Jour de racisme ordinaire
Samedi soir avait lieu la finale de la Coupe de France, entre le PSG et l'OL. On avait peur que des supporters parisiens tentent à nouveau d'introduire une banderole dans l'enceinte du stade ou que des bagarres éclatent entre hooligans de Boulogne et ultras d'Auteuil, comme à Sochaux. On se trompait. Des incidents ont bien eu lieu, mais dans le RER B, dans l'indifférence la plus totale. Loin, bien loin des 16 millions de téléspectateurs de France Télévisions et du président de la République...
Il est de coutume pour les membres du Kop de Boulogne de se réunir place St-Michel les jours de finale de coupe. On se retrouve, on boit, on chante. Puis on prend le RER, à la station St-Michel ou Châtelet, pour se rendre au Stade de France. Moi les bières, je les ai bues à Denfert-Rochereau, un peu plus au sud. C’est là que j’ai pris le RER B pour me rendre au stade. Vers 19h00, nous sommes arrivés à Châtelet.
Le quai était alors – sans mauvais jeu de mots – noir de monde. On entendait au loin des chants résonner. Lorsque la rame du RER s’arrête, les portes du wagon sont à peine entrouvertes que des supporters forcent le passage en se présentant : « Kooop of Bouulogne ! » , clament-ils ainsi avant d’entonner la Marseillaise. “Ils”, ce sont les supporters présents dans notre wagon. “Ils” ne constituent pas la majorité de la tribune qu’ils revendiquent. “Ils” sont plutôt jeunes (entre 15 et 24 ans environ) et sont connus pour un penchant nationaliste (voire franchement raciste et xénophobe) qu’ils aiment manifester. “Ils” portent du Lonsdale, du Fred Perry, de beaux vêtements bien repassés. “Ils” étaient quelque peu muselés au temps des Boulogne Boys (groupe dont la charte était explicitement apolitique). C’est dans les parties inférieures du Kop, en Boulogne rouge, secteur R2, qu’ils laissaient libre cours à leurs opinions politiques. “Ils” se font parfois appeler la Young Firm et aiment à penser qu’ils sont les héritiers de la tendance hooligan parisienne. “Ils” sont pourtant loin de faire l’unanimité au sein de la mouvance casual parisienne.
“Ils” se retrouvent donc à côté de nous le temps d’un trajet de Châtelet à La Plaine-St Denis. Deux longues stations. Sympa, ils en profitent pour nous apprendre des chansons guillerettes et mélodieuses. Car la Marseillaise, nous la connaissions déjà, au même titre que le classique “La France aux Français, bleu, blanc, rouge”. C’est à Gare du Nord que leur esprit artistique culmine, lorsque le RER reste bloqué sur la voie. Sur le quai, des supporters, un peu, des familles, beaucoup. Des usagers, tout simplement, qui ne demandent qu’à rentrer chez eux. Et qui sont pour beaucoup colorés. Quand les portes s’ouvrent, les hooligans en herbe se mettent à hurler « Pas de babouins dans le wagon » , « Une seule couleur, white power » , « Les Français d’abord » . Le genre de slogans qui peuvent blesser. Sur le quai, des CRS demandent aux gens d’attendre le prochain train, et tentent de protéger les personnes de couleur(s) des jets de projectiles tout en leur disant de ne pas faire attention aux cris de singes qui sortent des fenêtres ouvertes.
Le RER redémarre et les chants repartent de plus belle : sur l’air de “Méditerranée”, de Tino Rossi : « Méditerranée, il ne faut pas la traverser, ton pays, restes-y, ne viens pas jusqu’à Paris » . Ou encore sur un air connu des Kopistes : « Au fond d’la Seine, on aime bien les Maghrébins, ils sont si sales et si nocifs, on aime bien qui ça ? Les Maghrébins ! Où ça ? Au fond d’la Seine » .
Dans le wagon, personne ne peut vraiment broncher. Un regard baissé par-ci, un poing qui se referme par-là, un peu de salive qu’on avale lentement un peu plus loin. Des enfants qui se demandent ce que tout ça peut bien vouloir dire. Au milieu, des Noirs qui ne bronchent pas, attendant que ça cesse. Ils ne seront jamais pris à partie directement tout le long du trajet.
Ça y est, le RER est arrivé près du Stade de France, les portes s’ouvrent, tout le monde descend, eux en premier. Ils courent, ils crient, une petite Marseillaise, quelques cris de singe. Les nombreux CRS ne réagissent même pas. Et d’ailleurs, pourquoi en parler ? Les Noirs ne sont pas Ch’tis.
Par Saint-Nicolas du Chardonnet
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