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Jessy Moulin : « L’odeur du deux temps qui fume, c’est trop bon »

Propos recueillis par Gaspard Manet
Jessy Moulin : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>L’odeur du deux temps qui fume, c’est trop bon<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Il est arrivé à l’AS Saint-Étienne à treize ans. À 31, Jessy Moulin a toujours l’écusson stéphanois sur le cœur même s’il ne l’a arboré que dix-huit fois en match officiel. Là réside toute la cruauté du rôle de doublure. Un rôle que le remplaçant de Stéphane Ruffier n’a pas hésité à décrire pendant une petite heure. Tout en prenant le temps de parler d’autre chose. Comme ses enfants, la ville de Saint-Étienne ou encore la campagne qu’il aime tant. Sans oublier le sport mécanique, évidemment.

Le 5 février dernier, tu étais titulaire dans un derby pour la première fois de ta carrière. Qu’as-tu ressenti à ce moment-là ? Avant la rencontre, j’ai essayé de ne pas trop me mettre de pression, car je savais qu’il allait y en avoir déjà suffisamment autour de ce match-là. Après, au moment d’entrer sur le terrain, c’est vraiment quelque chose de particulier. Le stade est déjà presque plein au moment où tu sors pour t’échauffer. Il y a beaucoup d’excitation, tu te rends vraiment compte de la ferveur du truc. J’étais vraiment très heureux et très fier de jouer ce match.

Ce match était seulement ton 17e (son 18e aura lieu trois jours plus tard, face à Nice, ndlr), en plus de dix-huit ans passés au club. Comment on fait pour aborder ce rôle de troisième gardien ?
On ne s’y fait pas tellement, en fait. D’ailleurs, le jour où on s’y fait, c’est que c’est probablement l’heure d’arrêter, car on ne sera plus performant. Je suis persuadé que si je m’en étais contenté, je ne serais plus là à l’heure actuelle. J’ai toujours travaillé, progressé, dans l’espoir de jouer. Il faut vraiment garder un esprit de compétition, sinon tu es mort. Tu ne peux pas t’en contenter. Même pas un petit peu. Après, il y a des moments qui sont plus durs que d’autres, mais ça ne veut pas dire qu’on s’en contente.

Tu continues à t’entraîner au quotidien pour essayer d’être titulaire ?Bien sûr. Mon boulot, c’est de jouer au foot, de m’entraîner au quotidien. Et comme tout le monde, je me dois d’être bon et exemplaire dans ce que je fais. Il faut que je donne le meilleur de moi-même. Pour continuer à être dans le groupe, déjà, et puis pour être prêt à tout instant en cas d’absence du numéro un.

Quand a ce rôle de doublure, n’existe-t-il pas un risque de lever un peu le pied, de se résigner à son sort, en quelque sorte ? Évidemment. Il y a un gros risque, même. Il faut faire attention à ne pas tomber dans cette résignation, justement. Mais, attention, c’est un gros travail mental au quotidien. Tous les matins, je me lève en me disant que je vais vraiment donner le meilleur de moi-même pour montrer aux dirigeants que je suis là, que je suis prêt en cas d’éventualité. Il n’y a pas un jour où je baisse le rythme. Je n’ai pas envie que le staff puisse penser une seule seconde : « Ah, regarde, Jessy a lâché un peu en ce moment, il est moins bien. » Ce ne serait pas acceptable pour moi, alors je fais tout pour que ça n’arrive pas. De toute façon, si tu commences à être dans cet état d’esprit, c’est vraiment le début de la fin…

Je ne m’autoproclame pas leader. Je n’aime pas trop ça, d’autant qu’il y a d’autres leaders qui, eux, jouent, donc qui ont plus de légitimité.

Tu parlais de moments plus durs que d’autres, tu en as connu beaucoup ?Oui, j’en connais même souvent. Je suis un compétiteur dans l’âme, et ce que j’aime par-dessus tout, c’est jouer, comme tous ceux qui font ce métier. Donc, forcément, il y a des fois où c’est dur de vivre avec le groupe toute la semaine et de ne pas participer avec eux aux résultats du week-end.

Et comment on fait pour surmonter ces moments-là ? Il n’y a pas de vérité absolue, je pense. En ce qui me concerne, je me réfugie dans le travail. C’est également important de ne pas hésiter à en parler, notamment avec les amis, la famille. Et puis il y a des compensations comme le fait, maintenant, avec mon âge et mon expérience au club, de pouvoir conseiller les plus jeunes. Être, pour eux, une oreille attentive, les rassurer en cas de besoin. J’aime bien écouter les gens. Et puis, du coup, ça permet de participer à la vie du groupe d’une autre manière.

Tu es un leader du vestiaire, quoi ?Je ne m’autoproclame pas leader. Je n’aime pas trop ça, d’autant qu’il y a d’autres leaders qui, eux, jouent, donc qui ont plus de légitimité. Après, j’essaie d’avoir mon importance aux yeux de mes coéquipiers. Déjà, le fait de se donner à fond tous les jours, c’est quelque chose qui ne passe pas inaperçu et qui te donne de l’importance dans un groupe. Mais c’est vrai qu’il y a des joueurs, souvent des jeunes, qui aiment bien venir me voir pour me demander un conseil, ou tout simplement pour me dire qu’en ce moment, ils ne vont pas trop bien. C’est valorisant qu’on vienne vous voir pour ce genre de choses.

