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L’incroyable destin de Lutz Pfannenstiel

Par Nicolas Kohlhuber
6 minutes
L’incroyable destin de Lutz Pfannenstiel

Lutz Pfannenstiel est aujourd’hui le seul joueur à avoir joué professionnellement dans les six confédérations de la FIFA. Forcément, l’ancien gardien de but qui lutte aujourd’hui contre le réchauffement climatique a des choses à raconter. Portrait.

Lutz Pfannenstiel, un nom qui ne court pas les rues et que peu de fans de football connaissent. Bien loin de la popularité de Messi ou Cristiano Ronaldo, l’Allemand détient pourtant un record dans le monde de football : il est le seul à avoir joué professionnellement dans les six confédérations de la FIFA. Rien ne l’y prédestinait pourtant. Fin des années 80, celui qui défend les cages de l’Allemagne en sélections de jeunes peut aspirer à une brillante carrière. Plusieurs clubs de Bundesliga s’intéresse à son mètre 87, dont le Bayern Munich. Chauffer le banc ou squatter l’équipe réserve d’un des plus grands clubs du monde ? Pas question, le Bavarois veut jouer. « Je ne suis pas quelqu’un de patient, je ne voulais pas rester plusieurs saisons de côté avant d’espérer avoir ma chance. J’ai décidé que j’accepterais la première offre qui me garantirait un rôle de titulaire. »

Cette opportunité arrivera… de Malaisie. Il n’a qu’une parole et s’engage à l’été 1993 avec le Penang FA. « Je ne connaissais rien du pays. C’était une décision bizarre, mais tous les jeunes garçons prennent des décisions bizarres, non ? » avoue celui qui ne restera qu’une saison avant de remettre le cap sur l’Europe, non sans avoir joué devant plusieurs dizaines de milliers de supporters à chaque match. Un échec ? Pas du tout. « J’ai fait le bon choix. Oliver Kahn est arrivé quelques années plus tard à Munich, je n’aurais eu aucune chance de percer » , analyse-t-il aujourd’hui. Mais voilà, le retour en Europe est plus délicat que prévu. Alors que le natif de Zwiesel pensait revenir dans la peau d’un titulaire en puissance après un interlude asiatique réussi, il n’en est rien. Wimbledon, Nottingham Forest, Saint-Trond, autant de désillusions.

101 jours en prison à Singapour

Le salut passera alors par un prêt aux Orlando Pirates, en Afrique du Sud. Nous sommes en 1996, le gardien n’a que 23 ans et joue déjà sur un troisième continent. « L’adaptation n’était pas facile, mais j’avais la chance de jouer. Pour un gardien, c’est le seul moyen de progresser. Je jouais la Ligue des champions africaine, et l’ambiance était incroyable. Je n’avais jamais vu une telle ferveur » , déclare le joueur qui appartient à Nottingham Forest, où il retourne après six mois. Été 1997, il remet le cap sur l’Asie pour se relancer. Destination Singapour où sa carrière, et sa vie auraient pu finir de manière bien tragique. Dans une des prisons les plus dures du monde.

Comment en est-il arrivé là ? « Un mec que j’avais croisé plusieurs fois déjà me demande ce que je pense du match du week-end. Comme n’importe quel footballeur, je dis qu’on va gagner. Il m’a balancé à la police. J’ai été accusé de corruption. À cette époque, les fédérations asiatiques se battaient contre leur réputation de truquer des matchs, j’étais l’exemple parfait. » Pendant 101 jours, il sera emprisonné avec tueurs et criminels. « Ça change une vie, j’ai eu de la chance de m’en sortir sans plus de dommages… » Pas démonté pour autant, après six mois de travail physique pour retrouver la condition, l’Allemand reprend du service.

