« S’il y a un peu de suspense, tant mieux… »
Dans une interview réalisée quelques jours avant le crash lyonnais face aux Rangers (0-3), Karim Benzema se voulait plutôt optimiste à propos de l'avenir de son club. Avec 10 buts au compteur, le meilleur scoreur de L1 démontrait même une belle confiance en lui. Lyon, l'équipe de France, 4-4-2 ou 4-3-3, transfert à l'étranger, entretien à la volée avec le meilleur joueur actuel du championnat...
Karim Benzema, on va vous poser une question exclusive, que vous n’avez jamais dû entendre cette saison : l’OL est-il moins fort qu’avant ? Je vais dire les choses autrement. L’OL semble moins fort que la saison dernière. Mais après tout, nous n’en sommes qu’au début de la saison. Je ne connais pas beaucoup de clubs qui ont perdu des joueurs comme Abidal, Malouda, Tiago ou Wiltord et qui peuvent dégager la même force en quelques semaines. Des nouveaux sont arrivés, ils ne présentent pas le même profil que ceux qu’ils ont remplacés. Et il faut un temps d’adaptation pour eux et pour nous… En plus, nous avons perdu Coupet, Cris et Fred pour plusieurs mois. Ce n’est pas non plus facile de se passer de tels leaders.
D’accord, mais depuis le début de la saison, vous vous faites piquer la vedette par Nancy…C’est bien le signe qu’il se passe quelque chose… Lyon a remporté les six derniers titres. Il a obtenu de bons résultats en Ligue des Champions. Alors, forcément, quand on perd un match de championnat à Lorient ou à Toulouse ou qu’on fait match nul à Gerland contre Lille, tout le monde dit que Lyon est en crise. C’est normal que les gens pensent cela, car depuis six ans, le club est au top. Ils ne sont pas vraiment habitués à le voir perdre. Moi, je ne m’inquiète pas : les bases sont solides.
En gros, ce qui pourrait changer, c’est que vous ne soyez pas champions à dix journées de la fin et que vous ne finissiez pas avec vingt points d’avance… Peut-être. Pour nous, l’essentiel est de remporter un nouveau titre. Même si c’est lors de la dernière journée. Et puis, vous n’allez pas vous plaindre. S’il y a un peu plus de suspense, tant mieux, en un sens, ça ne pourra que rendre le championnat plus intéressant.
Et Barcelone ? Au Nou Camp (0-3), on a bien cerné la différence entre une grande équipe et une bonne équipe… Je ne suis pas tout à fait d’accord avec vous. On a été battus, OK, mais pas ridicules. Je vous rappelle qu’à huit minutes de la fin, les Espagnols ne menaient que 1-0.
Parce que Vercoutre était là… Il a fait un super match, c’est vrai. Mais nous n’avons pas été baladés. Le problème, c’est que nous n’avons pas pris assez de risques. Et on sait qu’il ne faut pas trop laisser l’initiative du jeu à Barcelone, qui dispose de joueurs techniquement impressionnants.
Je ne suis pas un mec fait pour centrer 500 fois par match
Et vous ? Meilleur buteur du championnat avec 9 buts en 9 matchs (10 en 10 matchs depuis, interview réalisée à la veille du match contre Glasgow, Ndlr), ça doit donner confiance. Qu’est-ce qui a changé ? Votre repositionnement dans l’axe ? J’ai toujours dit que j’étais un avant-centre. Je le sais, je le sens, c’est en moi. Je n’ai qu’une obsession, le but. J’ai joué sur les côtés, à gauche et à droite, mais c’est dans l’axe que je m’exprime le mieux.
Il paraît que vous passez pas mal de temps avec Bernard Lacombe… Oui, il me donne des conseils. C’était un super avant-centre. Il m’a fixé 15 buts comme objectif. C’est pas mal parti !
Gérard Houllier, la saison dernière, n’en était pas convaincu. Vous lui en voulez ? Mais non ! Cela m’a aussi rendu service de jouer attaquant sur le côté gauche, ou même milieu droit. J’ai amélioré mon placement, mon travail défensif, la gestion de mes courses… Mais je le répète : je ne suis pas un mec fait pour centrer 500 fois par match. Mon rôle, c’est de marquer.
