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« J'ai envoyé un cœur et le drapeau de la Suède à mon beau-père »

Propos recueillis par Matthieu Pécot

Yassine Benajiba, dont la belle-famille est suédoise, était devant sa télé, lundi, lors de ce Belgique-Suède qui s'est arrêté à la mi-temps à cause d'un attentat perpétré plus tôt dans la soirée à Bruxelles, sa ville natale. À 38 ans, le Belgo-Marocain, ancien milieu offensif passé notamment par Mouscron, la Jeunesse Esch et le F91 Dudelange, revient sur cet événement.

«<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>J'ai envoyé un cœur et le drapeau de la Suède à mon beau-père »

Que représente un Belgique-Suède pour toi ?

Un Belgique-Suède, c’est toujours un match particulier chez nous. Mon beau-père est suédois, il va encore régulièrement à Karlshamn, au sud du pays. Mon épouse s’y rend aussi depuis qu’elle est toute petite, ses parents ont un chalet là-bas. J’ai deux garçons et une fille, tous les trois jouent au foot. Alors avant un match entre la Belgique et la Suède, c’est un bon moment en famille. Avant ce Belgique-Suède, sur le groupe Whatsapp « Ma petite famille », chacun envoie ses commentaires. Mon beau-père envoie une photo de ses chats allongés dans un grand drapeau de la Suède, les enfants répondent avec un petit mot, rien d’exceptionnel.

Le seul moment d’espoir de la soirée, c’est quand tu vois 30 000 supporters de la Belgique chanter “Sweden, Sweden” et les Suédois leur répondre “Belgium, Belgium”.

Yassine Benajiba

Et puis le match commence…

La Suède joue bien, même un peu mieux que la Belgique, qui ne faisait pas un match incroyable, mais égalise quand même. Je me dis qu’en deuxième mi-temps, la Belgique va se réveiller après le discours de Tedesco. Pendant la mi-temps, je coupe le son de la télé. Au bout d’un moment, je dis : « Quelqu’un a changé la chaîne ? » Et puis je me rends compte que ça fait plus de quinze minutes, le match n’a pas repris et je vois un bandeau « édition spéciale ». Avec ma femme, on est dégoûtés. La première chose à laquelle je pense, c’est que j’espère qu’on ne va pas encore entendre un nom à consonance maghrébine. On ne devrait pas se sentir concernés, mais c’est comme ça, on ne peut pas y échapper. Le mec parle en notre nom, se revendique de notre religion, et on sait que dans ces moments-là, il y a énormément d’amalgames, de racisme, que j’ai moi-même pu expérimenter. Alors j’espère que c’est un détraqué, mais qu’il n’a pas mon apparence… Le seul moment d’espoir de la soirée, c’est quand tu vois 30 000 supporters de la Belgique chanter « Sweden, Sweden » et les Suédois leur répondre « Belgium, Belgium ». Vu la manière dont on parle des supporters ces derniers temps, ça fait du bien de rappeler qu’il y a une vraie union et une vraie humanité dans ces cas-là.

En parallèle, tu as aussi ton rôle de père à gérer. Quelles sont les questions que tes enfants te posent ?

Ma fille a 12 ans, mes garçons 15 ans et 6 ans. Ils se sentent belges, marocains et suédois. Ils vont à l’école internationale. Ils portent autant le survêtement de la Suède que celui de leurs deux autres pays. Avec ma femme, on a toujours été énormément dans le dialogue avec eux. On a déjà abordé ce genre de sujet, ce n’est malheureusement pas le premier acte de terrorisme qui vient à leurs oreilles. « Il vient d’où ? » « C’est un terroriste ? » « Pourquoi il fait ça ? » « Il revendique quoi ? » Vu que ce sont mes enfants, je me permets d’aller plus loin, je leur explique que ce sont des gens qui ont une vision erronée de l’islam.

Mon fils aîné, il ne s’appelle pas François, il s’appelle Soulayman Benajiba. Quand il aura un bac+5 et qu’il cherchera un logement ou un emploi, j’ai peur que son nom lui porte préjudice.

Yassine Benajiba

Tu parlais des amalgames tout à l’heure, tu peux nous donner un exemple ?

