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Le Foot est une culture ?

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25 minutes
Le Foot est une culture ?

Nul besoin de présenter l'animal François Bégaudeau ; comme l'a dit Daniel Schneidermann : «quand tu sais pas, tu Google, et hop tu sais» (ou un truc comme ça, même Google a parfois ses limites). Fan de ciné (en 4 lettres, donc journaliste aux Cahiers du Cinéma) fan de foot (en 4 lettres, donc pigiste pour SoFoot), fan de rock (en 4 lettres, donc "Un démocrate : Mick Jagger 1960-1969"), l'animal est l'interlocuteur idoine quand on se demande si Le Foot est une culture.

Quelles sont les valeurs principales du football ?Le discours dominant porte sur l’intégration, à savoir que le foot permettrait d’intégrer des gens qui autrement seraient à la rue, d’intégrer les classes laborieuses ou populaires, ce qui est le cas pour un mec sur 10.000, voire même sur 100.000. De fait, cela fonctionne un petit peu, les gamins ne vont pas forcément devenir professionnels mais ça les socialise un peu. Ils sont greffés à une entité sociale.

Peut-on dire que le foot « instruit » ?Ça permet d’avoir une notion du monde, le foot m’a appris la carte de France. Pour les gamins, ça peut être un accès à l’écrit. Des gamins qui ne lisent pas, ou pas vraiment, ils ne lisent pas de journaux, mais l’Equipe ou France Football de temps en temps, voire des trucs plus light. Sur les valeurs, je suis un peu plus réticent. C’est évident qu’un gamin qui fait du foot va avoir un entraîneur qui va lui transmettre des choses. Il ne va peut être pas lui dire directement comment vivre, mais dans l’exercice du foot, il va apprendre à vivre avec d’autres gens, à les respecter, à ravaler un petit peu son ego, parce qu’à des moments il faut laisser jouer les autres. La vie en collectif s’apprend ainsi, cela opère, même si certains ne se cadrent pas, ce sont des têtes brûlées.

Le foot éduque ?Jacquet, ce n’est pas étonnant qu’il se soit retrouvé dans la promotion des lycées professionnels. C’est dans la continuité, cette idée de patronage, à la Guy Roux, comme dans les petits villages, cette idée assez paternaliste d’apprendre la discipline à tous ces gens… C’est un discours que je trouve pas mal et qui en même temps m’agace un peu, parce qu’il est précisément paternaliste. Ce que j’ai tendance à aimer dans le foot, ce ne sont pas justement les têtes brûlées à la Cantona, même si je l’aime beaucoup, mais c’est que le foot est toujours à la limite. La main de Maradona c’est aussi un geste de génie, évidemment très condamnable, qui n’est pas un exemple pour les jeunes. Mais il est assez génial de faire ça, il a la même rapidité que quand il dribble, quand il a la présence d’esprit de lober un gardien très tôt s’il le voit avancé. Là, il a la lucidité de sortir sa main très rapidement face à ce gardien qui fait 2 mètres alors que lui fait 1m60. C’est un beau geste.
Alors, à qui t’identifies-tu dans le foot ?J’aime bien les italiens, ce qui est assez peu courant, leur jeu, leur pays, leur culture et, je ne devrais pas dire cela, mais j’aime bien aussi que ce soient des tricheurs, la ruse. C’est tout un art de faire une faute qui ne se voit pas. Thierry Roland va dire que ce genre de geste ne fait pas exemple pour les jeunes, ce qui est normal. Les journalistes sont obligés d’avoir ce discours fraternaliste et paternel. Sur les valeurs du foot, mon livre, « Jouer Juste » , est parti d’un constat des différentes idées que l’on se fait du jeu. Je viens de Nantes, je suis donc très pro-nantais, un truc assez pénible pour les autres, notamment par rapport à un mec pro-Marseille avec qui je ne partage pas les mêmes valeurs. Ce n’est pas la même adhésion, on ne promeut pas les mêmes choses. (Nantes collectif, Marseille, abnégation et panache).

