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Steve Rotheram (maire de Liverpool) sur Hillsborough : « Le gouvernement a beaucoup de cadavres dans son placard »

Propos recueillis par Thomas Andrei, en Angleterre
Steve Rotheram (maire de Liverpool) sur Hillsborough : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Le gouvernement a beaucoup de cadavres dans son placard<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Le 15 avril 1989, lors d’une demi-finale de FA Cup opposant Liverpool et Nottingham Forest, un terrible mouvement de foule pressait des milliers de supporters des Reds contre les grilles du stade de Hillsborough, à Sheffield. Quatre-vingt-treize d’entre eux mourront étouffés, piétinés ou écrasés, quatre victimes décèderont plus tard. Trente-trois ans après, le maire de la région métropolitaine de Liverpool, Steve Rotheram, se bat pour l’instauration d’une loi, la Hillsborough Law, qui éviterait aux familles de victimes de tragédies de vivre le même calvaire que celles du plus grand désastre de l’histoire du football anglais.

Qu’est-ce que ce projet de loi ? En quoi la Hillsborough Law est-elle nécessaire à vos yeux ?Le but est de rééquilibrer le système judiciaire britannique. La balance penche depuis trop longtemps en faveur des institutions et des agences publiques. On veut offrir à une personne ordinaire qui traverse une tragédie, qui perd un être cher, un accès décent à la justice. Les organisations publiques ont des réserves de financement infinies, alors que les familles n’ont pas les moyens de s’offrir de longues procédures. On aimerait que la défense des familles soit, au moins en partie, prise en charge par les pouvoirs publics. La loi prévoit aussi l’instauration d’un avocat public qui défendrait l’ensemble des familles. On veut mettre en place une charte pour les familles, ainsi qu’un devoir de franchise. (La loi prévoirait que tous les membres des forces de l’ordre concernés par une affaire soient soumis à un devoir de franchise, une disposition juridique qui impose aux officiels de prioriser le bon déroulement du procès plutôt que le verdict les concernant eux-mêmes, NDLR.) Cela surprendra la plupart de vos lecteurs, mais, ici, les fonctionnaires ne sont pas soumis à une obligation de franchise. En d’autres mots, ils peuvent ne pas dire la vérité. Ils n’y sont pas obligés. C’est bizarre, non ? Tu es payé par un organisme public et quand on te pose des questions, tu n’est pas sous serment. Tu n’as pas nécessairement à dire la vérité. Ce ne serait pas surprenant dans le régime de Poutine. Ça l’est un peu plus dans ce qui se veut être une démocratie sophistiquée.

On veut offrir à une personne ordinaire qui traverse une tragédie, qui perd un être cher, un accès décent à la justice.

La proposition de loi remonte à mars 2017. C’est Andy Burnham, alors élu à la Chambre des communes pour la circonscription de Leigh, qui l’avait présentée au Parlement. Pourquoi ce projet est-il né à ce moment-là ?La première fois que j’ai parlé de Hillsborough avec Andy, c’était en 2009. Un jeune supporter d’Everton avait été tué en Espagne, et sa famille n’arrivait pas à rapatrier son corps. Andy, avec d’autres personnes, a d’abord convaincu le gouvernement espagnol de rendre sa dépouille, mais la famille n’avait pas les moyens de payer pour le rapatriement. J’ai donc organisé une collecte de fonds, et on a pu le rapatrier. Andy est aussi fan d’Everton, et nous étions tous les deux invités aux obsèques. Par hasard, nous sommes arrivés tous les deux en avance à l’église. C’est là que je lui ai parlé d’Hillsborough. À cette époque, tout le monde avait entendu ce qu’il s’y était passé, mais les gens avaient formulé leurs propres avis. Il y avait beaucoup de points de vue différents.

Lesquels ?Certains disaient : « Pourquoi ne ferment-ils pas leurs gueules ? Pourquoi ne passent-ils pas à autre chose et acceptent-ils pas ce qu’il s’est passé ? » Boris Johnson, lui, avait accusé les gens de Liverpool de se complaire dans leur apitoiement. Andy aurait pu s’en moquer aussi. Je lui ai raconté qu’il y avait un carton avec des preuves dedans dans les archives de la Chambre des Lords. Il aurait pu me dire « ok, ok » et ne rien faire, mais il y avait accès et est allé voir cette boîte. Dedans, il a trouvé un carnet de policier, qui avait été altéré. Il n’en revenait pas. À partir de là, quand on lui disait que certains aspects de l’affaire avaient été camouflés, il se disait que c’était possible. Puis je l’ai invité aux 20 ans de la catastrophe, et on sait tous ce qu’il s’est passé ensuite. (À la commémoration, le public réclama « Justice pour les 96 » à Burnham. Alors secrétaire d’État à la Culture, Andy Burnham obtint du Premier ministre Gordon Brown la réouverture du dossier et la nomination d’un comité indépendant chargé d’examiner l’ensemble des documents disponibles, y compris de nombreux documents pas encore déclassifiés. Le rapport finira par conclure que la police de la région d’Hillsborough était responsable de la catastrophe, NDLR.) Andy et moi étions donc très au courant des déficiences du système judiciaire britannique. Nous en avions fait l’expérience en essayant d’aider les familles de victimes, de découvrir la vérité et d’obtenir justice, ce que l’on attend toujours. En 2017, Andy et moi nous apprêtions à quitter la Chambre des communes pour endosser nos rôles de maires. C’était le moment de frapper et de montrer ce qu’on pouvait faire.

