France-Ecosse, un problème géométri(st)e
La France avait l'occasion de se qualifier directement ou presque pour l'Euro ce soir, si elle battait l'Ecosse, un adversaire a priori à sa portée, dont tout le monde savait qu'il allait rester groupé dans ses 30 mètres. Mais incapable de fissurer le bloc scottish, la France a revécu le même match qu'à l'aller et se retrouve 3e de sa poule derrière l'Ecosse et l'Italie, vainqueur en Ukraine (2-1). Dans les gradins de San Siro, Domenech aurait dû bosser sa géométrie...
« On a fait ce qu’il fallait, je ne vois pas ce qu’on pouvait faire de plus »… Raymond Domenech a tout dit dans cette phrase. Pas tant que la France ait fait ce qu’il fallait, non, loin de là, puisque ce qu’il fallait, c’était gagner, même 1-0 à la dernière minute, non, mais voilà, Raymond Domenech est à l’image de cette équipe pourtant si riches en talents, un gagne-petit.
C’est au moins la leçon de la soirée : la France est belle et bien une équipe de contre, incapable de mener la danse quand l’adversaire refuse de faire le premier pas. Malouda, dans une interview surprenante à l’Équipe le matin même, ne disait d’ailleurs pas autre chose. Lui que le sélectionneur contraignait à bloquer le couloir gauche, comme si le repli défensif devait être prioritaire au déploiement offensif. Comme si la France était l’Italie.
Malouda avait prédit, toujours dans le même papier, que tant que la France n’aurait pas marqué, elle ne serait pas à l’abri. Pas con. A 0-0, on est toujours plus proche du 0-1, qu’à 1-0. Implacable. Tant et si bien qu’à la 64e, quand McFadden était à la réception d’un long dégagement, pivotait et, au milieu de quatre Bleus au marquage détendu, armait une frappe cadrée sous la barre que le petit Landreau fouettait main gauche directement dans son but, on repensait à l’axiome « Malouda » et on se disait que, bon Dieu de nouille, les Français auraient mieux fait de bosser la géométrie plutôt que l’arithmétique.
Car de quoi s’agit-il au fond, si ce n’est d’un bête problème de géométrie dans l’espace dont tout le monde connaissait l’intitulé ?
« Considérant que le terrain de football est un rectangle et que la ligne médiane le divise en deux parties exactement semblables, considérant également que dans une moitié de terrain, se concentreront environ 21 joueurs sur les 22 présents pendant l’essentiel d’une partie limitée dans le temps, quel dispositif mettre en place pour permettre à dix des joueurs ayant le même maillot de coller un putain d’icosaèdre tronqué dans le but défendu par les onze autres locataires de la zone évoluant de manière compacte ? »
Il y avait deux solutions au problème : soit l’équipe de France réussissait à aspirer son adversaire, donc à fissurer le bloc défensif en distandant les lignes, soit elle réussissait sa métamorphose en équipe de handball. Évidemment, la première solution n’était valable que si les Écossais étaient venus à Paris pour « jouer le jeu ». À savoir profiter des espaces laissés par les Bleus mais en laisser à leur tour en contrepartie. C’était évidemment confondre fairplay écossais et bêtise tactique. Or McLeish est roux, mais pas con. Ses consignes étaient d’une limpidité et d’une simplicité tellement évidentes qu’il n’avait même sans doute pas eu besoin de les énoncer. Tout le monde les connaissait, même les Français. Où l’on se réfère à nouveau à l’interview de Malouda si un pervers demande des preuves.
Ne restait donc que la deuxième solution : le hand, c’est-à-dire l’attaque placée. Le secret d’une phase offensive de ce type consiste à créer, à un moment donné, par une succession de passes latérales ET de feintes, une brèche, une ouverture, un décalage, qui permet à l’un des joueurs de frapper au but.
Combien de frappes au but de la part des Français pendant ce match ? Une dizaine tout au plus, dont la moitié de passes au gardien. La France n’a pas assez tiré, parce qu’elle n’a pas trouvé les brèches. Et pourquoi n’a-t-elle pas trouvé les brèches ? Peut-être parce qu’elle a joué parfois un peu trop bas -alors qu’elle savait pertinemment que les Écossais ne tomberaient pas dans le panneau-. Pourquoi a-t-elle joué si bas ? Parce qu’il y avait deux milieux défensifs sur le terrain, soit un de trop pour un tel match.
Il y a quelques mois, un article de sofoot.com qu’il faudrait retrouver dans les archives du site, revenait sur la frilosité de Raymond Domenech, élevé au bon grain de Jacquet, expliquant qu’elle pourrait bien perdre un jour l’équipe de France. Raymond Domenech n’a jamais lu cet article, pas plu qu’il n’a lu l’interview de Malouda. Il aurait dû.
Que Vieira et Makélélé soient côte à côte contre l’Italie, à San Siro, soit, la densité du milieu italien l’exigeait -et même la France n’a pas su se montrer à la hauteur dans ce secteur samedi dernier-, mais quel est l’intérêt, quand on joue cette Écosse-là, après le match aller que tout le monde a encore en mémoire pour ne pas dire autre part, d’évoluer avec deux milieux défensifs ? Claude Makélélé, impeccable ce soir, aurait largement suffi, Vieira, à court de compétition aurait pu souffler, l’Inter Milan aurait été ravi, et Samir Nasri aurait pu débloquer ce jeu français qui, dès qu’il passait par l’axe était incapable de prendre de la vitesse, de percuter. D’autant que le seul couloir où la circulation était autorisée dans les deux sens semblait être celui du diesel Ribéry. Qui mit du temps à démarrer mais qui, en seconde période, fut le seul capable de créer le décalage par ses crochets courts, si bien qu’il a même fini par vouloir tout faire tout seul, en pure perte.
Il y a eu trois tournants dans ce match. D’abord aux alentours de la 55e lorsque Ribéry gâcha un beau mouvement Anelka-Trézéguet, en frappant « chaussette » sur le gardien écossais, la faute à des appuis foutraques, puis lorsqu’Anelka à la réception aux six mètres d’une merveille de centre en retrait ribériesque oublia de se coucher sur son ballon pour l’endormir petit filet opposé et préféra un plat du pied plein centre sur Gordon dont la main s’avérait plus ferme que celle de Landreau une dizaine de minutes plus tard.
C’est évidemment l’autre tournant du match. Ce but de McFadden, un type avec une gueule à chanter dans le groupe Travis, qui vous claque une mine pleine de morgue aux 30 mètres qu’un Coupet aurait peut-être détournée en corner, mais là, c’était Landreau.
Le troisième tournant fut l’entrée de Samir Nasri, suivi de près par Karim Benzema. Les deux mômes prouvèrent en un petit quart d’heure qu’ils étaient largement capables de conduire le camion bleu, qui, du même coup, semblait avoir une meilleure reprise. Qui nous dit qu’avec Nasri d’entrée, la France n’aurait pas été capable de bouger cette défense, compacte et solidaire certes, mais d’une lourdeur telle qu’il aurait fallu insister sur la qualité de certains joueurs français dans les duels (Ribéry, Malouda, Nasri, Anelka, Benzema, Diarra) plutôt que de faire tourner pépère en attendant qu’un Écossais soit assez con pour sortir sur Vieira et saper l’équilibre du bloc. ? Rien. Mais une chose est sûre, le seul piège de l’énoncé du petit problème de géométrie dans l’espace posé ce soir consistait à opter pour un 4-4-2 losange alors que l’équipe adverse joue en 10-1 carré. Mais c’est bien connu, Domenech est un littéraire.
Célestin Burnin
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