En Belgique, on écoute tous Vivacité le matin. Le lendemain de l’attentat, la radio était ouverte aux auditeurs. Une prof d’origine marocaine, qui enseigne à Bruxelles, était en pleurs. Elle n’était pas allée à l’école car elle était désespérée, elle parlait des amalgames qui allaient être faits, de l’avenir de nos enfants, des discriminations qui allaient en découler… Juste après, un auditeur belge, disons « pur souche », prend la parole : « Ouais mais bon, faut se rendre à l’évidence, c’est toujours les mêmes, toujours eux. » Le journaliste le reprend et lui dit qu’on est pile dans les amalgames que déplorait la prof juste avant et là, le monsieur lui répond : « Bah qu’elle parle à sa famille ! » Le journaliste ne savait pas où se mettre… Concrètement, mon fils aîné, il ne s’appelle pas François, il s’appelle Soulayman Benajiba. Quand il aura un bac+5 et qu’il cherchera un logement ou un emploi, j’ai peur que son nom lui porte préjudice.

L’assassinat des supporters suédois a eu lieu à la limite entre Bruxelles et Molenbeek. Toi qui es bruxellois et qui as joué pendant cinq ans à Molenbeek, ça te fait quoi que ces noms soient encore associés au terrorisme ?

Je suis triste qu’une minorité de timbrés donne une mauvaise image de Bruxelles. Pour que tu te rendes compte de l’attachement qu’on a à cette ville, ma femme, mes trois enfants et moi sommes nés à Bruxelles. Bruxelles, c’est magnifique, il faut y vivre, c’est une ville multiculturelle. À Molenbeek, il y a énormément de mélange, il se passe de magnifiques choses tous les jours. Il y a une forte communauté maghrébine et musulmane, et ce qui est véhiculé majoritairement, c’est l’amour et la tolérance. Les gens se sentent 100% belges, on est nés ici, on a la mentalité belge ! À côté de ça, il y a des choses glauques. Quand je vois qu’il y a des visites organisées en cars de l’endroit où vivait Salah Abdeslam, des touristes américains qui viennent à Molenbeek pour se prendre en photo… Ce qui est sûr, c’est que moi, j’aimerai toujours autant Bruxelles. Ma femme a grandi à Schaerbeek, là où le mec a finalement été tué. Il était en train de boire un thé en terrasse comme si de rien n’était…

Quand je vois qu’il y a des visites organisées en cars de l’endroit où vivait Salah Abdeslam, des touristes américains qui viennent à Molenbeek pour se prendre en photo…

Yassine Benajiba

Là, il y a quoi dans ta tête ?

La période est dure. Impossible de ne pas penser à tous les morts des civils, en Israël et en Palestine. C’est compliqué de se dire que la paix arrivera sans qu’on ne donne plus de droits aux Palestiniens. Ça fait dix-sept ans que des gens vivent dans une prison à ciel ouvert. La plupart des Israéliens et Palestiniens ne demandent qu’à mettre un terme à tout ça, mais le gouvernement de Netanyahou préfère continuer de faire mener une vie intenable aux Gazaouis.

C’est un sujet qui te tient à cœur. En 2015, tu avais d’ailleurs reçu une sanction de l’UEFA après avoir exhibé un T-shirt en soutien à Gaza en marge d’un match du 2e tour de qualification pour la Ligue des champions entre le F91 Dudelange et Ludogorets (1-1).

Les deux jours précédents, il y avait eu 500 morts en Palestine. À la télé, les images de femmes et d’enfants morts tournaient en boucle. Dans ces cas-là, pour moi, ce n’est pas une question de religion, mais d’humanité. Quand il se passe des choses comme ça, je suis obligé de réagir. À ma petite échelle, au Luxembourg, ça avait permis à des gens de s’intéresser à ce qui s’était passé, certains avaient fait des dons. J’avais été suspendu deux matchs et raté un déplacement à Dublin, mais je ne regrette rien. J’essaye, au plus bas que je suis, de contribuer à ce qu’on puisse aider les Palestiniens. Par exemple, je suis parrain de tournois associatifs. J’ai aussi conscience que moi, je peux parler, mais Mbappé, s’il parle, il va se faire allumer. Et s’il ne parle pas, on va aussi lui reprocher, donc bon…

Comment va ton beau-père ?

Il est triste, dégoûté, écœuré. Sur Whatsapp, je lui ai envoyé un cœur et le drapeau de la Suède. Je commence à bien connaître ce pays. Il y a beaucoup de Palestiniens, d’Irakiens, de nombreux réfugiés vivent en Suède. J’ai eu la chance de discuter avec eux, ils se sentent super bien là-bas. Je suis aussi triste pour eux.

 

Yassine Benajiba (au centre) et son beau-père (à gauche et en fleurs), en pleine réunion de famille.
Yassine Benajiba (au centre) et son beau-père (à gauche et en fleurs), en pleine réunion de famille.
Dans cet article :
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Propos recueillis par Matthieu Pécot

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