Alain Perrin est un adepte du 4-4-2, contrairement à son prédécesseur. Ce système vous convient-il mieux ? Je le préfère au 4-3-3. Quand il y a trois attaquants, il y a davantage de risques de se marcher dessus, car un attaquant est naturellement attiré par l’axe. Par contre, quand il n’y a que deux pointes, c’est à mon avis plus facile de s’exprimer. Moi, j’aime bien tourner autour de l’autre attaquant.
Et avec qui aimez-vous jouer ? Peu importe. A Lyon, tous les attaquants ont un profil particulier.
Fred va revenir bientôt. C’est un concurrent ou un complément ? Mais j’ai déjà joué avec lui, et ça se passe très bien. Moi, la concurrence me stimule, elle ne me fait pas peur. Je jouerai si je suis bon.
On a remarqué votre bonne relation technique avec Hatem Ben Arfa. C’est l’expression de votre bonne entente en dehors du terrain ? On s’entend bien, mais on ne passe pas non plus nos journées ensemble. Il a sa vie et moi la mienne. Mais avec Hatem, on joue ensemble depuis plusieurs années, que ce soit au centre de formation de Lyon, ou avec les sélections de jeunes en équipe de France.
En avril dernier, vous aviez déclaré que Lyon n’avait pas besoin d’aller recruter un autre attaquant. Cela traduit une certaine confiance en vous, et certains ont même parlé d’arrogance… Je n’avais pas dit cela uniquement par rapport à moi, mais aussi par rapport aux autres attaquants de l’OL comme Fred, Govou, Baros ou même Keita. Il y a de bons attaquants à Lyon, dont certains ont l’habitude d’évoluer ensemble depuis un certain temps. Maintenant, si les dirigeants veulent recruter un attaquant dans les prochains mois, c’est leur droit… En tout cas, je n’ai jamais voulu être arrogant. Ce n’est pas mon genre.
Vous avez vraiment confiance en vous… Oui, c’est dans ma nature. Je n’ai que 19 ans, mais je suis international et je joue dans le meilleur club de France. Mon âge n’est plus une excuse. Je ne suis plus un gamin. Je veux progresser tous les jours, apprendre, écouter, observer. Et approcher la perfection devant le but…
Le fait d’avoir été appelé en sélection vous a-t-il donné un supplément d’assurance ? Oui, car être international, cela représente quelque chose. J’avais été appelé la première fois par Raymond Domenech en novembre 2006 pour un match amical contre la Grèce. Mais je m’étais blessé juste avant et je n’avais pas pu honorer ma sélection. Il m’a rappelé en mars dernier, pour des matchs en Lituanie, qui comptait pour l’Euro 2008, et contre l’Autriche, en amical. Je n’ai pas participé au premier, mais lors du second, j’ai marqué moins de dix minutes après être entré en jeu, sur une passe de Nasri.
Vous faites partie de la génération 1987. Voyez-vous d’autres que Nasri et vous avoir un potentiel d’international ? Oui, je pense à Jérémy Menez, le joueur de Monaco. Depuis qu’il est là-bas, je constate qu’il a pris une autre dimension. Je le trouve moins nerveux, plus posé. Il y a également l’attaquant de Saint-Étienne Dimitri Payet…
Et l’équipe de France ? Elle s’est fourrée dans une sacrée mouise en perdant contre l’Ecosse au Parc il y a trois semaines… C’est une défaite embêtante, c’est vrai. Les Ecossais ont quasiment refait le coup du match aller – auquel je n’avais pas participé – où ils avaient déjà gagné 1-0. Mais ce n’est pas une honte de perdre face à cette équipe.