Quand on est doublure, est-ce possible d’avoir une relation amicale avec celui qui occupe le poste de numéro un ? C’est tout à fait possible de bien s’entendre, oui. De toute façon, mon rôle, c’est de laisser au titulaire la place dont il a besoin pour s’exprimer, pour être bon. Après, évidemment, ce n’est pas toujours facile, mais ça n’empêche pas de bien s’entendre. Il faut savoir être intelligent et avoir un peu de recul sur les choses. On est à l’AS Saint-Étienne, il y a une hiérarchie qui est établie, il faut la respecter. Il ne faut pas penser qu’à son cas personnel, mais avoir une vision collective pour le bien de l’équipe. De toute façon, c’est important d’avoir une bonne entente au quotidien pour pouvoir bosser dans les meilleures conditions.

En ce qui te concerne, que ce soit avec Janot ou Ruffier, tu as donc toujours eu de bonnes relations ?Ce sont deux personnes totalement différentes. Que ce soit en tant que joueur ou en tant qu’homme, mais, oui, ça s’est toujours bien passé. Très bien, même. Si on se voit en dehors ? Non, pas vraiment. Mais c’est aussi une question d’âge. Quand tu as trente ans, deux enfants, tu sors beaucoup moins, forcément. Donc on se voit majoritairement dans un cadre professionnel. Il y a moins d’à-côtés avec l’âge (rires). Mais de toute façon, le plus important, c’est que ça se passe bien sur le terrain.

Quand tu es second gardien, que tu joues peu, tu es assez flatté d’avoir une proposition, donc tu l’étudies sérieusement, mais ce n’est pas non plus une raison pour partir à l’abordage sans réfléchir.

En 2015, tu as eu des touches avec l’AJ Auxerre, pourquoi ton transfert là-bas ne s’est-il finalement pas fait ? Il y a eu des discussions. Les dirigeants auxerrois m’ont dit qu’ils étaient intéressés par mon profil, donc forcément on a étudié la chose, puisque ça pouvait être une bonne opportunité, dans un bon club. Finalement, ils ont pris un autre gardien et ça ne s’est pas fait, voilà tout.

Toi, tu étais vraiment chaud pour aller là-bas ? On discutait… Je sais très bien ce que j’ai à Saint-Étienne et je n’allais pas partir à l’aventure sur un coup de tête. Encore une fois, quand tu as une famille, des enfants, tu ne réfléchis plus pareil, ça ne concerne pas que toi. C’est le genre de choses qu’il faut vraiment réfléchir. La promesse d’une place de titulaire ne suffit pas à me déloger de là où je suis. Ça fait des années que je suis ici, tout s’est toujours bien passé. Après, évidemment, ce genre de propositions, ça fait toujours plaisir, car quand tu es second gardien, que tu joues peu, tu es assez flatté d’avoir une proposition, donc tu l’étudies sérieusement, mais ce n’est pas non plus une raison pour partir à l’abordage sans réfléchir.

Plus jeune, tu as connu des expériences ailleurs puisque tu as été prêté trois fois au total. Ce sont des expériences qui t’ont donné envie de bouger à l’époque ? Bien sûr. Quand j’ai signé à Arles, en 2008, c’était une saison magnifique puisqu’on obtient la montée en Ligue 2. J’aurais adoré continuer là-bas, mais bon, ça ne s’est pas fait. Déjà, les dirigeants d’Arles ont décidé très tardivement de me conserver et puis derrière, ils ont pris un autre gardien, donc je ne voulais pas prendre le risque de me retrouver là-bas sans jouer. Et c’est comme ça que je suis retourné en National, en prêt à Fréjus. Encore une fois, c’était une super saison, on avait une belle équipe, on avait notamment fait un super début de championnat puisqu’on était sur le podium à la trêve avec pas mal de points d’avance sur le quatrième, mais ça ne s’est pas terminé avec une montée, malheureusement…

Après une saison en tant que doublure, ta première, tu es de nouveau prêté, à Clermont cette fois, mais ça se passe moins bien que les deux premières fois. C’est clair. J’ai beaucoup moins joué et ça a été un peu dur à vivre. D’autant que je venais de faire quelques apparitions en Ligue 1, et là je me retrouve remplaçant à l’échelon en dessous. C’était assez compliqué. Pas le genre de situation agréable à vivre. Du coup, lorsqu’en fin de saison, l’ASSE me dit que je reviens au club en tant que second gardien, ça a été un vrai soulagement, puisque, pour être honnête, je me voyais plutôt aux oubliettes, à ramer pour trouver un club.

Je n’ai pas de passion comme la pêche ou la chasse, c’est juste que j’aime bien me promener. Sortir le vélo ou le quad.

