L1 : Ruffier, gardien du Rocher
Monaco-Nice samedi soir. Deuxième derby du Sud pour le nouveau petit prince monégasque, après l'intronisation officielle au Vélodrome. Logiquement couronné "homme du match", Stéphane Ruffier avait mis fin à trente années successives de cage violée. À tout juste 22 ans, le Basque fait donc son entrée dans le label «gardiens d'avenir» made in Ligue 1, aux côtés des Mandanda, Lloris et autres Pelé. Ça tombe bien, de l'ambition, la "Ruffe" en a, à en revendre même. Portrait de Stéphane de Monaco, garçon pressé. Comme un ouragan.
Meilleur joueur de l’ASM depuis le début de la saison avec une moyenne de 6.00 selon “les notes de L’Equipe”, “Man of the Match” pour son baptême du feu à Marseille, tout nouvel abonné des sélections en France Espoirs et surtout gardien numéro 1 devant Monsieur Flavio Roma et ses 226 matchs. Le CV en dit long et pourtant le type ne goûte vraiment à l’élite que depuis trois mois. Car cette année est aussi l’année de son premier contrat pro.
Avant Monaco, Stéphane n’a connu qu’un seul club : Bayonne. Dès l’âge de 5 ans, les parents l’inscrivent à l’Aviron Bayonnais Football Club. Là-bas, il y fait toutes ses classes jusqu’à l’adolescence. Pourtant, comme tout portier qui se respecte, « quand il était enfant, il ne voulait pas être gardien » , se souvient Jean Claude Larrieu, « la mémoire vivante » de l’Aviron. Mais surtout, « il ne voulait pas faire de foot » .
Le petit préférait les sports extrêmes. Point de rugby, plutôt du surf. Faut dire que dans la région, un “point break”, c’est plus sexy qu’un poteau de corner. C’est pas Bixente qui dira le contraire. Heureusement, France 98 passe par là et son divin chauve. « C’est Barthez qui m’a donné conscience de l’importance du poste. Avant, on avait l’impression que c’était la dernière roue de la charrue » .
L’An 01 après France-Brésil, le carrosse monégasque le repère, garde un œil sur lui le temps que puberté se fasse et l’intègre au centre de formation de la Turbie. Il a alors 17 ans. Passer du Sud-ouest au Sud-est, des ferias aux villas, est plus dur qu’on le croit : « Quitter la famille, c’était un peu difficile. […] Monaco est une ville magnifique, des voitures de folie partout…au début on se demande : « Mais qu’est-ce que je fais là ? ». Je n’étais pas habitué à vivre dans un milieu aussi riche et je me sentais un peu mal à l’aise » .
Finalement, le jeune s’habitue au ghetto du gotha et s’aguerrit deux ans en réserve. « Le CFA est le déclencheur. L’échelon où l’on peut dire si un joueur peut aller plus haut. On avait deux gardiens du même âge (Ruffier et Vallaurio). On a prêté celui le plus à même de supporter le niveau de National » , explique Jean-Luc Ettori, ex-coach des gardiens. Retour en 3ème division, à la maison donc.
Deschamps, ancien pensionnaire de Bayonne et entraîneur en chef du Rocher de l’époque, aide à la transaction. Tout le monde est content. Sauf la maman. « Elle a été la plus difficile à convaincre. Elle ne voulait pas qu’il revienne, car elle pensait qu’il perdrait son temps » , s’en amuse encore JC Larrieu. La famille Ruffier a finalement pris l’abonnement, car le Steph’ a pas perdu son temps pour se faire remarquer. Tant en bien qu’en mal. En mal, de par « son attitude hautaine vis-à-vis des supporteurs au début. Du genre, moi je viens de l’AS Monaco, toujours selon JC. […] C’est un comportement que les gens ont eu du mal à cerner. Ce n’est pas la mentalité d’ici. Peut-être avait-t-il pris à l’ASM le melon du quartier » . Monte-Carlo ghetto. En bien, « car tout est rentré dans l’ordre sur le terrain. […] Il a tout simplement été le meilleur gardien de National » .
Le yin et le yang. Au milieu réside la vérité Ruffier. Prenez un homme au physique de déménageur, ajoutez-y une bonne dose d’ambition, doublée d’un vif esprit de compétition, versez plusieurs louches d’amour du travail et de l’entraînement, relevez le tout d’une bonne poignée de froideur, vous obtiendrez le néo-gardien monégasque. Comme le dit son agent Pierre Canton, « il a la qualité et les défauts de sa jeunesse » .
L’enfant du Pays Basque veut aller aussi loin qu’il compte y aller vite et s’en donne autant les moyens par sa folie du boulot qu’il les réduit avec sa réserve qui passe pour de la prétention. Désir d’avenir oblige, il retourne direct après à l’ASM. Avec un conseil d’ami en poche, celui de l’intarissable JC : « Je lui ai dit : “Tu vas voir Puma et tu vas leur demander une encolure plus grande pour pouvoir y passer la tête” » .
Col XXL ou pas, c’est maman qui est contente. L’abonnement au stade Didier Deschamps (sic), même le samedi pour des stades en vie, peu pour elle. On ne l’a pas revue depuis. Sur la Côte d’Azur, Stéphane bouillonne d’impatience, tapi dans l’ombre du transalpin. Il taffe comme un bourreau durant deux ans, profite l’année dernière de dix intérims pour se faire spotter, envoie une grosse préparation d’avant-saison et prend, sur décision de Ricardo, la place de numéro uno au nez et à la moustache de Flavio. La suite, on la connaît.
La question à savoir, c’est le nouveau coach des goals de Monaco André Biancarelli qui la pose : « Il faut voir comment il gère la situation de titulaire à long terme. […] Car le plus dur, c’est de le rester » . Et Ettori d’ajouter en écho : « Le danger, c’est son impatience. Dans la vie, il faut aller vite sans se précipiter » . Car outre cette interrogation, le reste n’est que certitudes. Tant d’un point de vue tech-ni-que que tac-ti-que, l’homme n’a pas de défaut majeur. Jeu au sol, aérien, au pied, sur la ligne et dans la lucarne, il maîtrise toute la panoplie pour être nominé à la Claquette d’Or et avoir son siège réservé aux trophées UNFP durant une paire d’années.
Plus dur, meilleur, plus rapide, plus fort. Ruffier veut et peut le faire. Son rêve : le Barça et « les Bleus d’ici cinq ans » , oui c’est possible. Il en a les épaules. Mais pour cela, il faudra auparavant relire un classique. Jean de la Fontaine, “Le lièvre et la tortue”.
MM
Par