Une honte, peut-être pas. Mais comment expliquez-vous que l’équipe de France se soit fait avoir deux fois de suite ? Je n’ai pas forcément le recul nécessaire concernant le match aller, que j’avais suivi en simple spectateur. Mais les deux rencontres se ressemblent. A chaque fois, la France a dominé, s’est créée beaucoup d’occasions et a eu le plus souvent la possession du ballon. Nous avons manqué d’efficacité, alors qu’eux ont eu un maximum de réussite. Mais cette équipe d’Ecosse est vraiment difficile à manœuvrer. Elle est très défensive, et dès qu’elle marque, il faut faire face à un double rideau défensif quasiment infranchissable. Il y a un bon gardien, deux ou trois joueurs techniquement intéressants et surtout beaucoup de volonté. L’Italie et l’Ukraine, qui vont se déplacer à Glasgow, vont s’en apercevoir…
Justement, n’a-t-on pas trop tendance à focaliser sur ce match en Ukraine ? Parce qu’il y a deux matchs avant aux Féroé et contre la Lituanie, deux beaux pièges à cons… Non, je n’ai pas cette impression. Certaines personnes pensent peut-être que les deux matchs d’octobre seront faciles. Mais nous savons qu’aller aux Iles Féroé à cette période, sur un terrain balayé par le vent, face à un adversaire motivé et dans une ambiance un peu champêtre, ce n’est pas évident. L’Italie ne s’y est imposée que 2-1, l’Ecosse et l’Ukraine 2-0. Enfin, la Lituanie a fait match nul en Italie (1-1) et au match aller, nous avions eu beaucoup de difficultés à nous imposer (1-0). Mais ce qui est rassurant, c’est que nous sommes maîtres de notre destin. Si nous gagnons nos trois matchs, nous serons qualifiés, quoi qu’il arrive à nos concurrents directs.
Mais admettez quand même que l’Euro 2008 sans la France, cela ferait désordre… Je suis d’accord avec vous. Si nous avions battu l’Ecosse, nous serions presque qualifiés. Mais la France n’est pas la seule grande nation à ne pas être assurée de sa qualification. L’Italie, l’Angleterre, le Portugal ou l’Espagne sont dans le même cas que nous. Moi, je suis confiant. Si nous jouons sérieusement, à notre niveau, en respectant nos adversaires, nous mettrons toutes les chances de notre côté. Après, le football reste un jeu, il peut se passer beaucoup de choses. Mais je préfère être dans notre situation, c’est-à-dire avoir notre destin entre nos mains, plutôt que de dépendre des autres. Et si on se qualifie, je ne vais pas considérer ma place dans les 23 comme acquise. Cela dépendra de mes performances avec Lyon.
Vous êtes sous contrat avec Lyon jusqu’en juin 2012. Vous imaginez-vous rester ici encore cinq ans ? Et pourquoi pas ? Je sais que dans le foot, tout peut aller très vite. Mais je suis très bien ici. Je suis né à Lyon, j’y ai ma famille, mes amis. Et l’OL, pour débuter une carrière, ce n’est pas mal du tout. Depuis sept ans, c’est le meilleur club français, et l’un des bons clubs européens. Toute la journée, je côtoie de grands joueurs et je progresse. Donc je ne songe pas à partir.
D’accord, mais on trouve mieux que le championnat de France, surtout pour un attaquant. L’Espagne, l’Angleterre ou l’Allemagne, on y joue plus au foot et c’est tout de même moins tarte, non ? Je m’intéresse surtout à deux championnats. Le Calcio, parce que c’est à mon avis le plus difficile. Je sais que c’est un chemin de croix pour s’y imposer. C’est très fort tactiquement là-bas. C’est le championnat qui peut révéler la valeur exacte d’un joueur. Il y a le championnat espagnol également qui est très intéressant. Là-bas, c’est tout pour l’attaque et les joueurs à vocation offensive doivent se régaler. Par contre, je n’ai pas d’attirance particulière pour l’Angleterre ou l’Allemagne. Autant pour leurs championnats que pour la vie sur place. Je préfère les tempéraments latins…
Avez-vous été déjà approché par des clubs étrangers ? Personnellement, non. Mais ce n’est pas moi qui m’occupe de cela. J’ai un agent…
Par Alexis Billebault, à Lyon
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