Le football est un processus d’identification assez limpide, soit par reconnaissance de soi, soit par fantasme de ce que l’on voudrait être…Et la seule nuance, c’est que je suis toujours un peu désemparé quand quelqu’un ne sait pas pourquoi il aime un club. Un mec que j’ai croisé était fan d’Auxerre sans trop savoir pourquoi. Ce n’était pas sa région, et je trouve que c’est toujours un certain signe d’intelligence de ne pas aimer l’équipe de sa région, on s’écarte ainsi du chauvinisme. Mais lui, il aimait Auxerre sans aucune valeur, il avait juste commencé à s’intéresser à Auxerre à l’époque où ils sont allés loin en coupe d’Europe, de leur doublé coupe championnat. (ndr, en 1996) Mais l’adhésion à un club est souvent bassement chauvine, c’est le cas le plus fréquent.

C’est rassurant, par rapport à l’attachement aux origines, mais aussi un peu inquiétant…Je suis toujours un peu fâché avec les gens qui ont un culte pour leur terre d’origine, mais ça nous emmènerait trop loin.

En filigrane, c’est fasciste.Ça me rappelle cette phrase de Le Pen, « Je préfère ma fille à ma nièce et ma nièce à ma voisine. » (d’ailleurs citée dans Jouer Juste) Donc si je suis né à Auxerre, je vais les préférer à Dijon, mais Dijon à Lyon, Lyon à Milan, Milan à Istanbul…

C’est ce qui ce trame lors des compétitions européennes. Si un club français va en finale européenne, on se doit de le soutenir.J’ai longtemps été con comme ça, fan de Nantes, de l’équipe de France, et quand un club français était en coupe d’Europe, je le soutenais, préférant le proche au lointain… La bascule s’effectue, et le football devient une culture quand on a un réflexe moins chauvin mais porté sur la valeur du jeu. J’ai commencé à basculer vers 15 ans, quand j’ai aimé le foot nantais pour le jeu. On a plutôt du pot à Nantes pour ça…

Mais tu n’es pas né à Ajaccio !Ça, je n’oserais pas le dire. J’ai commencé à ce moment là à me construire un système de hiérarchie, pas du tout aligné sur la géographie ; j’avais mon jeu préféré, le collectif à passes courtes, pratiqué au Real, à l’Ajax, le jeu russe et le nantais, ou le jeu argentin.
C’est quand même un peu un mythe le beau jeu argentin, un mix plutôt rugueux entre le Brésil et l’Uruguay.C’est vrai, mais il faut toujours du mythe dans ces affaires ; le jeu à la nantaise, on en parle beaucoup mais en ce moment il n’existe plus. Dans les années 80, on en parlait beaucoup, alors qu’il n’existait plus. Il est revenu avec Suaudeau et Denoueix. Le jeu argentin, ça dépend, quand c’est Bilardo, on y croit pas des masses mais il y a des grandes équipes argentines. C’est comme le Real de maintenant, ce n’est plus du tout le jeu madrilène par rapport à leur école technique d’il y a 15 ans. C’est là que la culture, pour en revenir au mot, n’est plus géographique, mais c’est une culture du jeu, presque une démarche intello à la rigueur.

On peut envisager le foot comme une pratique culturelle nécessitant une certaine connaissance de base pour l’apprécier, avec ses degrés entre le supporter type, chauvin, et l’amoureux du jeu. Penses-tu que le foot est une culture, que quelqu’un qui connaît bien le foot est cultivé ?Le mot culture est l’un des plus difficiles. Je ne pense pas que la culture induise forcément le coté intello ou livresque de la chose. La culture, ça peut être aussi celle de la corrida. C’est une culture qui passe par des pratiques populaires… Culture, c’est simplement un ensemble de pratiques. Un supporter lambda, un peu chauvin, qui ne lit rien, pas les romans de John King ou de Hornby, mais qui simplement, tous les samedis, fait les déplacements en car, en parle tout le temps, a toute la panoplie, collectionne certaines archives sur son équipe, regarde les émissions, ce type là, par sa pratique même, est dans la culture foot.

