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Les leçons tactiques de France-Albanie

Par Markus Kaufmann
6 minutes
Les leçons tactiques de France-Albanie

Hier, au Stade de la route de Lorient, Didier Deschamps a entrepris un nouveau chemin, pour voir : le 4-3-1-2. Toujours un milieu à trois, toujours Mathieu Valbuena au milieu de tout, et toujours Yohan Cabaye devant la défense. Mais une paire de pointes lyonnaises inédite : Benzema-Lacazette. Si c'était le bon moment du fait de la forme des acteurs et du temps qui nous sépare de l'Euro 2016, ce n'était pas vraiment le bon endroit : face au double rideau albanais, les Bleus n'auront jamais pu développer les avantages de ce système.

Le 4-3-1-2, une mauvaise idée contre l’Albanie ?

Face au Portugal, Didier Deschamps avait proposé une équipe de France ne laissant aucun repère à son adversaire : une attaque mobile et dynamique symbolisée par les mouvements de Benzema, mais aussi ceux de Valbuena, Griezmann et Matuidi. Pour atteindre ce quatuor, les Bleus avaient eu besoin d’une bonne verticalisation de Varane, une montée d’Évra ou le jeu long de Cabaye. L’enjeu était là, au niveau des roues arrière, car devant il suffisait de rouler. Mais hier, toute création avant la surface adverse était presque inutile : l’Albanie avait laissé les clés sur la porte, mais était prête à tout pour défendre sa maison. Brassard au bras, Lorik Cana aura mené une ligne défensive parfois composée de six hommes avec rigueur et conviction. Conviction, surtout, parce que les Blancs ont (très bien) joué, avec les idées claires : quatre centraux relativement fixes autour de leur surface, trois récupérateurs, un avant-centre chassant la relance française, et deux latéraux occupant tour à tour le rôle de défenseur et celui d’appui sur contre-attaque. Évidemment, si cela tient, cela se joue sur certains duels gagnés dans la surface, et une poignée d’exploits individuels français manqués. Mais pour les Bleus, cela donne une défense impossible à contourner, malgré la répétition des centres. Même lorsque cinq Français sont à la réception d’un centre, les Bleus restent en infériorité numérique dans la surface du 6-3-1 albanais. Heureusement, ce n’est pas un problème de qualité : le système et les hommes étaient inadaptés.

Avec ce 4-3-1-2 (et même 4-1-2-1-2 pour être précis), Deschamps n’aura pas pu profiter de la profondeur de Lacazette, ni de la vitesse de pensée de Benzema en contre, ni même de la verticalité et la puissance de Sissoko. La France se retrouve alors avec beaucoup d’hommes entre les lignes, mais pas forcément les plus adaptés, notamment Lacazette et Sissoko. Pour décrire le toque de l’Espagne, Míchel – actuel entraîneur de l’Olympiakos – avait utilisé la formule suivante : « L’Espagne, c’est un aquarium. On a beaucoup de gros poissons dans un petit bocal. Regarde bien les poissons, même quand ils sont des milliers dans un mètre carré, ils ne se marchent pas dessus. Ils sont très mobiles. » Ce n’est pas une surprise si Antoine Griezmann, petit poisson formé dans les eaux espagnoles, aura sauvé le match français. Surtout, ce n’est pas une surprise si son offensive victorieuse sera partie d’un côté : dans tout système à deux pointes, il est indispensable que l’une des deux écarte le jeu, pour créer de l’espace et du mouvement (ce que Gignac aura fait, même si Benzema aurait été bien plus habile dans ce rôle). Enfin, cette posture albanaise nuance également tout enseignement sur les consignes de Deschamps quant au pressing de ses hommes. Dommage, car ce schéma permet justement d’installer un pressing naturellement, c’est-à-dire sans forcer des déplacements conséquents, avec deux rideaux de trois hommes.

Mathieu Valbuena et Paul Pogba, création partagée ?

Quand ça coince, comme souvent, c’est Valbuena qui vient faire le plombier du jeu français. Un coup à gauche pour dépanner un latéral sans solution, un coup dans l’axe pour visser un triangle avec Pogba et Benzema, un coup à droite pour aller provoquer et centrer : hier, Valbuena aura « retapé » le jeu français en première mi-temps. Très en jambes, le Moscovite aura proposé d’innombrables une-deux et accéléré le jeu dès qu’il pouvait. Autour de lui, Benzema aura proposé ce qu’il pouvait et Pogba, très à l’aise pour créer des décalages et de la vitesse dans cette position de milieu gauche (en l’absence de Matuidi), aura toujours proposé une ligne de passe supplémentaire vers l’avant. À noter qu’en deuxième mi-temps, Pogba a dicté le jeu. Un bon signe pour la diversité offensive française.

