Luzenac, du talc au tacle
Sensation en championnat National, où un bled ariégeois de 600 âmes parvient pour l'instant à tenir tête aux grosses écuries professionnelles. Enquête sur le phénomène Luzenac.
Une fois n’est pas coutume, le championnat National suscite un semblant d’intérêt en ce début de saison. Normal, avec sur le papier une densité de prétendants à la montée rarement vue. Les trois relégués d’abord, Amiens, Troyes et Reims, qui possèdent chacun un effectif, des structures et un passé devant leur permettre de jouer les gros bras. Cannes également, l’éternel outsider qui a échoué au pied du podium en mai dernier. Citons le Gueugnon de Tony Vairelles et Créteil. Sans oublier le grand ambitieux Evian-Thonon-Gaillard (ex-Croix de Savoie), le jouet du PDG de Danone Franck Riboud, à l’effectif impressionnant pour ce niveau : Bertrand Laquait (ex-international espoirs), Cédric Chambond (ex-international -19 ans), Stéphane Hernandez (ex-ASSE), Cédric Barbosa (plus de 200 matchs en première division), Hervé Bugnet (ex-espoir bordelais) ou encore Nicolas Goussé (spécialiste ès-relégations avec Troyes, Istres, Guingamp et même en Belgique).
Pourtant, au bout de quatre journées, aucune de ces équipes n’a pris la tête du championnat. L’honneur en revient à l’US Luzenac, seule équipe leader à 12 points avec un carton plein contre Moulins (3-0), Pacy-sur-Eure (2-1), Hyères (2-0) et Créteil (4-1). Mais quel est donc cet ogre ? Un minuscule point sur la carte de France. Un village d’à peine 600 âmes situé en Ariège. Déjà l’Ariège, c’est un département tellement méconnu que les élus locaux avaient demandé en 2005 au Conseil d’Etat, qui avait refusé, de le renommer Ariège-Pyrénées pour aider le quidam à mieux situer le lieu sur une carte (car c’est bien dans la chaîne pyrénéenne que ça se trouve, au sud de Toulouse, à l’ouest de Perpignan, au nord d’Andorre, en gros).
L’or blanc
Au pays du rugby, l’USL fait figure d’anomalie. Un club créé en 1936 et qui s’est longtemps appelé Union Sportive des Talcs de Luzenac. Car la seule mais si précieuse richesse du coin, c’est le talc. L’or blanc, utilisé pas seulement pour poudrer les nourrissons mais aussi dans l’industrie pharmaceutique, l’industrie plastique ou encore l’agriculture. Or, la carrière locale est l’une des plus réputées au monde. En semaine, elle permet de faire vivre le (faible) bassin de population. Le week-end, c’est l’USL qui régale. Dans son stade Paul Fédou (1000 places), Luzenac réussit de véritables miracles. En 80-81 déjà, l’équipe s’était hissée en troisième division, mais avait dû vite redescendre aux échelons régionaux. A l’orée des années 2000, c’est l’accession en CFA2, puis en CFA. Déjà plus petite « ville » des 80 clubs à évoluer à ce niveau, elle survole la saison dernière son groupe C (comprenant notamment les réserves de Bordeaux et du Mans) pour décrocher le titre honorifique de champion de CFA.
Pour accéder au National, il a ensuite fallu passer la délicate épreuve DNCG (Sète et Libourne Saint-Seurin en ont fait les frais, tout comme le théoriquement promu Besançon). Sans trop de soucis, les dirigeants ariégeois ont pu présenter un budget certes fort modeste mais sain : 900 000 euros, dont plus du tiers sont des subventions allouées par la commune (donc indirectement grâce au talc).
Bien sûr, on ne donne pas cher des espoirs de maintien du petit poucet du football (Guingamp et Hoffenheim sont largement battus). Il est pourtant certain que ce superbe début de saison ne doit rien au hasard. L’entraîneur Christophe Pélissier peut compter sur une ossature peu changée par rapport à celle qui a fait trembler le grand quart sud-ouest du football la saison dernière, avec comme légende locale le capitaine et défenseur central Sébastien Mignotte, garant des valeurs du club. Devant, Danah Ndoh, prêté par Le Havre l’an passé, a été remplacé par une valeur sûre des joutes du foot semi-pro, Raphaël Caceres (ex-Montluçon, CFA). Au vu des moyens à disposition, le recrutement a d’ailleurs été très modeste et essentiellement régional, avec notamment un jeune défenseur central issu du centre de formation du TFC, Issa Makalou, ainsi qu’un ancien « pitchoune » toulousain de l’époque du National en 2001-2002, Olivier Candelon.
Bientôt sur Direct 8
On peut objecter que le calendrier de début de saison des Luzenacois était franchement favorable, avec deux premiers matchs à domicile et deux rencontres face à d’autres promus. Il n’empêche, championnat bâtard par excellence, le National peut susciter des surprises, puisqu’entre des grosses écuries composées de pros blasés de se retrouver à ce niveau et des joueurs issus du milieu amateur et qui abordent cette opportunité comme des morts de faim, la différence réelle de niveau footballistique n’est plus si importante que ça. Après tout, Arles (en CFA2 en 2006) évolue bien cette saison en L2…
De toute façon, on va bien vite savoir si la belle aventure de Luzenac est appelée à durer ou pas, avec cette fois un enchaînement d’affiches qui permettra de juger du véritable potentiel des Ariégeois : déplacement en Bourgogne chez Tony, réception de Troyes et venue de Danone FC.
En attendant de voir si l’USL est une sensation ou un feu de paille, son aventure suscite l’intérêt. Pour preuve, Direct 8, nouveau détenteur des droits télé du championnat qui s’est engagé à diffuser neuf rencontres d’ici la fin de saison, va poser pour une première ses caméras au champêtre stade Paul Fédou le 4 septembre pour la venue des Troyens.
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