Un autre indice de la culture du football, ce sont ses comportements révélateurs, ses autorités de régulation, de contrôle…C’est très cadré cette affaire. C’est une culture, et plus que cela. Le mec qui va vraiment commencer à problématiser le jeu, à le penser, il n’est même plus dans la culture foot. Le foot devient pour lui un domaine esthétique, on tend vers l’art ; c’est une dichotomie que fait très bien Godart d’ailleurs : « La culture, c’est la règle et l’art, c’est l’exception. »

Comme le foot paraît simple et que tout le monde se l’approprie, c’est assez dur de faire accepter l’idée de le considérer, à partir d’un certain degré d’intelligence, comme une pratique culturelle (ce terme lui correspond mieux que celui de culture). Toi tu le considères même comme un Art… Complètement. Le foot suscite deux types d’émotions ; une première, similaire à celle de l’amoureux ou du bachelier, celle de la réussite, de la joie de voir son équipe gagner, de l’émotion orgasmique devant le but. Une seconde, peut-être moins intense, mais plus raffinée, celle ressentie devant le beau jeu. Quand j’ai vu l’URSS jouer dans les années 80, ça me faisait le même effet que quand je lisais un bon bouquin, j’avais l’impression d’être devant un chef-d’œuvre en observant la disposition sur le terrain. D’ailleurs mon livre est parti de là, de cette vision d’esthète. Mon personnage dans le livre, cet entraîneur citant Flaubert qui voulait écrire un livre sur rien, lui, il aimerait faire de son équipe une équipe qui s’en fout du résultat, ce qui reviendrait au même. Peu importe le but, l’important c’est la manière.
Le seul qui dit encore ça, c’est Wenger !Quand on est allés voir Suaudeau, on lui a demandé de quels entraîneurs il se sentait proche et qui, selon lui, continuaient un peu le combat, il disait Arsène, Arsène, Arsène…

Les gens sous-estiment la performance de son année d’invincibilité en championnat anglais, avec Arsenal. Il a réuni qualité de jeu et résultats. C’est vrai, mais on est sceptique. Il y a une certaine retenue sur le foot anglais. Enfin donc, ce coté esthète, aimer le beau jeu indépendamment de la victoire, ça commence à nous énerver à Nantes. On nous dit « bravo pour le jeu, mais vous gagnez jamais » . Je me souviens de Denoueix, que j’ai toujours préféré à Suadeau, qui disait « si on croit au beau jeu, c’est parce qu’on pense que le beau jeu gagne. » C’est aussi exactement ce que disait Cruyff, mais il ne faisait pas ça par esthétisme, il pensait que c’était ainsi que l’on gagne. Dans le débat Mourhinho/Wenger, car j’aime bien Mourinho aussi, c’est un mec qui a une culture de la gagne, c’est un art aussi. L’art ne va pas forcément avec l’inutile et le beau jeu. C’est aussi beau un mec qui se demande quel est le meilleur jeu pour gagner.

On en revient aux italiens, mais c’est complètement paradoxal d’aimer le beau-jeu et le pragmatisme, presque schizophrène…Pas tant que ça. L’équipe de Nantes, celle que j’aimais bien, celle de 2001, c’était une équipe qui avait un beau jeu tout en étant très pragmatique. Son entraîneur Denoueix a eu des débats avec Suaudeau, à l’époque, qui trouvait que c’était laborieux et pas si spectaculaire que cela.

Cette conversation est presque assimilable à une conversation d’artistes qui se demandent ce que doit être l’Art ; doit-il servir la société ou être totalement désintéressé ?Absolument. Finalement jouer l’offensive c’est facile, je mets huit mecs devant et c’est parti, sauf que je perds 6 à 1. Ce qui est beaucoup plus intéressant, c’est de trouver un jeu qui soit beau et efficace. Mais il ne faut pas être prêt à gagner à n’importe quel prix, en pratiquant un jeu laborieux, à l’inverse, je me méfie des mecs qui disent se foutre du résultat. Il me semble que l’URSS des années 80 liait les 2.