Enfin, si la seule activité de Valbuena n’aura pas suffi, c’est aussi du fait des difficultés à créer de la profondeur sur les côtés. Alors que Matuidi est devenu un spécialiste de ces appels vertigineux qui viennent mettre en difficulté à la fois le milieu défensif et le central, Sissoko et les latéraux français n’auront jamais réussi à percer la muraille (et le mérite revient aux Albanais). Si Gignac aura échoué sur le côté gauche, Lacazette sera passé à côté d’une belle opportunité en dézonant bien trop souvent vers le jeu et donc l’axe (un réflexe compréhensible pour se montrer ?) : les Bleus auraient certainement été aidés par une présence supplémentaire dans la surface.

Occasions subies et coups de pied arrêtés

La muraille aura su se défendre, mais aussi attaquer. Avec seulement 36% de possession à la fin de la première mi-temps, les Albanais auront tout de même réussi à produire six tirs et à obtenir six corners. De ces tirs, deux proviennent de corners, deux autres de coups de pied arrêtés et enfin deux de tirs lointains. Il faut espérer que cette facilité à encaisser des buts sur coups de pied arrêtés tient du caractère amical de ces rencontres, et c’est possible : Deschamps aura par exemple surpris en réalisant deux changements sur un corner à défendre. Des deux tirs dans le jeu, le premier est inespéré, et l’autre plus inspiré vient d’une perte de balle dangereuse de Jallet. Sur les quatre premiers, le positionnement des latéraux français est à remettre en cause.

Placés très haut durant l’ensemble de la première mi-temps, Digne et Jallet auront laissé derrière eux un énorme espace pour que les Albanais puissent contre-attaquer confortablement vers l’avant, sans faire face à une formation compacte et oppressante. Et malgré les bons jaillissements de Varane et de Yanga-Mbiwa, les Bleus ont souffert bien plus que prévu, principalement pour trois raisons. D’une part, l’implication de Sissoko et Pogba autour de la surface adverse. De deux, le 4-3-1-2 exige une dynamique offensive intense des deux latéraux. C’est Cafu et Serginho dans le Milan d’Ancelotti, Maicon et Maxwell dans l’Inter de Mancini, ou même Kurzawa l’an passé au service du Monaco de Ranieri. Les mouvements de Jallet et Digne étaient donc peut-être exagérés, mais compréhensibles dans la logique du schéma utilisé.

Yohan Cabaye en six : fautes à répétition et perte d’intensité des Bleus

De trois, les Bleus ont surtout souffert du manque de protection de leur défense. Si un latéral plus conservateur aurait aidé la paire Yanga-Mbiwa – Varane, Yohan Cabaye n’est pas un milieu fait pour un tel système. Aidé par Pogba dans le 4-2-3-1, il apporte son jeu long (qui a du sens du fait de la présence d’ailiers) et une certaine habileté dans la gestion de la possession – mobilité et bonne technique – pour compenser le fait de n’avoir « que » deux milieux. Mais seul devant la défense, Cabaye court trop, commet des fautes évitables – un six qui défend avec les mains ? – et ne donne pas d’équilibre. En un seul duel gagné sur une transition albanaise, Morgan Schneiderlin aura été plus utile aux Bleus que tous les longs ballons de Cabaye hier. Ainsi, devant la défense, la France n’a pas encore trouvé l’autorité qu’elle a sur les autres lignes (Varane, Pogba, Benzema). La conséquence ? Les Bleus auront donné beaucoup d’hommes à la manœuvre offensive et c’est valeureux, mais ils auront surtout perdu énormément de temps à remettre en place ces offensives, alors qu’un autre schéma et/ou d’autres hommes auraient pu leur permettre de maintenir plus de contrôle sur le rythme du match, faire moins d’efforts à la récupération et attaquer avec plus d’intensité.
Le compte-rendu du match France-Albanie

Un derby, deux grands corps malades

Par Markus Kaufmann

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