Le gouvernement est opposé à l’introduction de cette loi. Il y a très peu de dialogue. Ils ne sont pas les premiers à le faire, mais ils continuent les couvertures, les dissimulations. Ils perpétuent ce système.

On reparle beaucoup de la Hillsborough Law depuis la diffusion en janvier d’une mini-série sur Anne Williams, qui a longtemps été la figure de proue des familles de victimes. Les choses ont évolué depuis janvier ? À la Chambre des communes, c’est la députée Maria Eagle qui se charge du projet. Elle se heurte constamment au mur de briques du processus parlementaire. Le gouvernement est opposé à l’introduction de cette loi. Il y a très peu de dialogue. Ils ne sont pas les premiers à le faire, mais ils continuent les couvertures, les dissimulations. Ils perpétuent ce système. Je pense qu’ils ont beaucoup de cadavres dans le placard. Ils préfèrent donc que ces choses-là restent dans le passé. Nous avons discuté avec beaucoup de gens qui ont vécu des injustices historiques, et ils disent tous que ce gouvernement refuse de les aider. Alors que ça devrait être une des priorités d’un gouvernement que ses citoyens soient traités dignement, non ? Et qu’ils puissent obtenir justice pour les gens qu’ils aiment. Si tu es entré en politique pour aider les gens, tu devrais voter pour cette loi. Cela ne devrait pas être la raison pour eux de le faire, mais je pense que ça leur garantirait de gagner les prochaines élections, en plus.

Alors pourquoi ne soutiennent-ils pas cette loi ? Parce qu’ils pensent que leurs électeurs en ont marre d’entendre parler de Hillsborough ?C’est possible, oui. Hillsborough est un rappel constant d’un échec du système judiciaire, mais aussi des dissimulations et de l’intransigeance du gouvernement. Ils ne veulent pas que les gens se souviennent qu’un gouvernement conservateur a essayé de dissimuler la raison pour laquelle tant de gens sont morts dans cette tragédie. Ils ne veulent pas qu’on se souvienne de ce que Thatcher a fait.

Il suffit d’un petit truc, d’une phrase, pour déclencher des souvenirs et des sentiments liés à Hillsborough. C’est toujours en toi. Ça vit en toi pour toujours.

Vous étiez vous-même à Hillsborough le jour de la catastrophe. Vous y pensez souvent ? Récemment, j’y pense beaucoup. J’étais a l’école avec une des victimes, Alan McGlone. Il vivait pas loin de chez moi. Un ami proche a aussi perdu un de ses amis. En mars, on m’a invité à dire quelques mots à un service commémoratif de la mort de Gerry Marsden, l’homme qui chantait You’ll Never Walk Alone. J’ai dû réfléchir à ce que je pouvais dire et j’ai vite pensé à Hillsborough. Il suffit d’un petit truc, d’une phrase, pour déclencher des souvenirs et des sentiments liés à Hillsborough. C’est toujours en toi. Ça vit en toi pour toujours.

Pourquoi supportez-vous Liverpool ?Mon tout premier souvenir remonte à un match contre Manchester City en 1970. J’étais dans ce qu’on appelait le boys’ Penn. Je suis tombé amoureux. De tout. Des bruits, des odeurs, les maillots rouges qui se détachaient sur la pelouse verte. Et ce, malgré les conditions déplorables dans lesquelles on plaçait alors les fans. J’ai juste tout aimé.

Je fais 1,83m, pourtant, le mouvement de foule m’a soulevé du sol. Je ne pouvais plus bouger tellement la pression était intense.

Vous aviez 37 ans ce jour-là. Vous souvenez-vous des heures précédant la catastrophe ? Quelle atmosphère y avait-il ?Je me souviens de m’être réveillé ravi que ce soit une si belle journée. On est partis de Liverpool en bus dans l’après-midi. Mon souvenir le plus vif, c’est à l’entrée du stade. Je me souviens de comment la foule était de plus en plus compacte, pressurisée. Des gens à quelques mètres de moi se sont retrouvés soudainement très proches de moi. On était tous serrés les uns les autres. Ce genre de choses arrivaient souvent, à l’époque. C’était juste plus intense que d’habitude. À l’époque, j’étais maçon et je jouais au foot trois fois par semaine, à un niveau décent. Je fais 1,83m, pourtant, le mouvement de foule m’a soulevé du sol. Je ne pouvais plus bouger tellement la pression était intense.

Quinze minutes avant le coup d’envoi, vous avez échangé votre billet pour la tribune Leppings Lane contre une place assise. Pourquoi ?Il y avait des mecs à côté de moi qui discutaient et trouvaient la situation un peu effrayante. Ils avaient trois tickets : deux dans Leppings Lane et un dans la West Stand. J’avais un ticket pour la Leppings Lane. Alors j’ai proposé de l’échanger avec le mec qui devait aller en West Stand. Pour qu’il soit avec ses potes. J’étais venu l’année précédente et j’étais en Pen 4. Je m’étais senti un peu claustrophobe. Donc je me disais que je serais mieux dans les tribunes assises. On a échangé nos tickets. C’était juste derrière la Terrace, là où il y a eu le drame. Je ne sais pas ce qui est arrivé à ces gars…

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