Cette équipe d’Arsenal, invaincue dans son championnat, est un exemple intéressant, à la fois supporté assez primairement par les nouveaux supporters, à cause de Thierry Henry, mais c’est rassurant quand Maradona déclare que c’est la seule équipe qui l’intéresse en Europe. Dans ce cas, parole experte et parole profane se réunissent. C’est un bel exemple pour la vie collective cette réconciliation…On se demande en ce moment ce qui fait ciment en France, ou sont les valeurs communes à l’ensemble du peuple, aux prolétaires et aux bourgeois ? La France est un peu en crise, la République en faillite… Si un truc est relativement universel et dépasse les clivages de classe, c’est le sport. Le cinéma est très distinctif, avec des films pour le grand peuple et des films assez intellos et d’esthètes, c’est pareil entre la littérature d’avant-garde et celle de gare.
Le foot, c’est quand même des bourgeois et des prolos qui regardent le même match.C’est le syndrome France 98. Mais, bizarrement, on a pris du recul par rapport à ce phénomène, on s’en est désolidarisé…On assiste à cette réconciliation des classes en prenant du recul. Est-ce de la jalousie parce que notre passion ne nous appartient plus ?On a tous ressenti ce sentiment, à la fois on voudrait diffuser notre passion et quand ça arrive, on n’est pas content. Mais ça concerne aussi le rock, on voudrait convertir tout le monde mais le jour où c’est fait… C’est le principe de distinction, Bourdieu en parle très bien « je n’aime quelque chose qu’à partir du moment où ça me distingue » .

Si l’équipe de France perd avec du beau jeu, comme à Séville, on aurait été les premiers à la défendre, là elle gagne de façon pragmatique, et on se désolidarise.Pourtant ce fantasme d’une France black blanc beur, c’est la seule fois où j’ai entendu parler de ça…
Le soir du 12 juillet, j’avais exactement ce sentiment. Je suis sorti à Nantes, j’ai chanté, j’ai bu avec tout le monde, mais avec un certain recul même si j’aime bien les regroupements populaires. Un seul truc me faisait tiquer dans cette liesse : ça m’emmerdait que ce soit sur cette équipe de France que je n’aimais pas beaucoup. On dit souvent qu’en France il n’y a pas de culture du foot, pas aussi développée que chez ses voisins. C’est en train de changer, mais au niveau de la fréquentation des stades, de l’achat de maillots, de l’engouement populaire. En France, il y a moins de déification des joueurs, même si dernièrement l’effet du sauveur Zidane, bref… Mais globalement, en France, les footballeurs sont asses méprisés. Dans les pays latins, on les idolâtre totalement.

Parce qu’en Italie, il est admis que le foot est une culture.C’est admis et assumé. Nous, ça vient de notre vision de la culture, on a une culture extrêmement élitiste, noble. On méprise totalement la culture populaire, comme pour la télé, on coupe la littérature en deux, entre la bonne et la mauvaise.

C’est le débat entre bon et mauvais goût. Cependant, on vient quand même de le faire avec le bon et le mauvais supporter de foot…Quand je te parle du mec qui va au match tous les dimanches, j’ai du respect pour lui, au moins il vit pour quelque chose.

Ce n’est pas perdu, il n’a pas encore cette notion de culture du foot, d’esthétisme, mais on a tous commencé ainsi, par être un fan de base.On a commencé bête…

