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Flavio Carneiro : « Je déteste voir jouer l’Allemagne »

Propos recueillis par PB, LDCC et CP, à Petrópolis
Flavio Carneiro : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Je déteste voir jouer l&rsquo;Allemagne<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Romancier et critique littéraire brésilien, Flavio Carneiro a deux choses dans sa vie : l'écriture et le football. À 18 ans, il a choisi d'être écrivain plutôt que footballeur professionnel. A-t-il cessé de jouer ? « Excusez-moi, il y a des affaires de foot partout », répond-il en invitant à monter dans sa voiture. Dans son salon, des photos de sa fille en grenouillère blanche et noire de Botafogo, à laquelle il murmure des chants de stade en guise de berceuse. Auteur de plusieurs essais et nouvelles sur le football, Flavio Carneiro reçoit chez lui, à Petrópolis, pour raconter sa relation au Brésil, à Botafogo et à la défaite.

Vous avez déménagé à Petrópolis pour être près des montagnes ou pour être plus près de la Seleção ?

Je suis venu ici pour être près des montagnes. C’est plus tranquille et plus calme qu’à Rio. Cette Seleção est loin de faire l’unanimité au Brésil. Il y a une tradition qui veut que les Sud-Américains aient un jeu basé sur la créativité, le dribble, un jeu sans trop de discipline tactique mais avec de l’imagination. C’est une tradition que Parreira ou Felipão ne respectent pas, car ils préfèrent un système de jeu plus tactique et rigide. Le problème, c’est qu’un joueur comme Neymar a du mal à s’épanouir dans une équipe comme ça. Pour moi, l’équipe la plus sud-américaine de cette Coupe du monde était la Colombie. Et puis de l’autre côté, on a l’Allemagne. Je déteste les voir jouer, mais il faut avouer que leur football est efficace. Je joue dans l’équipe de foot des écrivains brésiliens, avec laquelle on affronte les sélections des autres pays. Contre les Allemands, on a pris cher. Ils ont gagné 9 – 1, mais ils n’ont jamais tenté de faire un seul dribble.

La déroute du Brésil contre l’Allemagne en demi-finale risque-t-elle de donner lieu à un traumatisme plus fort encore que le Maracanaço ?

La défaite de 1950 a, en vérité, été une grande avancée. C’est à partir de là qu’on a monté une équipe capable de gagner cinq Coupes du monde. La première d’entre elles en 1958, c’est-à-dire peu de temps après ce qui s’est passé au Maracanã. On a beaucoup appris de cette défaite. Je ne pense pas que la même chose se reproduise aujourd’hui. La défaite de 1950 a été bien plus intense que celle contre l’Allemagne. Tous les membres de l’équipe jouaient alors au Brésil, ils nous représentaient vraiment. Et une chose importante : nous n’avions jamais encore été champions du monde. C’était donc une étape capitale, c’était la Coupe du monde qui devait nous faire entrer dans le club des grandes sélections mondiales. Le 7-1 de mardi dernier a été humiliant, mais la défaite ne privera pas le Brésil de sa place parmi les puissances du foot mondial, elle a simplement terni notre lustre. Pour que les choses changent vraiment, il faudrait que toute la direction de la Fédération brésilienne saute. Et je ne crois pas que ça va se passer.

Pourquoi les joueurs brésiliens pleurent-ils tout le temps ?

Ils sont très jeunes et la pression qu’ils ont sur les épaules est immense. En Amérique du Sud, c’est plus dur encore : les joueurs représentent leur pays, leur famille, leurs amis. Cette année, le Brésil avait une pression supplémentaire parce que nous avons perdu en 1950. Le Maracanaço reste un trauma pour le Brésil. 10% de la population de Rio était dans le stade ce jour-là et les attentes étaient énormes. C’était la première Coupe du monde depuis 12 ans à cause de la Seconde Guerre mondiale, le Brésil avait des joueurs exceptionnels et les années 40 et 50 étaient celles de la modernisation : l’entrée du Brésil dans le concert des nations, l’arrivée d’entreprises américaines, les gros travaux d’infrastructures. Tout le monde s’attendait à une victoire. La défaite a fait reculer le pays. La thèse selon laquelle le sous-développement était dû au métissage des races a par exemple frappé très fort. Barbosa, le gardien, était un métis noir, c’était le parfait bouc émissaire. Ces dernières années, on a vu aussi beaucoup de joueurs de la Seleção affirmer leur foi. En 2002, par exemple, on se rappelle avoir vu les Brésiliens prier en cercle au milieu du terrain au terme de la finale contre l’Allemagne. Les footballeurs sont géniaux sur le terrain, mais ils peuvent être assez limités en dehors. Ils n’ont pas été à l’université, ils ne lisent pas. Et quand ils le font, il s’agit de cette merde de littérature américaine de développement personnel, de la philosophie bon marché et canaille. C’est la même chose avec la religion et notamment avec les évangélistes. C’est un recours qu’ont les joueurs pour échapper à la pression, rester concentrés sur le jeu et fuir les tentations des femmes ou de l’alcool. Et puis, le Brésil est un pays religieux. Ici, même les trafiquants de drogue disent le Notre Père. Imaginez-vous un footballeur qui se déclare athée. Impossible.
Qui est la FIFA pour me dire que je ne peux pas regarder un match debout ?

