Paul Scholes, le roux de la fortune
Tapi dans l'ombre des superstars de Manchester United, le milieu de terrain anglais reste le joueur décisif des Red Devils dans cette Ligue des Champions, malgré son allure d'un autre temps, tout en rousseur. Tout dans les pieds, rien dans le verbe, portrait d'un héros très très discret.
Ça ressemblait à la saison de trop. Sévèrement blessé au genou à l’automne dernier lors d’un entraînement, Paul Scholes semblait condamné à assister à la majestueuse saison des siens de sa salle de soins et, au mieux, du banc de touche après sa convalescence trois mois plus tard. Son retour pataud avait d’ailleurs été mis encore plus en relief par les performances ahurissantes du reste de la tribu de l’entrejeu mancunien, de Carrick à Fletcher en passant par les deux recrues, Hargreaves et surtout le phénoménal Anderson. Oui, à 33 ans bien tapés, le rouquin de MU glissait gentiment mais sûrement vers une sortie toute en discrétion.
Mais Sir Alex Ferguson avait encore tout vu avant tout le monde : « Je ne m’en fais pas pour Scholesy. Quand ce sera l’heure des matchs importants, il sera là et bien là. C’est même lui qui nous les fera gagner » . Devin ou bluffeur ? Toujours est-il que Scholes, dans le money time, a bel et bien gratifié son monde d’une performance first class à Rome en quart de finale de Ligue des Champions (2-0) avant de planter la praline décisive face à Barcelone en demi-finale retour (1-0).
« Le cerveau et la classe »
En fait, Paul Scholes, c’est exactement ça : venir au stade, faire le job et rentrer à la maison. Veni, vidi, vici. Et quel que soit le poste qui plus est. Car à être si fort, il s’est fait trimballer partout, l’ami Paulo. Un coup milieu relayeur, un autre milieu gauche, tantôt second attaquant (sous l’ère van Nistelrooy), tantôt numéro six devant la défense à la Pirlo. Pourquoi une telle mobilité ? Fergie a sa petite idée sur la question : « C’est lui qui fait fonctionner l’équipe. Il est capable de jouer long, court, de dribbler, de frapper de loin… Paul allie surtout deux qualités rarement compatibles : le cerveau et la classe » . Vrai.
D’ailleurs, les adversaires de Manchester ne s’y trompent pas. Même au plus fort de la Beckham mania, des courses flamboyantes de Giggs ou des stats affolantes de van Nistelrooy, les concurrents ciblaient clairement le danger principal chez les Red Devils : Scholes. Les Frenchies d’Arsenal ne disaient-ils pas en chœur : « Les autres sont très impressionnants mais c’est lui le plus doué. Il sait tout faire. Il a la vision du jeu, le toucher le balle et la frappe » ? Et quelle frappe, au passage ! Une des plus belles cacahuètes du royaume avec celle du Norvégien de Liverpool, Riise, ce qui appelle peut-être à un début de théorie sur les roux et leur force de frappe.
Surtout, Scholes, l’air de rien, est une sacrée teigne, un joueur tout en abnégation, britannique pur jus dans l’imaginaire collectif. Un caractère inné mais sans doute forgé aux épreuves de jeunesse, comme l’expliquait John Duncan – son prof à la Cardinal Langley School – en avril 2005 dans le So Foot n°21 : « Paul était un petit gars et les adversaires le persécutaient en permanence sur le terrain. On faisait la queue pour le cogner. La plupart du temps, il parvenait à éviter les coups et les rares fois où les gamins l’attrapaient, il se relevait sans rien dire et allait se replacer en courant » . Ça vous forge un mental…
Un talent méconnu
Alors pourquoi un tel déficit de reconnaissance, sorti du sérail de Manchester et de ses fans les plus fidèles ? On l’a dit, le manque de certitude sur son meilleur positionnement, cette espèce de côté “colmateur de brèches” de luxe, n’ont sans doute pas aidé à lui forger une légende, loin des percussions mythiques de Giggs ou centres à répétition labellisés de Beckham. La presse anglaise avait bien essayé de lui mettre le pied à l’étrier en le surnommant le “Cantona roux” avant d’en faire le successeur de Paul Gascoigne en équipe d’Angleterre. Deux bides car franchement : Canto, Gazza,… Scholes : cherchez l’erreur.
Un manque de personnalisation (et non de personnalité) que l’on retrouve dans sa transparence marketing et médiatique. Pas de pub, pas d’agent, pas de WAG sur-maquillée, pas de bagnole flamboyante. The simple life, sans feinte et sans caméras. Mais n’allez pas croire au choix par défaut. « J’ai des propositions mais ça ne m’intéresse pas » se justifie-t-il. Avant de juger la folie de son compère de formation, David Beckham : « Franchement, je ne sais pas comment David fait mais il a raison car c’est ce qu’il aime. Pour ma part, sorti du terrain, je n’aspire qu’à la tranquillité avec les miens » .
Enfin, Scholes pâtit aussi de son manque de rayonnement international. Jamais réellement déterminant en sélection dont il claqua la porte, las de se voir assigner le côté gauche sous Eriksson, lui joueur axial par excellence. Pas non plus de la victoire historique en finale de Ligue des Champions en 1999 face au Bayern Munich (2-1) pour cause de suspension. Surtout que Scholes revendique son relatif manque d’impact : « C’est vrai que le niveau est plus élevé sur la scène européenne ou internationale » .
Pourtant, ce mercredi à Moscou (20h45) face à Chelsea en finale de C1, Scholes a une superbe une occasion de démontrer que l’habit n’est pas trop grand pour lui, que seule la lumière qui va avec ne sied pas à ce qu’il est. Et à sa tignasse rousse.
Dave Appadoo
Par