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Michel Platini, en route vers l’enfer ?
Michel Platini s'est donc lancé dans la course à la FIFA, après avoir pris le temps de compter ses chances de réussite. Mais dans quelle poudrière est-il allé se fourrer ?
Président de la FIFA. Le poste aurait fait saliver n’importe quel ponte du foot mondial voici deux ans. Tout le monde attendait la retraite du « vieux » . Il tardait juste à libérer le bureau (comment lui en vouloir d’ailleurs quand on s’amuse autant ?). Sauf que, pour le coup, Sepp Blatter se barre dans les pires conditions et que les prochaines années s’apparentent déjà à un chemin de croix aboutissant à un inévitable calvaire pour le nouveau big boss, probable martyr promis à expier les crimes du ballon rond et de son église zurichoise. Pas de quoi verser de larmes, mais, malgré tout, que diable Michel Platini va faire dans cette galère ?
Passer après l’illusion Blatter
La vraie question finalement, la seule qui mérite de s’y pencher, se visse dans cette décision « mûrement réfléchie » . Les procès, parfois légitimes ou du moins fondés, contre Michel Platini, « homme du passé » , ne semblent pas à même de révéler le mystère de cette énième preuve de notre génie national pour le sens du tragique. Au contraire, justement parce que le président de l’UEFA connaît les arcanes de la FIFA, qu’il en a parcouru tous les sens interdits et découvert les impasses, et que donc l’agenda de l’institution lui est extrêmement familier, sa candidature prend d’office des airs de voyage au bout de l’enfer. Certains évoquent le sens du devoir. D’autres un appétit bien caché pour les apparats et le prestige. Un Platini version House of cards ? Trop simple, trop grand, trop facile…
Le constat n’appelle aucune discussion. Le successeur du Suisse « enfermé dans son pays » va manger du pain noir. Pourtant, depuis trois décennies, la FIFA se gavait de bonheur capitaliste et de nirvana économique. Les Coupes du monde, produits phares, s’enchaînaient dans le doux vertige d’une hausse sans retenue des droits télés, d’un accroissement des audiences et d’une mondialisation progressive qui grignotait lentement et sûrement les « blancs » sur la mappemonde, y compris les plus stratégiques à l’instar des USA (avec les problèmes qui vont avec, personne n’ayant anticipé la présence du FBI dans le package du ralliement US au ballon rond). Cet univers calfeutré ne connaissait d’autres turbulences que les tirages au sort des phases qualificatives et quelques vilains articles mal attentionnés écrits par des journalistes en mal d’accréditation. Tout le monde applaudissait, car tout le monde était content. Et reconnaissons à Sepp Blatter d’avoir toujours su troquer l’illusion du monarque absolu contre une vaste générosité peu regardante.
Le parcours annoncé d’un juge d’instruction du Var
Le dilemme de Michel Platini se situe bien ici. Aucun des scénarios se dessinant devant lui ne paraît offrir une sortie par le haut. Il est condamné soit au rôle de mal-aimé, soit à incarner une désillusion, probablement un peu des deux. Ainsi, s’il se décide, on ne sait par quel miracle ou volonté politique, à concrétiser véritablement l’alternance tant attendue, du moins par les médias, la justice américaine, et quelques sponsors (souvent bien amnésiques quant à leur responsabilité dans le système en place), son cauchemar commencera dès les premières mesures. Bref, dès qu’il s’imposera alors de rentrer dans le dur, de « mécontenter » , un verbe banni du dico FIFA depuis belle lurette. Son prédécesseur avait écarté les importuns qui s’amusaient à lui gratter la jambe. Il n’a jamais pris en revanche le risque de fâcher directement, quelle qu’en soit la raison, la noblesse du ballon rond, qui dans les fédés et confédérations tient de fait entre ses mains la vérité du pouvoir du foot mondial.