Vous suivez la Coupe du monde ?

Le plus possible. (Il montre un tableau du tournoi où il a pronostiqué les résultats de chaque rencontre) J’aime bien regarder les matchs seul, avec une bière à la main. Parfois ma femme m’accompagne, mais elle ne connaît rien du foot. Imagine, elle supporte Fluminense, alors que je suis de Botafogo ! Quand j’étais jeune, j’aimais voir les matchs avec mes potes, faire la fête. Mais le lendemain, je me rendais compte que j’avais tout oublié. Les buts, les actions. À l’époque, j’allais aussi au stade. L’UERJ (Université de l’État de Rio de Janeiro) est vraiment à côté du Maracanã. On entendait la foule depuis les salles de classe. Quand je me faisais chier, je filais au stade pour voir les matchs, sans même savoir quels clubs jouaient.

Qu’est-ce que vous aimez dans le fait d’être au stade ?

J’aime insulter l’arbitre. Ici, on l’insulte avant même que le match ne commence. Il n’a rien fait, mais c’est une façon de rejeter l’autorité. Sinon, je ne suis pas forcément de ceux qui chantent. Sauf quand je rentre à la maison, je reprends l’air de « o campeão voltou » et je chante à ma fille « o papazão voltou, o papazão voltou » (le gros papa est rentré, ndlr).

Vous allez toujours voir des matchs ?

Plus maintenant. Déjà, c’est trop cher. Pendant la Coupe du monde, les personnes qui vont au stade ne sont pas des vrais supporters. Ils n’y vont que parce que c’est un événement. Avant, tu pouvais aller en virage pour 5 ou 10 reais (3 euros environ). C’était génial parce que tu pouvais être dans la fosse et avoir la tête quasiment au niveau de la pelouse. C’était un angle de vue absolument inédit pour regarder le football. Et puis c’était un endroit de déraison, avec des mecs qui allaient au stade pour faire la fête, des personnages dingues. On avait de la place. Quand le match était pourri, on prenait un ballon et on jouait dans la fosse. Les nouveaux stades répondent aux règles de la FIFA qui interdisent aux supporters de regarder un match debout. Qui est la FIFA pour me dire que je ne peux pas regarder un match debout ?

Vous vous considérez comme un bon joueur de football ?

J’ai joué au foot jusqu’à 18 ans et j’ai eu une proposition pour signer un contrat comme joueur professionnel dans une équipe à São Paolo. À ce moment-là, j’ai dû choisir entre poursuivre mon rêve de devenir écrivain et déménager à Rio ou aller à São Paolo pour le football. Ce fut une décision difficile, comme toutes les décisions le sont à cet âge-là. J’ai dû faire le mauvais choix, j’aurais pu gagner de l’argent plus vite (rires).

Rio de Janeiro et São Paolo, ce sont deux idées différentes du football ?

Historiquement, les équipes de Rio étaient des inventives, liées à l’idée du jogo bonito, et en même temps plus en galère au point de vue financier, avec des structures très limites. Même les torcidas cariocas sont plus créatives. São Paolo, c’est la puissance économique, les structures, la discipline, une organisation presque européenne, avec un jeu plus efficace, mais moins beau à regarder.

Depuis la victoire en 1970, le Brésil qui gagne, c’est celui qui joue mal ?

La plus belle Seleção de tous les temps était celle de 1982. Une équipe démente. Mais voilà, elle a perdu. Depuis cette défaite, il y a un faux débat sur l’efficacité et le spectacle. Au Brésil, on croit qu’il n’est plus possible de concilier les deux. Mais il existe des équipes qui montrent que c’est tout à fait possible, par exemple les trois premiers champions du monde du Brésil (58, 62, 70). En fait, c’est comme en littérature. Un beau texte doit être efficace, précis, tout en préservant la surprise et l’émerveillement. Quand j’écris, je travaille et travaille encore, pour qu’il n’y ait aucun mot de trop. Je déteste l’excès. L’écrivain doit toujours trouver le mot juste.
Il y aura toujours un Luis Suárez pour mordre un joueur

En littérature comme en football, est-ce que ce n’est pas l’excès qui permet le grandiose ?

