Kaïros bat Chronos pour la présidence de l’Uefa
En devenant le sixième Président de l’Union Européenne de Football Association sur un score de vingt-sept voix contre vingt-trois à son adversaire Lennart Johansson, Michel Platini est demeuré fidèle à sa réputation. Maintenant aura toujours été le moment pour agir.
Qu’il s’agisse d’un match de préparation disputé contre l’Italie le 8 février 1978, d’un match qualificatif contre les Pays-Bas en vue de la Coupe du Monde 1982, d’une finale du championnat d’Europe des nations contre l’Espagne, les coups francs du Roi Michel auront toujours été son empreinte mais aussi un ravissement pour ceux qui les virent. Un ravissement, c’est-à-dire un enlèvement qu’on fait avec violence.
Les romantiques qui peuplent encore les stades du Nord de la France, qui préfèrent les enluminures d’albums composés de vignettes aux sirènes boursières, qui cèdent aux reliques modernes d’un Platoche faisant rendre les armes d’un gérontocrate scandinave, garderont de cette victoire le goût d’un premier baiser.
L’élection victorieuse de Platini dépasse toutefois la revanche du football passion sur le football modèle économique. Platini n’a pour l’heure rien fait. Et pour cause, il vient d’être élu. Les lendemains qui chantent, la Ligue des Champions moins fermée aux petits Etats, la lutte contre le racisme et la xénophobie, les solidarités nouvelles à reconstruire ne sont encore que les grands lignes d’un chantier à imaginer. Les trompettes de Düsseldorf devront composer avec les sourdines de Zürich. Car pour l’heure, l’UEFA façonnée par Lennart Johansson reste au football ce qu’André Rieu est aux valses viennoises : une machine à produire des Euros. Pourtant, l’UEFA a connu elle aussi son mercato d’hiver. Le Roi Lennart est mort. Vive le Roi Michel !
Platini aura su tout au long de sa carrière être cet homme, ce dieu grec réincarné, cet apôtre de l’occasion opportune. « S’il n’y a qu’une façon de faire le bien, il est bien des manières de le manquer. L’une d’elles consiste à faire trop tôt ou trop tard ce qu’il eût fallu faire plus tard ou plutôt. Les Grecs ont un nom pour désigner cette coïncidence de l’action humaine et du temps, qui fait que le temps est propice et l’action bonne : c’est le Kaïros, l’occasion favorable, le temps opportun. » (Aubenque, (P.), La prudence chez Aristote, Paris, PUF, 1963, pp. 96-97).
Michel Platini est un maître horloger de la rencontre de l’action et du temps. Les coups francs sortilèges adressés aux gardiens en étaient la plus magnifique expression. Qu’aura-t-il fallu pour que ce oui à Platini l’emporte sur le oui à Johansson. L’âge de Johansson aura-t-il été son seppuku électoral ? Jamais nous ne le saurons. « Win, the yes needs the no to win against the no » , aurait dit un ancien Premier ministre. Certainement pas. Cette élection à la présidence de l’UEFA est ce calice qui renferme le nectar du pouvoir. Savourons cette seconde d’éternité Platinienne.
Jean-François BORNE
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