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Ivan Hrdlicka : « Nous sommes condamnés à rester dans l’histoire »

Tous propos recueillis par Christophe Gleizes, à Bratislava
6 minutes
Ivan Hrdlicka : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Nous sommes condamnés à rester dans l&rsquo;histoire<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

En 1969, le Slovan Bratislava signe le plus grand exploit de l'histoire du football slovaque, en terrassant le FC Barcelone en finale de la Coupe des coupes (3-2). Légende vivante du club, Ivan Hrdlička retrace pour nous ce parcours incroyable, au bout duquel il a trouvé l'éternité.

Salutations Ivan. La Coupe des coupes 1969, ça vous parle ?

Pas mal oui (rires)

À l’époque, le début de compétition est perturbée par le contexte géopolitique…

Oui, l’armée soviétique avait envahi le pays en août pour imposer la chape de plomb du socialisme. Pour protester contre l’invasion, certaines équipes occidentales ont refusé de se rendre en Europe de l’Est pour jouer leurs matchs. L’UEFA a alors décidé de faire un nouveau tirage au sort, ce que n’ont pas accepté plusieurs clubs comme le Dinamo Moscou, l’Union Berlin ou le Spartak Sofia qui voulaient conserver le tirage initial. Ils ont finalement déclaré forfait, ce qui a posé pas mal de problèmes.

Comment était l’ambiance en Tchécoslovaquie ?

Avant les événements de 1968, la Tchécoslovaquie traversait une période positive, symbolisée par le Printemps de Prague. La jeunesse était fatiguée, on en avait assez de la censure et de la surveillance politique. Il y avait une transition vers plus de démocratie, et l’ambiance était au progrès et à l’optimisme. Mais la doctrine Brejnev a stoppé net toutes les réformes engagées par Alexander Dubček.

Quelle était la place du football dans tout ça ?

Les gens s’intéressaient déjà beaucoup au football. Pour certains matchs à domicile, il n’était pas rare d’avoir 30 000 personnes au stade pour suivre le Slovan, c’était la norme.

En seizièmes de finale, vous commencez doucement en battant le FK Bor, un club serbe sans grande envergure…

C’était sans doute l’adversaire le moins prestigieux sur notre chemin, mais avec le recul, je me demande si passer ce premier tour n’a pas été le plus difficile. Tout a bien commencé pour nous puisque nous gagnons 3-0 à domicile lors du match aller, tranquilles. Mais au retour, on a goûté l’enfer. On était sans doute venus trop confiants, on se disait que c’était plié. Mais les supporters serbes en tribunes nous ont mis une pression complètement dingue. L’atmosphère était étouffante. On a finalement réussi à ne perdre que 2-0, mais c’était clairement l’un des matchs les plus durs de la compétition.

Derrière, les choses s’enchaînent. Vous créez la surprise en éliminant le FC Porto…

Porto et Benfica, c’étaient déjà les meilleurs clubs portugais à l’époque. On a perdu 1-0 au Portugal, mais au retour, on les a terrassés 4-0 chez nous, devant nos supporters. Tout s’est très bien passé, les choses ont bien tourné pour nous et ça nous a rendu le match très facile.

Puis en battant le Torino…

On s’était très bien préparés, car on rentrait d’une tournée de matchs amicaux en Argentine, à Mar Del Plata. On a réussi à gagner les deux matchs, mais c’était serré. S’il y a bien une chose que je retiens de cette confrontation, c’est mon expulsion à la 37e minute de jeu, chez nous, devant notre public. J’étais nerveux. Le défenseur central italien s’est essuyé les crampons sur ma cuisse. J’ai pété les plombs et je l’ai frappé (rires). Je ne sais toujours pas pourquoi j’ai réagi comme ça, d’habitude j’étais toujours très discipliné. C’est le seul carton rouge que j’ai eu dans toute ma carrière !

Vous étiez quel genre de joueur ?

À l’époque, au Slovan, on jouait en 4-2-4. Notre meilleur joueur, Karol Jokl, était un sacré tripoteur de ballon. On avait aussi des ailiers très rapides, comme Ján Čapkovič, qui étaient excellents. Moi, j’étais un des deux du milieu, chargés de faire la liaison entre les quatre de derrière et les quatre de devant. Ma spécialité, c’était de courir et de travailler pour l’équipe. Un peu comme le Français, là, qui joue à Monaco…

Jérémy Toulalan…

Oui, voilà ! Mais il est plus rugueux que moi quand même. J’avais une mentalité plus offensive.