Si, mais tout est une question de contexte. Par exemple, il y a un poème de Carlos Drummond de Andrade où il répète indéfiniment la même phrase. No meio do caminho tinha uma pedra / Tinha uma pedra no meio do caminho / Tinha uma pedra / No meio do caminho tinha uma pedra. (Au milieu du chemin il y avait une pierre / Il y avait une pierre au milieu du chemin / Il y avait une pierre / Au milieu du chemin il y avait une pierre). C’est excessif, mais ça fonctionne parfaitement. Pour moi, c’est le même poème que Pelé qui dribble le gardien uruguayen sans toucher la balle en 1970. Il manque ensuite le cadre, ça manque donc d’efficacité, mais c’est un geste absolument poétique. Aujourd’hui, on se retrouve avec une Seleção qui n’est ni poétique, ni efficace.

Comme écrivain et critique, vous dites détester les romans qui veulent faire passer un « message » . Ne trouvez-vous pas qu’il y a trop de morale dans le football ?

Le foot a toujours été utilisé pour transmettre un message, qu’il soit politique, moral ou idéologique. La dernière dictature brésilienne a tiré profit du succès du Brésil en 1970, au pire moment de la répression politique dans notre pays. Le football est également instrumentalisé pour faire passer des messages sur le dépassement de soi, la fraternité et la solidarité entre coéquipiers. De la même manière, la FIFA a entrepris une pasteurisation du football. Regardez la présentation des formations à la télé, tous les joueurs font la même chose. Ils croisent les bras, regardent à droite, regardent la caméra. Les bus des sélections sont tous les mêmes. La FIFA veut des stades très propres, tout doit être parfait, tout doit être sous contrôle. Sauf que le football continue à nous désorienter, à surprendre. Il échappe au système. Il y aura toujours un Luis Suárez pour mordre un joueur, un Costa Rica qui sort l’Italie et l’Angleterre. L’imprévu, c’est ce qui fait la beauté du football et d’un bon polar. Le reste, c’est de la mauvaise littérature.

Qu’est-ce que le football vous a-t-il appris sur la vie ?

Déjà, le sens des mots solidarité et camaraderie. Tu joues avec un mec que tu ne connais pas et, tout de suite, il devient un pote, quelqu’un que tu as l’impression d’avoir connu toute ta vie. Surtout, le football m’a appris que je ne suis pas infaillible. La veille d’un match, je rêve toujours de ce que je vais faire sur le terrain, du but que je vais marquer. Casagrande ou Ronaldo Fenomeno parlent très bien de ça. Sauf qu’on ne peut pas tout contrôler. Par exemple, tu peux t’entraîner tous les jours à tirer des penaltys pendant des heures, et puis le louper le jour du match. Le monde ne peut pas être planifié et le foot aide à accepter l’incertitude et l’imprévu.

Existe-t-il un parallèle possible entre le joueur de foot et l’écrivain que vous êtes ?

Je n’ai jamais pensé à ça, mais je crois avoir hérité de quelques trucs de ma période de joueur. Le meneur de jeu ressemble sans doute au poète. Moi, j’étais attaquant, comme l’écrivain de prose, qui poursuit un objectif, un but. Je pense aussi qu’il faut s’entraîner, se préparer pour être prêt à saisir l’opportunité quand le moment d’inspiration arrive. C’est une question de secondes, un truc très rapide. Prends par exemple le but de Messi contre l’Iran. Il ne voit même pas le but. Il dribble et puis il la met dans le petit filet, sans jamais avoir regardé où se trouvait le gardien ou le poteau. C’est la même chose pour un écrivain. Tu te mets à écrire, et à un moment l’intuition ou l’inspiration arrivent. Un autre point en commun entre la littérature et le foot, c’est la lecture. Dans le football, tout n’est que lecture. Sur un terrain, tu dois en permanence lire les comportements de tes adversaires, de tes coéquipiers et de toi-même. Et je ne crois pas qu’il existe un écrivain qui ne soit pas, déjà, un lecteur.

Le football, c’est le Brésil. Qu’en est-il de la littérature brésilienne ?

Depuis le XIXe siècle et pendant la quasi-totalité du XXe siècle, la littérature brésilienne s’est construite comme une littérature nationale. Pour exister, les écrivains brésiliens devaient écrire sur le Brésil, sur nos terres, notre culture. Ceux qui remportent des prix littéraires sont ceux qui racontent des histoires de favelas ou de carnaval. C’est caractéristique d’une culture qui se considère comme périphérique culturellement. On doit coller aux stéréotypes. Ce n’est pas le cas du football. On a toujours fait partie des meilleurs. On n’avait pas besoin de montrer quoi que soit aux autres. Cependant, cette histoire s’est terminée quand Pelé et Zico ont quitté le pays. Aujourd’hui, la Seleção, c’est une équipe d’étrangers.
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Propos recueillis par PB, LDCC et CP, à Petrópolis

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