L’évangile selon Kaka

Mondial 2002, Kaka n’est encore qu’un sobriquet, une épitaphe de la carrière de Jean-Marie Bigard, une belle petite gueule, avec trop de mèches pour être crédible peut-être. Du joueur, on ne verra presque rien, vingt minutes anonymes contre le Costa Rica. Kaka restera surtout l’un des protagonistes de cette démonstration de foi dégoulinante de l’après victoire face à l’Allemagne. Le garçon appartient avec Edmilson, Lucio, Ze Roberto, ou encore Gilberto, aux Athlètes du Christ, cette simili secte évangéliste fondée par un pilote raté de Formule 3000, plus doué pour chasser la dîme que pour prendre les chicanes. Kaka part mal. Dévot mais pas stupide, le jeune homme de 21 ans refusera peu de temps après d’être prêté par son nouveau club du Milan AC au PSG. Sa compassion pour son prochain s’arrête là.

Rejeton de la petite bourgeoisie brésilienne, Kaka prouve que le foot reste le sport universel, où même les CSP+ trouvent encore une place. Pour ses détracteurs, Kaka est si peu Brésilien qu’il est né à Brasilia (quel manque de goût quand même), il lui manquera de fait toujours un peu cette légitimité de la rue ou de la plage. D’ailleurs, Kaka ne colle pas à nos clichés de touristes sur le Brésil. Trop bossa, pas assez samba. Senna était blanc et riche de naissance, mais mystique, un allumé complet capable de sortir qu’une présence conduisait à sa place après une victoire à Monaco. Kaka, lui, range sa chambre et lit la Bible. Il fait ses devoirs aussi, d’ailleurs il n’entretient pas un rapport fusionnel avec le ballon. « Pas de ballon si j’avais pas bien travaillé. C’est sans doute la raison pour laquelle, j’étais un assez bon élève » fayotte-t-il dans le dernier France Football. De ce rapport avec le ballon, sa technique sans bavardage en découle. Le Milanais part au plus simple, au plus efficace avec la sphère. Kaka ce n’est pas un compulsif du cuir, il le respecte comme son outil de travail, rien de plus.

Prototype du joueur parfait, trop bien noté par ses coachs, il n’y aurait aucune cause esthétique derrière Kaka. On loue sa vitesse balle au pied – « Kaka court plus vite, il court mieux, de façon aristocratique puisqu’il n’a pas besoin de voir où roule le ballon » – dit si bien le numéro 46 de So Foot, celui qui chassait les otaries. Kaka court aussi plus beau, sur la pointe des crampons, en légère lévitation, sans mouvements parasites et prétentieux, on touche presque au monochrome, à la beauté glacée.

Kaka donne surtout de la respiration au jeu, il le fluidifie, il donne du temps à ses coéquipiers (le propre des grands), il se donne du temps pour ne jamais avoir recours à un miracle. Kaka ne croit qu’aux miracles de la Bible, il évite de se prendre pour Dieu. Il ne dribble pas, il passe à travers. C’est son côté Moïse. Vous voulez des preuves ? Il suffit de revoir la première mi-temps à Old Trafford la saison dernière en Champions League. Tout y est, Kaka redonne à lui seul vie à une équipe bonne à jeter à l’hospice après seulement vingt minutes, la défense mancunienne s’ouvrant (ou se rentrant dedans cf Heinze dans Evra) sur son passage. Des deux buts qu’il inscrit, le plus beau est encore celui qu’il rate, le troisième, presque sur l’engagement, une course dans l’axe, un crochet, une frappe pure au ras du poteau, rien d’autre.
Avec Kaka, le résultat est connu d’avance comme dans du Federer, pourtant la pureté formelle du geste touche comme la première fois. Ses finitions d’un plat du pied minimaliste ressemblent à un coup droit gagnant du Suisse, toujours un peu le même film qu’on aime à se repasser. Les deux rendent leur sport plus prévisible, mais pas moins beau pour autant. On peut ne pas goûter leur perfection sans aspérités, trouver leur sympathie permanente suspecte, on peut préférer les errements slaves de Safin ou la connerie acnéique de Cassano, plus généreux en anecdotes. On ne créait pas des légendes avec Federer et Kaka, on créait de l’évidence, on régale l’œil.

Alexandre Pedro