’est parce qu’il sait qu’il peut dominer l’axe. Hier, la Pioche a réalisé 77% de passes réussies, c’est-à-dire 23% de passes ratées et des balles perdues. Surtout, il n’a pas pris assez de responsabilités au cœur du jeu : si Matuidi est le Bleu qui touche le plus de ballons, c’est logique que la formation penche à gauche. Pogba peut initier, avec l’aide de Valbuena, Griezmann et Cabaye, le rééquilibrage.

Et l’apparition d’un pressing collectif…

Le deuxième trait caractéristique de l’identité de jeu des Bleus de Deschamps, aperçue surtout en début de match hier, est la participation collective à la phase défensive. C’était un objectif de longue date du champion du monde 98. Samedi soir, la France a pressé haut, à l’image d’un Griezmann très actif, et la France a pressé avec insistance, à l’image d’un Benzema venu récupérer des ballons dans son propre camp. Par rapport au Portugal, le contraste est notable. Bilan : si les Bleus pouvaient compter sur un numéro 6 aussi à l’aise à la couverture que Varane le magnifique, Deschamps aurait dans les mains une équipe compacte capable de défendre en bas et en haut, et d’attaquer vite (même si surtout à gauche). Et compétitive ? Dans l’euphorie de son bon match, il a suffi à la France une touche éclair de Cristiano, une maladresse de Mangala, un mauvais marquage d’Évra sur Cristiano et une erreur de Pogba pour se mettre très sérieusement en difficulté. Après une Espagne en destruction, le Stade de France a accueilli un Portugal en éternelle construction. Des idées bien éloignées de toutes les sortes de modernité que pourra accueillir l’Euro 2016.

Un derby, deux grands corps malades

Par Markus Kaufmann

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