- Coupe du monde 2018
- Équipe de France
Pour toi, public
Depuis le début de la Coupe du monde, les supporters français sont aux abonnés absents et les joueurs ont l'impression de jouer chaque match à l'extérieur.
La scène est captée par une grande chaîne d’information en continu, dont le nom tient en trois lettres, qui est diffusée sur le canal 15 et la TNT, et dont le slogan promet qu’elle est « Première sur l’info » . Quatre supporters de l’équipe de France habillés comme au carnaval plantés devant le stade d’Iekaterinbourg montrent du doigt l’édifice qui se trouve dans leur dos, et plus particulièrement cette « tribune qui a été construite sur un échafaudage, on ne sait pas comment » . Encouragé par la première salve de rires, l’homme qui porte un chapeau en forme de coq bleu continue : « Franchement, si elle s’est pas effondrée, c’est un miracle. » Pour regarder les tribunes des stades russes, les analyser, et balancer deux ou trois vannes dessus, les supporters français sont très bons. Mais pour ce qui est de les remplir, c’est une autre paire de manches. Et en regardant ce court micro-trottoir qui n’a dans le fond pas grand intérêt, on aurait presque envie d’applaudir le cameraman qui a réussi l’exploit de trouver quatre supporters des Bleus d’un seul coup. Un manque de ferveur criant quand on écoute les ambiances des stades dans lesquels a joué l’équipe de France pour le moment, et qui commence même à faire réagir les joueurs.
Rapport de force
Dans le rôle de la force tranquille, puisqu’il en faut toujours une, Steven Nzonzi. Placide, le longiligne milieu de terrain secouait la tête de gauche à droite après la victoire contre le Pérou. Non, le boucan fait par les fans péruviens ne l’a pas bouleversé plus que ça. Et avec sa voix de conteur, le Sévillan avait vite fait comprendre qu’on pouvait passer à un autre sujet : « Ils avaient énormément de supporters, mais ça ne nous a pas perturbés. Une fois que le match commence, on ne fait pas attention à ce qu’il y a autour. » Quelques minutes plus tard, Olivier Giroud débarquait à son tour en conférence de presse pour mettre les pieds dans le plat et donner tort à Nzonzi : « C’était assez impressionnant quand l’hymne national péruvien a démarré, ça m’a donné des frissons. Le stade a une contenance de 35 000, il devait y avoir 25 000 Péruviens et 1000 Français. » Un rapport de force un brin déséquilibré.
Si le public français ne se faisait dévorer que par les publics sud-américains, toujours très bruyants, l’affaire ne serait pas si dramatique. En revanche, voir les fans des Bleus incapables de se faire entendre face à des supporters australiens qui viennent de très loin et qui ne sont pas réputés pour être les plus bouillants est plus inquiétant. Là encore, les chiffres parlent d’eux-mêmes : 10 000 Australiens étaient en tribunes à Kazan, contre 2000 Français. « Ils criaient, tentaient de nous déconcentrer sur chaque ballon, s’était plaint Pogba après la rencontre. Ça nous donnait l’impression de jouer en Australie. »
Champions de la télécommande
Tout avait pourtant démarré par une belle opération com’ de la FFF, qui avait invité 23 membres des Irrésistibles Bleus – la plus grosse association de supporters – à l’hôtel de l’équipe de France pour que les joueurs leur distribuent des places pour le premier match. Images relayées sur les réseaux, photos, vidéos, tapes dans le dos. « Ils nous ont mis les batteries à 1000% » , avait même osé Griezmann. Mais au stade, dodo. Après s’être confié sur sa chair de poule d’Iekaterinbourg, Olivier Giroud avait ajouté : « J’aimerais bien inviter plus les Français à se déplacer en Russie, mais je sais que devant leur écran, ils sont à fond. » En effet, télécommande à la main, les Français sont imbattables, et TF1 se félicite depuis deux semaines des cartons d’audience réalisés (12,59 millions de téléspectateurs, 69% de parts de marché, et meilleure audience de l’année pour France-Australie).
L’argument classique du « trop loin/trop cher » ne suffit pas à expliquer cette situation, surtout face aux fans péruviens et australiens qui ont bravé le « encore plus loin/encore plus cher » . Et au-delà du nombre de supporters tricolores présents, ces derniers ont de gros soucis pour se faire entendre et se contentent généralement de lancer un « Allez les Bleus ! » de temps en temps, ou de chanter l’horrible chanson « Gérard Depardieu, sors-nous ta vodka, on va la boire chez toi » , dont l’air est pompé sur celui de « Jean-Michel Aulas, on va tout casser chez toi. » Triste. Surtout que le Gérard Depardieu en question n’est même pas là pour leur servir un verre, puisqu’il est en tournée en France pour ses concerts de reprises des chansons de Barbara.
Par Alexandre Doskov, à Istra