L’accession à certaines réflexions se fait grâce au football…C’est pour cela que le football est une marque de culture. Comme le foot est hyper dominant, c’est le sport numéro un mondial, ça brasse beaucoup de gens, la finale de la coupe du monde est regardée par 1 milliard de personnes, c’est un truc de fou. Et à chaque fois que tu tires la pelote du foot, notamment en politique, si tu étudies le foot sous l’angle de sa structure économique, tu comprends beaucoup mieux ce que sont le capitalisme actuel ou les mutations du libéralisme, l’ultra libéralisme sauvage. L’arrêt Bosman est un truc qui te dit beaucoup de choses sur l’évolution du capitalisme depuis 25 ans. Le capitalisme d’Etat est complètement en faillite, fini cet espèce de deal des trente glorieuses entre économie d’Etat et économie libérale. Maintenant l’Etat est en faillite et le libéralisme galope. Si tu regardes le foot c’est pareil, tout ça est très régulé, notamment les transferts, le nombre d’étrangers… Le marché des transferts à une époque durait trois semaines, maintenant il s’étire jusqu’au 31 août, le mercato d’hiver est apparu.
Le foot évolue en même temps que la société, voire un peu avant, c’est un révélateur…Il n’est pas forcément en avant. Mais comme j’étudie le foot, je comprends des mécanismes que par ailleurs j’ai du mal à comprendre, je ne suis pas un économiste. Le foot m’en donne des exemples concrets.

Le football offre sacrée une lecture, pour bien mesurer les méfaits du capitalisme… Ou ses bienfaits. Je vais te donner un exemple. Autour d’un débat après « Jouer juste » , tout le monde était d’accord pour dire que trop d’argent dans le foot pollue tout. J’ai été obligé de rappeler un contre exemple, alors que j’étais a priori d’accord en étant de gauche…

… et qu’on attendait de toi que tu sois d’accord, t’étais pris au piège.Bien sur, j’étais là pour prêcher la bonne parole d’esthète : on n’aime pas l’argent et on aime l’Art. Donc je rappelle certains exemples où l’emprise du capitalisme a amélioré le sport. Le rugby avant l’arrivée des capitalistes était vachement moins bien. Avant ça jouait beaucoup sur la mêlée, les pénalités, le trois-quarts-aile avait froid, la balle n’arrivait jamais jusqu’à lui. Les mecs, notamment des télés, se sont dits qu’il y avait une masse financière énorme sur le rugby, ils ont mis de l’argent en échange de quoi ils ont fait du lobbying pour que le rugby soit plus spectaculaire. Ce sont les capitalistes qui ont obtenu le passage de l’essai à cinq points. En foot, la passe au goal interdite fait partie des choses qui ont amélioré le jeu.

Tu trouves que cela a amélioré le jeu ?C’est rien mais c’était symptomatique.

Le capitalisme améliore-t-il le football comme dans le cas de Chelsea ?Là, on est plutôt retourné dans le coté écueil du capitalisme ; le problème avec Chelsea, c’est qu’on a l’impression que le milliardaire est arrivé avec des sous douteux, mais ça peu importe, beaucoup d’argent, et peut s’acheter le foot. Il fait venir Essien comme il veut. Du coup, il ne prend pas le temps, contrairement à Arsenal, d’inventer une structure de jeu. En un an, Chelsea est devenu le meilleur club d’Europe, ils ont perdu la coupe d’Europe mais… C’est la limite du capitalisme, c’est un peu n’importe quoi. C’est comme au Real, ils achètent des joueurs non pas parce qu’ils produisent du jeu, genre « Beckham à droite, ça va le faire, il nous faut un centreur » , mais pour la vente des maillots. Owen a joué des bribes de matches au Real avant de repartir…

Certains clubs savent-ils trouver un juste milieu ?Certains patrons de club demandent à leur entraîneur de faire jouer l’équipe offensivement et collectivement, veulent du spectacle, vivent leur club comme un divertissement. Aulas, malgré tout le mal qu’on pense de lui, en est un peu là. Lyon, c’est quand même parti sur des bases assez laborieuses. Une fois qu’Aulas a gagné le premier titre, ce qu’il voulait, c’était surtout que son équipe soit agréable.
C’est le capitalisme citoyen comme chez Google… Super puissant mais soucieux de son image, une position un peu bâtarde.La politique, c’est compliqué. On peut être radicalement anti-capitalisme, le targuer d’être le mal absolu et penser n’avoir rien à en tirer ; on peut être un fervent pro-capitaliste, le libéralisme va sauver le monde. On peut aussi essayer d’être un peu plus juste, tout est divisé, avec du bon et du mauvais. Je me suis un peu modéré politiquement… Il faut prendre au cas par cas, qu’est ce que le capitalisme apporte au foot, en quoi il lui nuit ? Il faut être précis, prendre des exemples.