En demies, ce sont les Écossais de Dunfermline qui se dressent devant vous. Pas une partie de plaisir…

À cause de mon carton, je n’ai pas pu jouer le premier match en Écosse, on a fait match nul. C’était horrible, une vraie bagarre. Ils avaient écrasé l’APOEL Nicosie 10-1 en seizièmes et on a compris pourquoi. Ils imposaient le duel physique et faisaient faute à chaque action. Au Slovan, on aimait jouer, donc on n’était pas vraiment à l’aise avec ce type de football. On a réussi à s’en sortir au match retour en gagnant 1-0, de justesse, mais c’était vraiment difficile. Un vrai combat.

Arrive enfin la finale du 21 mai 1969, contre le grand Barça…

Carlos Rexach était la star de l’équipe à l’époque. Ils étaient les grands favoris, mais on avait l’habitude des joutes européennes, donc on n’étaient pas effrayés. On avait du respect, mais pas de peur. Nous croyions en notre force et dans la tactique choisie par Michael Vican, notre coach. Il avait une sorte de sixième sens pour le football. Sur le banc, il avait l’air toujours très strict et énervé, mais il prenait toujours la bonne décision, peu importent les circonstances. C’est un talent que tu ne peux pas apprendre.

Tout commence à la perfection avec ce but de Cvetler dès la 1re minute de jeu…

Pour moi, c’est le moment le plus important de la finale, ça a tout conditionné. Ils ont été surpris d’entrée, et ça nous a permis de les attendre un peu plus, retranchés dans notre camp. Comme toujours, le Barça avait la possession du ballon, mais nous pouvions alors utiliser nos ailiers pour la contre-attaque. C’était la clef tactique du match. Le Barça a égalisé, mais nous avons rapidement repris l’avantage grâce à notre défenseur central, puis grâce à Čapkovič. À 3-1 à la mi-temps, forcément, j’ai commencé à y croire dur comme fer. Nous étions courageux, bien organisés, mais en plus nous avions ce petit supplément d’âme et de chance qui fait que tout tourne bien, comme sur le premier et le deuxième buts, où nous avons des contres favorables.


La seconde période est quand même bien disputée…

On était à peine rentrés du vestiaire que Rexach nous rentre un corner direct à la 52e. Derrière, à 3-2, c’était la bataille, il y avait des occasions de chaque côté. On aurait pu mener 4-1, mais on a progressivement reculé. À cause du stress, Michal Vičan devenait très expressif et nerveux sur le banc. On était dominés, cela est resté très ouvert jusqu’au bout. Ils ont poussé comme des fous pour égaliser, mais ils ont raté une occasion énorme en fin de match, à trois mètres des buts. Finalement, l’arbitre a sifflé. C’était terminé. On avait gagné.

C’est à ce jour le plus grand exploit du football slovaque…

C’était l’âge d’or de notre football. La même année, le Spartak Trnava a fait une demi-finale de Ligue des champions contre l’Ajax de Rinus Michels… C’était pas mal aussi. Ils ne sont pas passés loin, mais ils n’ont pas eu notre réussite. Quand nous sommes revenus à Bratislava, la fête a été immense. On est allés sur la place centrale, il y avait des milliers de gens dans la rue pour nous acclamer. On représentait tout un pays uni dans la fierté.

Pensez-vous possible que votre épopée soit un jour égalée ?

Je ne pense pas que ce soit envisageable à court ou moyen terme. La situation est très différente de notre époque. Aujourd’hui, les clubs slovaques n’ont pas les moyens sportifs et financiers de lutter avec les mastodontes européens. Tous nos meilleurs joueurs quittent le pays pour jouer à l’étranger, de plus en plus jeunes. J’aimerais que ça arrive dans le futur, mais je crois que nous sommes condamnés à rester seuls dans l’histoire encore de longues années.
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Tous propos recueillis par Christophe Gleizes, à Bratislava

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