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Soudan : un pays en guerre, une équipe en mission
Alors que les Crocodiles du Nil entrent en lice ce mercredi face à l’Algérie (16h), le peuple soudanais compte sur la CAN pour adoucir un quotidien miné par la guerre civile, qui fait rage depuis avril 2023 dans le pays.
Le Soudan est de retour sur la scène continentale. Absent des débats lors de l’édition 2023, le troisième plus grand pays d’Afrique s’apprête à participer au Maroc à sa dixième CAN, la quatrième seulement depuis 50 ans. Première hôte de la Coupe d’Afrique en 1957 et championne sur ses terres en 1970, la sélection soudanaise connaît pourtant depuis son unique sacre une longue période de disette. Et malgré son valeureux parcours en 2012, ponctué par une défaite en quarts face au futur champion zambien, le Soudan n’a jamais vraiment compté sur l’échiquier moderne du football africain – et encore moins mondial. Les raisons de cette instabilité sportive, si elles sont multiples, trouvent évidemment racine dans l’instabilité chronique d’un territoire rongé depuis des années par des conflits incessants.
Dans ce contexte pesant, le superbe parcours des Faucons de Jediane (l’autre surnom de la sélection) vers le Maroc tient d’autant plus de la belle histoire : deuxième de sa poule de qualifications derrière l’Angola, mais devant le Niger et surtout le Ghana, le Soudan a composté au courage un ticket amplement mérité pour cette CAN 2025. Et s’ils ne partent pas favoris d’un groupe E extrêmement relevé, composé de l’Algérie, du Burkina Faso et de la Guinée équatoriale, les partenaires de Bakhit Khamis tenteront, dans un costume d’outsider, de redonner (un peu) le sourire à un peuple soudanais meurtri par la terrible guerre civile qui ravage le pays depuis plus de deux ans.
Une catastrophe humanitaire
Il serait présomptueux de résumer le conflit soudanais actuel en quelques lignes, tant la connaissance de l’histoire du pays semble indispensable à sa compréhension. Jamais ou presque depuis son indépendance en 1956, le Soudan n’aura connu la paix sur un territoire à cheval entre le monde arabe et l’Afrique subsaharienne. Si le spectre de l’autoritarisme plane encore au-dessus d’un État dirigé d’une main de fer par Omar el-Bechir pendant près de 30 ans, le conflit actuel résulte d’une tentative infructueuse de démocratisation du pays, à la suite de la chute du dictateur en 2019 sous les coups de boutoir des militaires. « Le conflit actuel fut déclenché en avril 2023 par une scission au sein des forces armées : elle met aux prises les forces armées soudanaises (FAS) du général al-Burhan aux forces de soutien rapide (FSR) du général Hemedti, qui refusaient d’être intégrées comme un simple élément des FAS », indique Patrick Ferras, géopolitologue et président de l’association Stratégies africaines.
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Sur un territoire déjà miné par les fractures ethniques et religieuses, le trafic et la livraison d’armes sont omniprésents. « Chacun des deux camps y va de sa coopération internationale : les FSR sont soutenus par les Émirats arabes unis, avec des armements arrivant par l’intermédiaire du Tchad. Les FAS, eux, semblent soutenus par une alliance entre la Russie, l’Iran, l’Arabie saoudite et l’Égypte, ainsi que par des drones turcs », note encore le docteur en géopolitique.
Si les positions contrôlées par l’un ou l’autre des deux camps sont mouvantes, en témoigne la récente et effroyable prise de la ville stratégique d’El-Fasher par les FSR, la population civile soudanaise reste la principale victime de cette « guerre des militaires ». Dans la quasi-indifférence générale et malgré l’alerte de l’ONU sur « la plus grande crise humanitaire au monde », la guerre civile au Soudan a déjà causé la mort de plus de 150 000 personnes et forcé le déplacement de plus de 12 millions de Soudanais. À la famine, qui touche plus de 25 millions de personnes, il convient d’ajouter les viols de masse, la torture, la propagation du choléra ou encore la destruction des bâtiments comme à Khartoum, devenue capitale fantôme.
Un supplément d’âme comme moteur
S’il y a fort à parier que le sort des Crocodiles dans la compétition passe au-dessus du casque des belligérants, il faudra bel et bien compter sur le soutien massif du peuple soudanais, désireux de s’offrir une parenthèse heureuse en cette fin d’année. Guessouma Fofana, international mauritanien et milieu de terrain d’Al-Hilal Sudan Club, ne connaît que trop bien le pouvoir fédérateur du football sur le continent, même s’il ne s’est jamais rendu au Soudan en raison du conflit : « Les gens se réfugient dans le foot et sont heureux quand leur équipe gagne, y compris en temps de guerre. Même à distance (Al-Hilal et Al Merreikh, les deux plus gros clubs du Soudan, ont été intégrés au championnat rwandais, NDLR), on ressent toute la pression et le soutien des fans, sur les réseaux sociaux notamment. Dernièrement, on a joué un match de barrages en Libye, dans un stade bondé par nos supporters : ce jour-là, j’ai ressenti tout l’engouement du peuple soudanais, à l’image également du soutien massif derrière la sélection lors de la dernière Coupe arabe. »
L'ambiance de folie mise par les supporters du Soudan dans cette Coupe Arabe dans les rues de Doha au Qatar, c'est fort ! 🤩🇸🇩 pic.twitter.com/GN19NvzAXZ
— Instant Foot ⚽️ (@lnstantFoot) December 4, 2025
En club, Guessouma Fofana évolue avec pas moins de 11 joueurs appelés par le sélectionneur Kwesi Appiah pour disputer la CAN avec le Soudan. « C’est une immense force pour eux de disputer toutes ces compétitions avec la même ossature. Le CHAN l’été dernier, les qualifs pour la CAN ainsi que pour le Mondial, mais aussi la Coupe arabe le mois dernier ont tous été disputés avec la même équipe : ils se connaissent par cœur et disposent de ce supplément d’âme du fait de la guerre qui les touche », témoigne le natif du Havre.
Une alchimie intéressante qui commence à porter ses fruits, en témoigne la bonne dynamique de résultats actuelle des Faucons de Jediane, passés tout proche de s’envoler vers le Mondial américain l’été prochain. Alors, pourquoi pas se prendre à rêver de jouer les poils à gratter dans cette CAN ? « Même si leur groupe est difficile, tout est possible. Il n’y a plus de petites équipes en Afrique aujourd’hui », sourit Fofana. Retrouver le sourire le temps d’un tournoi, voilà le meilleur cadeau que pourraient offrir les joueurs du Soudan à toute une nation endeuillée.
Top 50 : les plus grandes sélections africaines de l’histoire (40 à 31)Par François Goyet
Tous propos recueillis par FG.






