Finalement, tu es heureux dans ce club auquel tu montres un gros attachement ? Ma façon d’être favorise ça aussi. Je suis quelqu’un qui essaie vraiment d’être toujours positif, et je prends énormément de plaisir à rentrer dans ce vestiaire pour retrouver mes coéquipiers. Je suis heureux d’être là, quoi. Même si, comme je le disais, il y a des moments compliqués, je suis quand même vachement heureux dans la vie. J’ai deux super enfants, une femme géniale, et puis je suis footballeur, hein, je ne vais pas à la mine. Il suffit de zapper quelques instants sur le journal de 13h pour voir qu’on n’est pas les plus malheureux. Alors voilà, être second gardien, c’est dur. Parfois très dur, mais regarde, là c’est moi qui viens d’aller chercher mes gamins à l’école à 16h30, c’est moi qui vais jouer avec eux, qui vais les coucher et demain matin je vais encore les réveiller pour les amener à l’école. Parfois, je peux même manger avec eux à midi, alors bien sûr que j’ai une vie agréable.

D’ailleurs, tu as récemment prolongé jusqu’en 2020.C’est une belle forme de récompense. Souvent, j’ai douté de moi, de mon travail, je me suis posé beaucoup de questions et cette marque de confiance a mis en valeur mon investissement. Beaucoup de gens ont été heureux pour moi dans mon entourage… c’est super. Vraiment, c’est une très grande fierté d’être là jusqu’en 2020. Et comme j’ai dit aux dirigeants le jour où j’ai prolongé, j’aurai toujours le même investissement au sein de ce club. Pour mes coéquipiers, pour les supporters, je tâcherai toujours de donner le meilleur de moi-même.

On connaît ton amour pour le club de l’ASSE, mais est-ce qu’il vaut aussi pour la ville de Saint-Étienne ? Bien sûr. J’ai vécu longtemps à Saint-Étienne. En centre de formation, déjà, puis pendant quatre autres années, à Saint-Priest-en-Jarez. Mais j’ai fini par m’éloigner un peu lorsqu’on a décidé, avec ma femme, d’acheter une maison à la campagne, dans la plaine, vers Montbrison. Mais on continue d’y aller souvent, pour se faire un petit restaurant ou voir des amis. Après, on est vraiment heureux à la campagne, les enfants s’y plaisent vachement, c’est le top.

Tu as dit un jour être « un homme de la campagne » , ça veut dire quoi concrètement pour toi ?
J’aime bien la tranquillité, déjà. J’ai été élevé à la campagne, vers Montélimar, et donc voilà, la ville n’est pas forcément ma tasse de thé. J’aime bien sortir de chez moi, prendre le vélo, et partir faire un tour, tranquille, à l’air libre. Puis pour aller se balader, que ce soit avec les enfants ou tout seul avec les chiens, c’est quand même génial. Je n’ai pas de passion comme la pêche ou la chasse, c’est juste que j’aime bien me promener. Sortir le vélo ou le quad.

Quand tu rentres à la maison et que tu dis à madame que ton seul jour de repos de la semaine, tu vas le passer à faire de la bagnole à 150 kilomètres de chez toi, elle ne va pas trop apprécier et ça se comprend tout à fait.

Tu parles de quad, sur ta photo de profil Twitter, tu es en moto et tu as une voiture en photo de bannière, tu es un grand fan de sport mécanique ? Ouais, j’adore ça. Je suis tout le sport méca à la télé, que ce soit moto ou voiture. En ce qui concerne la pratique, c’est quand même plus compliqué, surtout avec le métier de footballeur, puisqu’on a des clauses qui nous interdisent certaines choses. Mais dès que je peux, je vais sur les circuits, assister à des petites courses locales, j’aime bien ça. Rien que de sentir l’odeur ou d’entendre le bruit, je suis heureux comme tout. Peu importe que ce soit du cross ou du karting, tant que ça fait du bruit et que ça sent bon…

Tu kiffes tant l’odeur que ça ? Ah ouais ! L’odeur du deux-temps qui fume, c’est trop bon.

Tu n’as donc pas trop le temps de pratiquer ? Pas trop, non. Je m’étais acheté une voiture pour aller sur circuit de temps en temps avec des amis, mais ça prend vachement de temps. Déjà, les circuits ne sont pas forcément à côté, donc quand tu rentres à la maison et que tu dis à madame que ton seul jour de repos de la semaine, tu vas le passer à faire de la bagnole à 150 kilomètres de chez toi, elle ne va pas trop apprécier et ça se comprend tout à fait.

Tu parlais de la vision différente de la vie que l’on avait lorsqu’on a des enfants, ça s’applique aussi à ça, non, la peur de pratiquer une activité à risque ? Ouais, il y a de ça aussi. Après, attention, je ne roulais pas en voiture supersonique. Je suis assez fan de mécanique pour me faire plaisir tout simplement. Tu n’es jamais à l’abri de rien, hein, mais ce n’était pas avec les voitures qu’on avait qu’on risquait de se faire mal. J’avais une vieille 3.25 de 1994 avec un pont autobloquant pour aller faire des drifts avec des collègues. On ne roulait pas bien vite, finalement. On était juste là pour s’amuser un peu.

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