Flou de Rennes
Modestement installé à la dixième place du classement, le Stade Rennais effectue un début de saison nébuleux avant d'aller défier Lyon (dimanche, 21 heures). Simple creux ou début de retour dans le rang ?
Manifestement, les journalistes du Wall Street Journal ne connaissent pas leur compatriote Carlos Bocanegra : interrogeant François-Henri Pinault cette semaine sur sa stratégie économique, ils ont oublier de le questionner sur la valeur de son défenseur gauche américain, alors que le patron de PPR annonçait son intention de vendre la Fnac et Conforama pour se recentrer sur ses activités haut de gamme, comme Gucci. Propriété exclusive de la société familiale, Artémis, le Stade Rennais ne fait pas partie du tableau, mais la question s’applique à lui aussi : est-ce du luxe, du standard, du low-cost ? Depuis le début de la saison, plutôt un produit de consommation courante, à l’étiquette peu lisible.
La qualité de l’effectif, pourtant, n’est pas en cause. Sur le papier, Rennes a largement moyen d’être le « r » de Big Four : le club n’a perdu à l’intersaison que Stéphane Mbia (contre 12 millions d’euros, le triple du transfert de Gourcuff au Milan trois ans plus tôt), dont le niveau quelque peu erratique et les drops en tribune avaient fini par lasser les supporters. En parallèle, il a notamment récupéré deux grands blessés, Asamoah Gyan, l’attaquant de balsa au réalisme en nette hausse ces derniers mois, et Sylvain Marveaux, le Malouda local de la saison 2006-2007. Et gagné aussi au passage un Bleu supplémentaire, Douchez, convoqué comme quatrième gardien pour la fin des éliminatoires. Bref, le problème, n’est pas technique, mais plutôt tactique et mental – identitaire, osons le mot.
Le système, d’abord, laisse les Rouges et Noirs dans un entre-deux : l’équipe n’a à la fois pas de star suffisamment incontestée pour bâtir un schéma autour d’elle, mais pas non plus de titulaires suffisamment polyvalents pour s’adapter sans mal. Frédéric Antonetti est arrivé sur les bords de la Vilaine avec son fidèle 4-3-3 sous le bras, mais Rennes n’a les moyens de jouer qu’un faux 4-3-3 sans vrais ailiers, cette plaie du football moderne qui ne vise avant tout qu’à occuper le terrain sur toute la largeur. Résultat, on a vu plusieurs fois Ismaël Bangoura, la grosse recrue de l’intersaison, errer en plein jet lag sur l’aile droite, là où sa route s’était dégagée dès l’entame du premier match contre Boulogne : le Guinéen était venu barboter à l’arrachée, plein centre, un ballon destiné à Leroy, pour un retourné d’anthologie… Gyan et Briand, bientôt de retour après sa grave blessure, étant eux aussi plus à l’aise dans l’axe, l’idée d’un 4-4-2 s’impose d’elle-même. Mais nécessitera d’excentrer les deux créateurs Leroy et Marveaux, voire d’en installer un en 10 dans un milieu en losange dont les affaires courantes seraient confiées aux relayeurs (les recrues Tettey et Inamoto, très inégales pour l’instant, ou le jeune Yann M’Vila, révélation du début de saison). Un pari dans un club qui a davantage misé depuis deux ans sur un duo bétonné de découpeurs/marathoniens.
Or, réussir un pari suppose de la force mentale, dans une équipe dont on déplore avec constance le manque de caractère. Cette saison encore, Rennes déroule deux classes au-dessus quand le scénario s’engage bien (Boulogne, Grenoble, Montpellier…) mais patine dès que la mécanique se grippe – comme la semaine dernière contre Le Mans, avec une seconde mi-temps consternante malgré la victoire finale. L’équipe ressemble à son environnement, à ses supporters régulièrement épinglés pour leur mollesse (de ce point de vue là, la défaite en finale de Coupe n’a rien arrangé), ou même à son entraîneur : comme un caïd repenti, Frédéric Antonetti s’est gentiment fondu dans son environnement, réservant ses rares emportements à l’évocation de son passé (le racisme dans le football corse cette semaine, par exemple). « La vraie réussite n’est-elle pas de laisser croire qu’on méritait mieux ? » . La phrase, superbe, est de Jérôme Leroy (dans un bijou de portrait signé Libération), et on se dit qu’on pourrait la graver au fronton du stade de la Route de Lorient.
Rennes semble bien installé dans son statut d’underachiever. Ce n’est pas très grave, au fond, cela a même sa beauté masochiste. Mais il y a deux manières de se sous-passer : confortablement calé dans le ventre mou, rentré au sens littéral dans le rang, ou bien ballotté de bas en haut, un jour sur le podium, le lendemain au fond du trou, le surlendemain de retour à la surface. Rennes-la-bourgeoise, ces dernières années, était paradoxalement coutumière du deuxième cas : séries d’invincibilité remarquées, fin de saison à cent à l’heure pour arracher une place d’honneur, place en C1 lâchée sur tapis vert, défaite en finale de Coupe contre une L2… Le match de dimanche à Lyon, où Rennes aime bien se sublimer (victoire 4-1 en 2006, deux nuls arrachés dans les arrêts de jeu les deux dernières saisons) aura valeur de test pour un club dont on espère qu’il ne redeviendra pas ce qu’il n’était plus depuis cinq ans : une simple société anonyme.
Jean-Marie Pottier
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