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Brendan Rodgers : de l’entrepôt au Paradise
Arrivé en début de saison à Glasgow pour relancer sa carrière d’entraîneur, Brendan Rodgers est en passe de gagner son pari. Déjà vainqueur de deux trophées, il pourrait mener le Celtic vers son premier triplé depuis seize ans en cas de victoire le 27 mai face à Aberdeen en finale de la coupe d’Écosse. Tout un symbole pour celui qui, longtemps considéré comme un espoir du foot nord-irlandais, a vu sa carrière stoppée par une blessure au genou et a dû passer ses diplômes d’entraîneur tout en travaillant dans un entrepôt. Retour sur son parcours depuis Carnlough, son village natal.
Située à 45 km au nord de Belfast, Coast Road est sans doute la route la plus célèbre du tourisme nord-irlandais. Étroite et sinueuse, elle traverse les fameux Glens of Antrim, une série de vallées qui donne l’impression de se jeter directement dans la mer d’Irlande. Carnlough est le deuxième village sur le parcours des Glens. Avec une population d’à peine 2000 habitants, il pourrait être l’endroit parfait pour toute personne en quête de tranquillité. En journée, le nombre de voitures qui traversent le village en une heure se compte sur les doigts d’une main. Les seuls bruits que l’on entend sont le cri des mouettes et celui des vagues qui, entraînées par le vent, viennent mourir violemment sur les côtes du village. À 16h, la vie à Carnlough s’anime un peu. Les enfants quittent l’école et se ruent au « Quay Treats » , l’endroit phare pour déguster des glaces. Son propriétaire ne souhaite pas nous donner son prénom, mais il admet avoir eu un client un peu particulier récemment : « Brendan Rodgers est venu ici avec ses enfants il y a quinze jours. Après le match de coupe face aux Rangers, il est revenu au village pour un mariage. On le voit régulièrement, c’est une fierté pour nous. »
En effet, c’est ici, à une heure au nord de Belfast, que l’actuel manager du Celtic a vu le jour il y a quarante-quatre ans. Il est né d’un père catholique et d’une mère protestante, à une époque où un conflit religieux souvent sanglant entre ces deux branches du christianisme faisait régner la terreur sur l’Irlande du Nord. « Ce conflit a bien évidemment touché Carnlough, mais je ne me rappelle pas vivre dans la peur comme cela pouvait parfois être le cas à Belfast » , explique Tom, habitant de Carnlough depuis soixante-dix ans, croisé à l’entrée du « Waterfall » , l’un des pubs du village où l’on trouve de nombreuses photos de la star locale. Sa famille semble également avoir tenté d’éloigner le jeune Brendan du conflit, comme l’avait expliqué il y a quelques années Nigel Worthington, l’ancien sélectionneur de l’Irlande du Nord, cousin de Brendan Rodgers, dans les colonnes du Belfast Telegraph : « Le fait que son père soit catholique et sa mère protestante n’a jamais joué aucun rôle dans sa vie. Ils ont tout fait pour que la religion n’ait aucun impact sur Brendan. »
Hurleur avant d’être footballeur
Le futur manager du Celtic a de toute façon d’autres préoccupations. Dès l’âge de 10 ans, il passe la majorité de son temps sur les terrains du club de sports gaéliques du village, le Shane O’Neill’s, où il s’impose rapidement comme l’un des meilleurs joueurs de hurling du club. Eamon Mathews, qui a joué avec Rodgers dans les équipes jeunes, se souvient d’un enfant dont l’intelligence tactique n’avait pas d’égal. « La chose qui m’a tout de suite marqué, c’est qu’il était capable de lire le jeu parfaitement. Il pouvait jouer à plusieurs positions défensives et on l’entendait donner des instructions à tous ses partenaires. Je sais qu’il n’aime pas quand je dis ça, mais il n’était pas très rapide. En revanche, ses connaissances tactiques lui permettaient d’avoir toujours un temps d’avance sur ses adversaires. » Problème, le Shane O’Neill’s ne pourra disposer des services de Brendan Rodgers trop longtemps. Passionné de football, il souhaite devenir professionnel et comprend rapidement qu’il ne pourra pas continuer à pratiquer deux sports. Dès lors, à 15 ans, il écoute son club de foot qui lui demande de stopper les sports gaéliques. Il plaque donc le hurling pour se consacrer entièrement au football, et accessoirement, s’éloigner encore un peu plus du conflit nord-irlandais. « La GAA (Gaelic Athletic Association, ndlr) a joué un rôle important dans la guerre d’indépendance irlandaise. Porter un maillot de hurling à cette époque pouvait être perçu comme un signe nationaliste et vous pouviez avoir de sérieux problèmes si vous ne croisiez pas les bonnes personnes, détaille Mathews. On se devait de faire attention à ne pas trop montrer nos maillots quand on sortait du terrain. »
Le Modrić de Ballymena
Brendan Rodgers, lui, poursuit sa route dans le club de football de Ballymena, au sud-ouest de Carnlough, une ville qu’il connaît bien puisque c’est là que ses parents l’avaient déjà envoyé étudier au collège Saint-Patrick. Mais c’est par ses performances sur le terrain qu’il va véritablement se faire un nom. Les dirigeants du Ballymena United pensent rapidement détenir une future pépite du football nord-irlandais. « Je pensais vraiment qu’on le verrait un jour avec le maillot de la sélection nationale » , explique Arthur McClean, son coach pendant ses années à Ballymena. Il était plus intelligent que la moyenne, capable de lire et de contrôler le jeu à lui tout seul. Une sorte de Modrić ou de Xabi Alonso. On avait de grands espoirs pour lui. »
À 18 ans, Rodgers est recruté par Reading pour continuer sa progression avec l’équipe réserve. Une évolution qui s’arrêtera deux ans plus tard à cause d’une malformation au genou. La suite impose le respect. Stoppé dans ses rêves, il traverse l’Angleterre pour évoluer dans des clubs amateurs et se concentrer sur son futur objectif : devenir entraîneur. « C’est cette période qui m’a fait : j’étais un jeune joueur, je devais quitter le football et à cette époque, je ne pouvais pas faire grand-chose d’autre. Mais j’avais une famille à faire vivre. Donc j’ai trouvé un travail à John Lewis, dans leur entrepôt principal, en même temps que je passais mes diplômes d’entraîneur » , déclarait-il au Belfast Telegraph en début d’année.
Peu connue à l’étranger, son histoire fait néanmoins la fierté du comté d’Antrim, où se trouvent Ballymena et Carnlough, les deux villes qui l’ont vu grandir. À tel point que le collège Saint Patrick de Ballymena a plusieurs fois décidé d’inviter Brendan Rodgers à raconter ses aventures devant les élèves, comme le précise Catherine Mgagie, la directrice du collège Saint Patrick : « On lui a demandé de venir et il a toujours accepté nos invitations. Je crois que son histoire peut être très utile à nos élèves. Elle montre que même quand vous venez d’un petit village d’Irlande du Nord, si vous travaillez dur, vous pouvez atteindre vos objectifs. » Le prochain pour Rodgers, rejoindre un autre manager nord-irlandais dans la légende du Celtic : Martin O’Neill, dernier entraîneur à avoir offert un triplé aux « Hoops » .
Par Charles Thiallier, à Carnlough