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López Ufarte : « Le rêve du Maroc ? Battre l’Espagne »
Né à Fès et enfant de l’Espagne depuis ses huit ans, Roberto López Ufarte avait porté le maillot de la Roja lors du Mundial 1982. Pour cet Espagne-Maroc, et avant de connaître l’épilogue de cette poule B, l’ancien meneur de jeu revient sur les actualités de chaque camp.
Roberto, tu vas suivre cet Espagne-Maroc avec le cœur partagé ou tu seras à fond derrière l’Espagne ? Je vais être supporter de l’Espagne. Premièrement parce que j’ai grandi en tant que personne dans ce pays, et puis parce que j’ai déjà porté le maillot espagnol pour une Coupe du monde. C’est impensable d’imaginer mon cœur partagé…
Le Maroc, j’y suis né et j’y étais il y a deux ans pour le travail, mais c’est tout. Mon rêve, c’est de voir l’Espagne championne du monde à nouveau !
De ton expérience au Maroc, qu’est-ce que tu as pu ressentir dans leur passion pour le football ? Le football est vécu de manière incroyable là-bas. Ils suivent surtout la Liga et la Ligue 1, car c’est le plus souvent dans ces pays que leurs joueurs sont révélés au plus haut niveau. Le Maroc est un pays encore en développement en matière d’infrastructures sportives. Les jeunes jouent dans la rue de façon très populaire. Je dirais que leur problème principal, c’est de travailler leur base de formation avec les jeunes. Sans celle-là, ils vont toujours avoir un déficit tactique par rapport aux grandes nations du football. Au niveau professionnel, Hervé Renard travaille de manière très assidue, mais ce n’est pas si facile de construire une équipe. Quand vous avez seulement quatre joueurs issus du championnat marocain dans les 23, c’est plus difficile de souder un collectif.
Pour le Maroc, être éliminé du tournoi après deux défaites 1-0, c’est cruel. Comment est-ce que tu juges son Mondial ? En première phase, les équipes doivent gagner. Peu importe comment. Après, tu peux commencer à te concentrer sur comment bien jouer… Le Maroc n’a pas joué de façon collective. Quand tu vois l’Iran par exemple, je sens beaucoup plus une réelle âme collective.
Ce n’est pas joli à voir jouer, mais ils sont unis entre eux. Pour ce match contre l’Espagne, le Maroc possède des arguments en leur faveur. Mais pour gagner, ils devront être concentrés tout le match et faire preuve de constance. Pour gagner en Coupe du monde, il faut être impliqué durant 95 minutes. 80, ça ne suffit pas. En dix minutes, un match peut t’échapper…
Parmi ses principales failles, le Maroc manque d’un vrai numéro 9 pour apporter du danger. Munir El-Haddadi avait été approché, mais le TAS avait rendu un verdict négatif sur sa participation du fait de sa sélection avec l’Espagne en 2014. Quel est ton avis sur cette décision ? Il y a des lois mises en place, et elles doivent être respectées par tout le monde de façon stricte. Si cela ne tenait qu’à moi, j’aurais aimé voir Munir jouer pour le Maroc dans cette Coupe du monde pour que cette équipe soit encore plus compétitive. El Haddadi, à l’époque où l’Espagne l’avait appelé en sélection, tout le monde pensait qu’il deviendrait une énorme star. Mais sa progression espérée n’a pas eu lieu… Cette saison, il a repris les choses en main (à Alavés, N.D.L.R). En vérité, cela me fait de la peine qu’il ne soit pas dans ce Mondial.
En ce qui concerne l’Espagne, elle diffère beaucoup de celle que tu as connue en 1982. Il n’y avait pas de milieux relayeurs comme Iniesta, Isco ou Silva…C’est complètement différent de notre style de l’époque. L’Espagne est devenue plus compétitive sur ces dernières années, et mis à part le Mondial 2014 il y a quatre ans, elle a toujours fait preuve de grand talent. Je suis d’une ancienne génération, nous avions passé la première phase sans aller jusqu’à la fin (l’Espagne fut éliminée dans la seconde phase de poules par la RFA, N.D.L.R). Certains joueurs ont pris de l’âge, comme Iniesta.
Mais tu sens qu’il est toujours capable de coups d’éclat fantastiques. Malgré cela, tu ne peux plus le faire jouer à fond tout un match. Silva, c’est un joueur que j’apprécie beaucoup, je m’identifie beaucoup à lui. Et si le dernier match contre l’Iran n’était pas facile, le plus important était de gagner, car cela met en confiance. Les grandes équipes peuvent avoir des déclics psychologiques, comme l’Allemagne contre la Suède par exemple.
Mais certaines caractéristiques de la Furia Roja sont revenues à l’ordre du jour dans cette équipe, non ? Quand on voit Diego Costa jouer de la sorte par exemple, on se dit que le côté bagarreur est redevenu important… Diego Costa, c’est un bon numéro neuf, excellent par son apport au collectif. Petit à petit, l’Espagne s’est rendu compte qu’elle avait besoin de lui. Pourquoi ? Parce qu’avoir un grand gabarit est essentiel pour aller au combat et fatiguer les défenses centrales. Le milieu de terrain est esthétique et constructif, mais il faut quelqu’un pour forcer le verrou. C’est dans le même registre que Giroud avec la France !
Un autre joueur fait plus polémique en ce début de tournoi : David de Gea. Fautif sur un but de CR7 contre le Portugal, pas très rassurant face à l’Iran… Que faut-il pour le remettre en confiance ? De Gea est mis en confiance, Hierro et tous ses coéquipiers lui donnent une entière crédibilité. Et il ne faut pas se méprendre, De Gea est un grand gardien. C’est ce ballon du Mondial, aussi…
J’ai l’impression que c’est difficile de s’en saisir. Les frappes partent souvent en zig-zag… De Gea est actuellement au cœur des critiques, mais cela changera. Je me souviens d’Arconada à l’Euro 1984, les critiques étaient terribles après son erreur. Mais est-ce que cela enlève tout ce qu’il avait fait avant ? Non. À quel genre de match faut-il s’attendre pour cet Espagne-Maroc ? Il peut y avoir une surprise. Le Maroc veut battre l’Espagne, c’est son rêve. Je vois l’Espagne avoir la possession du ballon, et le Maroc tenter de jouer les opportunités de contres à fond. Si l’Espagne ne commet pas d’erreurs, elle gagnera le match. Elle va surtout devoir anticiper la rapidité des ailiers du Maroc, qui pourraient mettre en difficulté l’axe Ramos-Piqué.
Le Maroc est un pays très friand de la Liga espagnole… Quand j’étais au Maroc, je pouvais voir tous les matchs de la Liga espagnole. Et pas seulement ceux du Barça et du Real, hein ! Il y a une forte connaissance des Marocains sur ce championnat, ils scrutent tous les grands joueurs de la sélection espagnole.
C’est un avantage avant de les affronter… Et puis ici, tous les Marocains possèdent deux équipes : il y a leur équipe locale marocaine, et ensuite il faut choisir : soit Barça, soit Real ! Les Marocains peuvent parler de foot toute une journée. En ce moment, je suis à Almería, en Andalousie. Il y a un grand mélange de cultures, et ça se chambre ! (Rires.) Et même si le Maroc est déjà éliminé, ça discute autour de ce match. Ton pronostic ? J’aimerais un 3-0 pour l’Espagne, mais je ne vois pas cette rencontre si facile… Je vais donner un peu de crédit au Maroc, car je pense qu’ils vont marquer un but. 2-1 pour l’Espagne !
Propos recueillis par Antoine Donnarieix