Réanimé trois fois par le kiné

Finlande, Angleterre, Canada, Norvège, Albanie, autant de destinations exotiques que de nouveaux contrats dans des clubs inconnus. Jugez par vous-mêmes : Dunedin Technical AFC, Sembawang Rangers, Baerum SK, Calgary Mustang. Cet aventurier ne peut pas s’arrêter. Sa réputation le précède, certains n’aiment pas, prétextant un manque de loyauté, d’autres trouvent en lui la parfaite solution de secours quand un gardien se blesse. Joker ou bon samaritain, lui ne voit pas le mal. « J’aime jouer, il n’y a rien de mieux pour progresser. Je ne fais de mal à personne » , annonce celui qui ne prendra pas le moindre jour de vacances entre 2001 et 2006. « Je jouais en Nouvelle-Zélande. Là-bas, la saison ne dure que six mois, pourquoi devrais-je passer la moitié de l’année à ne rien faire ? J’en profite pour aider un autre club, et je reviens, avec du rythme. C’est gagnant-gagnant. »

Durant cette période, un événement tragique aurait pu lui être fatal. Hiver 2002, il porte les couleurs de Bradford Park. Dans un duel, le portier percute l’attaquant adverse. « Mon système nerveux, mes organes, tout s’est éteint. » L’amoureux du ballon rond sera déclaré mort à trois reprises. Mais à chaque fois, le kiné de son club le réanimera. « Il n’y avait pas de méchanceté, je ne lui en veux pas, c’était de la malchance » , relativise aujourd’hui ce survivant qui, malgré quelques heures dans le coma, reviendra sur les prés quelques semaines plus tard.

Du Maracanã à la Namibie

Sous contrat avec les Vancouver Whitecaps, il ne reste plus qu’à jouer en Amérique du Sud pour réaliser le grand chelem des confédérations de la FIFA. « Je n’étais pas au courant, mon agent me l’a fait remarquer en me proposant de jouer au Brésil. » Une pige au pays de Ronaldo, le vrai, pour réaliser son « rêve de jouer au Maracanã » , et la boucle est bouclée. La trentaine bien tassée, vient le temps de penser à l’après-carrière. Mais avec un physique qui tient encore la route, c’est un déchirement. Alors, la reconversion se fait en douceur. Ça sera un rôle d’entraîneur-joueur en Norvège, puis en… Namibie. « C’est une ancienne colonie allemande, c’était une bonne opportunité. J’étais manager, joueur et j’avais des responsabilités à la Fédération. » Mais au moment où ce couteau suisse se rend compte qu’il est difficile de porter autant de casquettes, il préfère raccrocher, en 2010. Alors que ce dernier pays d’accueil souhaitait en faire son sélectionneur, la ZDF et la BBC avaient déjà mis la main dessus pour un rôle de consultant à la Coupe du monde 2010.

« Le réchauffement climatique est l’affaire de tous »

Il faut dire que dans le même temps, Hoffenheim le contacte pour un poste de recruteur, des responsabilités qui lui permettent de toujours passer son temps à vadrouiller. « J’y suis toujours, je ne suis jamais resté aussi longtemps dans un club » , plaisante-t-il aujourd’hui. Mais un rôle à la fois ne suffit pas à cet acharné de travail. Après son passage près de la mort, une prise de conscience a eu lieu. « Avant, j’étais un simple footballeur, mais un tel événement a changé ma manière de concevoir la vie, je voulais penser à autre chose qu’à moi-même, et notamment aux générations futures et à la planète. » De cette prise de conscience, le Global United FC verra le jour, une association qui cherche à interpeller l’opinion publique sur la santé de notre terre.

Aujourd’hui, près de 500 joueurs ont pris part à ce projet, tous d’anciens professionnels. De Zico à Karembeu en passant par Robert Pirès. Plusieurs fois dans l’année, des matchs sont organisés dans des régions particulièrement touchées. « Jouer dans le désert, au sommet d’une montagne ou à une cascade intrigue. » Car le football est le meilleur moyen de véhiculer un message selon lui. « Dans des pays, les paroles de joueurs sont plus écoutées que celles des politiques. Toute la société se retrouve dans les stades. Le football est un moyen de communication universel. » Et en ces temps de COP21, Herr Pfannenstiel ne perd pas espoir. « C’est bien que les politiques se sentent concernés par cette problématique, mais il ne faut pas attendre leur décision. C’est le rôle de chacun que de penser à la planète. Tout le monde a son rôle à jouer à travers des actes quotidiens. » Si ce bonhomme d’exception le dit…

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