Et trouver l’équilibre, comme entre pragmatisme et beau jeu, attaque et défense…Le capitalisme peut détruire la planète pour le profit mais de l’autre coté, soucieuses de leurs images, certaines entreprises investissent dans la préservation de l’environnement…

C’est comme un but sur corner d’un géant d’un mètre 90, c’est moche mais c’est un but… Est ce qu’un autre domaine aussi populaire que ce sport donne autant à penser que le football permet de faire aussi facilement le lien avec la politique ?Le sport en général, et l’art le plus populaire du monde, le cinéma. C’est pour ça que je l’aime, j’ai toujours été persuadé que se joue dans le cinéma des choses qui engagent le monde et la politique. Toute une critique de cinéma, notamment aux Cahiers du cinéma, est très politique ; Quand je vois les films d’Agnès Jaoui, je comprends ce que je n’aime pas dans la gauche bien pensante, ça m’aide à penser ce que je déteste dans cette gauche caviar. En analysant le film lui-même, je comprends très bien pourquoi le PS fait chier tout le monde…

Le succès ou non d’un film est révélateur de la société, en est-il de même pour une équipe de foot ?Le fait que le Brésil soit continuellement une équipe idolâtrée du monde entier, même si ça m’a toujours un peu agacé et c’est pour cela que je suis pro-argentin, est rassurant, prouve qu’on est une foule sentimentale comme dirait l’autre. On aime bien la beauté. On targue souvent la foule d’être sauvage grégaire, ben non, la foule a souvent une grosse exigence de spectacle, de qualité de valeurs. Les allemands, eux, ne sont jamais aimés, à tort ou à raison. Brésil-Allemagne en 2002, je trouve que c’est eux qui jouent bien, ils ont fait une belle première demi-heure…

Comme pour la finale Real – Leverkusen.Carrément. Les Allemands sont un peu brutaux et pragmatiques, et par ailleurs, en France c’est particulier, mais c’est plutôt une bonne chose que la foule mondiale ait une réticence face au jeu allemand, ça montre qu’elle aime bien les esthètes.

Le foot est une culture parce qu’il nous prouve que la foule n’a pas si mauvais goût…A la fois, si l’adhésion pour le foot c’est défendre l’équipe de son lieu de résidence, être prêt à tuer l’arbitre, à insulter l’équipe adverse, si c’est ça la culture foot, ce n’est pas reluisant. Si la culture foot c’est au contraire ce qui fait parler, car c’est ça la culture, ce qui fait parler. T’as des débats à n’en plus finir autour du foot, chacun se promeut spécialiste alors qu’il ne l’est pas, c’est la preuve qu’il existe bien une culture football, loin d’être conne. Et j’ajoute que plus ça va, plus la culture de café est subtile, avec le développement de la culture tactique.
Le foot est peut être le seul endroit où tout le monde a le souci de l’organisation collective…C’est nouveau comme phénomène. Ça bascule autour de 98. Dans l’Equipe de 86, si tu compares les trois articles de match, il est très peu question de tactique, maintenant ils y consacrent un article.

En Italie ils peuvent t’en faire dix pages…Mais en Italie, ils sont en avance…

Le football représente à travers la tactique, le fruit d’une intelligence au travail, et les gens, grâce au foot, prennent conscience de ça. Est ce que dans leur vie, ils se l’appliquent comme dans Jouer juste ?Je ne crois pas.

Est ce que c’est utopique de penser que le foot peut les y conduire ?J’ai beaucoup parlé de ça autour de « Jouer juste » . Souvent, les gens se marraient gentiment quand je disais qu’il y avait des vrais ponts entre organiser une équipe et organiser sa vie, par exemple amoureuse, mais pas seulement. Les gens ne pensent pas assez souvent au dispositif, comme le plan de table. Les gens rigolent et pensent que je vais trop loin. Je ne pense pas qu’appliquer à sa propre vie, surtout amoureuse, ce type de considération soit rentré dans les mœurs.