Or, s’il désire engager de véritables réformes sur la transparence, la « gouvernance » , le mode de redistribution des sommes colossales qui en remplissent les caisses – au hasard en instaurant la traçabilité des subventions du projet GOAL -, ou les procédures d’attribution des Coupes du monde, son parcours risque de ressembler beaucoup à celui d’un juge d’instruction dans le Var. Il peut même perdre le crédit de son prestige et de son legs unanimement reconnu à la tête de l’UEFA, en froissant un Vieux Continent attaché à ses privilèges, par exemple en s’attaquant au nombre de places européennes en phase finale, un rééquilibrage qui semble une inévitable compensation à, imaginons, une modulation du principe d’un vote égal par membre. Il commencerait comme De Gaulle par un « je vous ai compris » et il finirait à l’instar de Mitterrand en instaurant la rigueur. Or les « amis » de Platini le portent vers la présidence avec en tête l’adage de Tancredi Falconeri dans le Le guépard : « Pour que tout reste comme avant, il faut que tout change. » Cette promesse implicite sera malheureusement son premier pied dans la tombe.
D’autres Fifaleaks dans les tuyaux ?
Car l’autre scénario s’avère encore pire. S’il se contente de quelques mesures de façade, ou de donner le change en se ralliant peut-être au vidéo-arbitrage, il va devoir se confronter de toute manière à un monde, « des sociétés civiles » , de moins en moins indulgents ou enthousiastes envers le sport (à voir, le retrait de Boston de la course aux JO 2024) et le foot en particulier. Les vieux « trucs » tels que la « neutralité » ou les « quelques brebis égarées » ne fonctionnent plus vraiment. L’objet « à but non lucratif » de cette « organisation » ne fait plus rire personne, même en Suisse, ou une loi spécifique, la « Lex FIFA » , a été adoptée.
Cependant les investigations du FBI, et Platini n’en est pas à l’abri, les livres qui vont se multiplier, les reportages à foison ou d’éventuelles révélations wikileaks ne pèseront rien en comparaison des dossier lourds sur la table, impossibles à cacher derrière un liminaire « cela se passait dans les fédérations » ou « on ne peut pas contrôler tout le monde » . Il s’agit évidemment des prochaines Coupes du monde. Oubliez le festin de Brésil 2014, Russie 2018 risque de constituer d’abord une étrange manière de fêter le 40e anniversaire d’Argentina 78. Après le malaise diplomatique au moment de Sochi, le niveau de tension dans la région conduira en effet sûrement à ressortir tout le vocabulaire (boycott, etc) des noces amères entre foot et politique.
Comment affronter les bordels Russie 2018 et Qatar 2022 ?
D’autant qu’en face, Poutine compte utiliser l’événement avec toute la finesse qui caractérise le maître du Kremlin. Pour le futur pensionnaire du siège de Blatter, ce sera sûrement une belle occasion d’éprouver les limites de son immense pouvoir et de d’avaler quelques couleuvres (tout comme ce brave Jules Rimet qui aurait répété à qui voulait l’entendre qu’en 1934, Mussolini était devenu le président effectif de la FIFA). Les ambitions de prix Nobel de la paix que caressait ce brave Sepp (d’où une attention singulière pour le conflit israélo-palestinien, dont Michel Platini s’empara aussi d’ailleurs), se cogneront vite les dents sur l’incontournable impératif de la Realpolitik.
En outre, durant la partie d’échec avec Moscou et les organisations de défense des droits de l’homme, la malédiction du Qatar continuera parallèlement de sévir et de pourrir la planète foot jusqu’en 2022. Des scandales de corruption aux milliers de cadavres de travailleurs immigrés qui s’entassent sous les stades et autres chantiers, des syndicats qui hurlent et réclament à l’unisson un nouveau pays hôte aux clubs européens qui pleurent une compétition en hiver (comme lors d’une vulgaire CAN, quel manque de respect pour la Champion League !), sans oublier l’instabilité du coin, l’ex-Bianconero « moi président » méditera régulièrement à ce jour où il se résigna à apporter son soutien à cette forme de « suicide collectif » du monde du foot. Et la seule option pour éviter le naufrage, refourguer le bébé à un autre État, est vraisemblablement écartée. Avant même d’endosser ses fonctions, si élu évidemment, la véritable rédemption de Michel Platini, et celle de son institution, lui est refusée… L’ancien héros de 1984 se bat certainement pour un des postes les plus pourris du moment – certes bien payé. La meilleure chose qu’il puisse lui arriver tiendrait étrangement à ce que Blatter retourne encore sa veste… ou que David Ginola entre enfin sérieusement dans la course…
Par Nicolas Kssis-Martov