A la fac, j’étais fan de ces cours de proximité, de scénographie, des simulations d’organisation de réunion. J’aimais vraiment ça, mon prof l’a remarqué, m’a demandé pourquoi. Quand je lui ai dit que c’était grâce au foot, que ça me rappelait quand ado je gribouillais pour comprendre les schémas tactiques, il était effondré. En attendant, le foot est peut être le meilleur moyen populaire de penser l’organisation.Je pense que ce n’est pas encore fait cette affaire, même si la tactique est populaire, plait au gens. Canal + a débroussaillé mais on attend encore la première émission populaire à l’heure de Téléfoot qui consacrerait une demi-heure à des analyses de match, des arrêts sur images, des décryptages, des dispositifs. Elle est pas encore née alors que je sûr que ça plairait. Les gens parlent de plus en plus de tactique, ce qui était inconcevable il y a dix ans. Mais le novice ne sait pas encore de quoi il parle, pour cela il faut des passeurs, des médiateurs. Une émission où les entraîneurs expliquent les tactiques et le pourquoi du positionnement de leurs joueurs.
Les entraîneurs de foot sont-ils les mieux placés pour apprendre aux gens comment vivre ensemble ?Complètement. L’interview avec Suaudeau est un succès parce qu’on ne voulait parler que de jeu.

Et on attend que ça, quand je lis l’Equipe, je commence par regarder les schémas de jeu et leur incidence sur le résultat. Exemple, Lyon est une équipe super bien en place, ils sont très rarement désorganisés. On peut te rétorquer que la tactique ne sert à rien si tu as Maradona dans ton équipe, c’est vrai, mais il n’y a qu’un Maradona. On est obligé d’être tactique, Lyon a cette culture tactique, et leur succès vient de là …
Les entraîneurs sont les mieux placés à ce sujet et en plus sont très convaincants. Si tu ne les fais parler que de jeu (ce qu’on a fait avec Suaudeau), c’est passionnant, les récits des exercices à l’entraînement et tout ça. Là, ce sont les journalistes qui sont fautifs parce que les entraîneurs n’attendent que ça. Les mecs passent pas leur temps à ça, ils analysent et quand ils se parlent entre eux, je suis sûr qu’ils se disent des trucs qu’ils n’ont jamais dit a la télé. Au lieu de quoi les journalistes leur demandent des trucs sur le moral de l’équipe : « En ce moment psychologiquement c’est pas ça ? » L’entraîneur ne va pas répondre « Ben ouais on s’engueule tous! » , il va faire de la langue de bois. Si un jour je rencontre Guy roux, je lui demanderai ce qui lui a fait passer du 4-3-3 au 4-4-2, quel a été l’événement déclencheur dans sa vie ; comme quand j’ai demandé à Claude Simon pourquoi il s’était mis à écrire ses dialogues ainsi. « C’est parce que j’ai lu Faulkner et c’est comme ça qu’il faut faire » .

Les ponts entre la culture et le foot sont nombreux d’ailleurs… Tu parles de ponts entre culture et foot, c’est exactement ça, finalement c’est simple. J’aime écouter les cinéastes parler parce que le ciné s’inscrit dans la pratique, il faut voir un tournage, c’est hyper matériel entre les caméras, la technique, le son ; c’est aussi la météo, la façon dont l’acteur prend la lumière. Les cinéastes sont des artistes avec de l’intuition et du talent qui ont des choses à dire et à montrer, mais ce sont aussi des mecs qui ont les deux pieds sur terre. D’ailleurs, comme art, seul le cinéma s’inscrit dans ces deux registres, en littérature on peut vite faire cuicui, installé seul chez soi, devant son ordinateur, je suis bien placé pour le savoir, bref… Un entraîneur de foot c’est comme un cinéaste, à la fois la tête dans les étoiles avec des rêves de jeu et en même temps les pieds dans la pelouse, le ballon c’est du cuir, « ça vient de la vache » comme disent les Argentins. C’est pour ça que j’aime le ciné, le rock et le foot, des domaines de grande intelligence, de raffinement et en même temps des trucs populaires.

Est-ce que Suaudeau est une des rencontres les plus enrichissantes que tu aies faite ?Suaudeau, c’est un mythe pour moi, donc le rencontrer constituait déjà une émotion en soi. On l’a vu arriver, c’est à la fois un grand savant, un esthète et un paysan. Il est arrivé en survêt, il mettait jamais de costard, il parle comme un paysan nantais, il a de sacrées expressions orales, c’est un aristocrate prolo. Le foot est une culture réconciliatrice, il fait jouer à la fois le très intello et le très con…

Ainsi c’est un guide pour la destinée collective, la fin de la dualité entre bon et mauvais goût. La culture noble fait chier, elle est trop propre mais si on rigole devant un film naze, on se sent mal…Un mec comme Zidane est un génie concret, mais lui-même on s’en fout, il n’a aucun talent de rhétorique, aucun humour, une vie d’une platitude absolue, donc c’est un « pauvre type génial » , c’est ça le foot. Je parle de Papin dans l‘article « Traité de l’intelligence dans le football » (Pas si Cons !SoFoot 26), JPP, on l’a tous admiré, il sauvait la baraque en équipe de France, mais en même temps, quel neuneu. On était mal avec ça, mais il ne faut pas, c’est parce qu’il était neuneu qu’il arrivait à produire du génie ; l’avant centre ne doit pas réfléchir, en sport, la bêtise peut payer et se transformer en intelligence, la bêtise de Papin, c’est de l’intelligence de buteur.
Existe-t-il le même phénomène dans le ciné ?Dans le ciné, j’adore le burlesque, je ne trouve rien de plus intelligent que les comiques crétins qui ne passent pas par le geste mais par le corps, comme Jim Carrey ou Buster Keaton. Les régressifs qui s’enlaidissent sont super subtils. Alors que le rire des salles dans les spectacles de Desproges est un rire de distinction, c’est très bien écrit Desproges attention, mais ce rire m’énerve, c’est un rire basé sur une bonne tenue du langage. D’ailleurs le langage c’est très distinctif, la grammaire est très bourgeoise là où les cailleras ont une tchatche qui ne respecte pas la grammaire. TOF

Dans l’Esquive, le langage des cailleras fait d’ailleurs rire la bourgeoisie qui n’a jamais mis les pieds en cité…Ce film porte un enjeu énorme. Le public plutôt bourgeois aime ce film parce que pour eux le théâtre et la culture sauvent l’inculture de la banlieue. Or le film est bien mieux que cela, si c’était cela je ne l’aimerais pas, il montre juste que le langage de banlieue n’est pas du Marivaux mais que c’est tout autant du théâtre. L’erreur que font les gens, c’est de prendre la tchatche de caillera pour du Baudelaire, ce n’en est pas mais c’est tout aussi intéressant.

C’est corollaire à la fin de l’attrape-cœur, les gens cultivés ne s’extirpent pas du peule, mais ont acquis une culture pour mieux exprimer leur sentiment en tant que membre du peuple, c’est tout. Mais le succès de l’Esquive, c’est douteux comme celui du foot, un truc de peuple qui plait aux nantis et ils en profitent pour se repentir et se rapprocher du peuple…C’est le risque de voir les nantis se mettre à partager la passion du foot par hypocrisie sociale, pour en être.Peut être, mais en attendant déjà ils sont dans le même stade au même moment, le bourgeois que tu peux suspecter d’aimer la culture populaire pour faire peuple et s’encanailler, au bout du compte il a pris trois heures de son temps, a payé sa place pour en être…
Le foot est une culture parce qu’il réconcilie au lieu de compartimenter, à la différence d’autres cultures comme le ciné. La culture compartimente plus qu’elle ne rassemble et doit prendre exemple sur le foot qui fédère. En foot, on partage le même lieu. Si la TV est très compartimentée, le public prolo devant tf1, la classe moyenne devant France 2, les nantis devant Arte, pour le foot, tous regardent le match quelque soit la chaîne…A ce titre, le foot est un exemple pour la culture.

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