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Rolland Courbis : « Mentir, c’est parfois simplement cacher la vérité »

Propos recueillis par Mathias Edwards
22 minutes
Rolland Courbis : « Mentir, c’est parfois simplement cacher la vérité »

Rolland Courbis assure être toujours entraîneur, mais avoue ne pas chercher de club. À 66 ans, l'homme a décidé que ce n'était plus à lui de faire les efforts, mais aux autres de venir le chercher. Et c'est exactement ce que l'on a fait. Au menu de ces 3 heures de déjeuner, beaucoup de football, bien sûr. Mais aussi Gérard Lanvin, une saucisse bio, Nicolas Sarkozy, une agression au robinet, une balle « champignonnée », Gaston Defferre et quelques verres de pastis.

Assis sur un coin de banquette d’une brasserie huppée de la porte d’Auteuil dans laquelle il a ses habitudes, Rolland Courbis est en avance. Consciencieux, il a même noté sur une feuille volante « quelques idées de sujets à aborder » . Et il les abordera quoi qu’il arrive. « Lorsque je réponds à une interview, je me mets à la place du journaliste, pour qu’il puisse écrire le meilleur article possible, pose d’emblée celui que tout le monde appelle « Coach » . Sinon, je ne viens pas. Je ne vais pas faire les questions et les réponses, mais je suis quand même obligé de me poser certaines questions pour te donner les réponses que j’ai prévues. » Interviewer Rolland Courbis, c’est avant tout accepter que c’est lui qui mènera l’entretien, et que la mission consistera à tenter de le cadrer au mieux. Verre de pastis sur la table, manches de chemise retroussées, il est prêt. Comme toujours, lorsqu’il s’agit de parler foot. À table !


Vous avez changé le lieu de rendez-vous pour cet entretien alors que j’étais déjà en route, ce qui n’a d’abord pas plu au chauffeur de VTC. Mais lorsque je lui ai dit que c’était pour vous interviewer, il a dit : « Si c’est pour M. Courbis, je vous amène où vous voulez ! » … Cela peut paraître prétentieux, mais je ne suis pas étonné. J’ai même l’habitude qu’on me dise ça. (À la serveuse, qui vient prendre la commande.) Je vais vous prendre la saucisse bio au couteau de l’Aveyron, pomme purée maison et jus de veau. Après, on se tapera peut-être une portion de risotto aux gambas à deux. Et pas de vin, je vais rester au Ricard.

Lorsqu’on vous a sollicité pour cette interview, vous avez spontanément proposé qu’on se voit pendant trois heures, ce qui est malheureusement très rare dans notre métier. D’où vous vient ce goût pour la discussion ?Parmi mes qualités, parce que je n’ai pas que des défauts, je possède celle de me mettre à la place de la personne avec qui je discute, qu’il s’agisse d’un joueur, d’un président, d’un acteur ou d’un journaliste. Lorsqu’on me sollicite, si je décide d’y aller, j’y vais le plus longtemps possible, pour ne pas bâcler les choses, comme ce fut malheureusement le cas pour mon dernier livre (Complètement foot, 2018). J’ai essayé d’être présent un maximum, mais les délais étaient trop courts, et le challenge n’a pas été relevé. Ce qui donne un livre très moyen. Donc si je viens, je prends le temps, pour que ton article soit bon.

C’est gentil, mais c’est aussi parce que vous adorez parler, non ?Peut-être que du côté de Marseille, on est un peu plus bavards qu’ailleurs, c’est vrai. On dit qu’on est menteurs, mais non, pas plus qu’ailleurs.

Ne pas être d’accord sur un truc sans savoir qui a raison, c’est ce qui fait la beauté du football.

Pas moins non plus, hein. Ce qu’il y a, et tant pis pour ceux qui n’ont pas d’humour, c’est qu’on exagère. Les images qu’on utilise sont anormales, invraisemblables ! J’aime parler, oui, c’est pour ça que je fais de la radio. Mais si tu ne dis que des conneries, être bavard ne va pas être une qualité. C’est pour cela que j’essaie d’être cohérent. Je me positionne, j’essaie de réfléchir, et c’est vrai que j’ai peut-être l’esprit de contradiction. Mais c’est parce que j’argumente ! Je n’ai jamais contredit quelqu’un sans donner mon point de vue et ma solution. Sinon, c’est trop facile.

Qu’il s’agisse d’un collègue entraîneur, d’un auditeur de RMC, d’un journaliste, d’un chauffeur de taxi ou d’une personne assise à côté de vous dans l’avion, vous estimez que toutes ces personnes avec qui vous discutez de foot peuvent vous apporter quelque chose ?Oui. Et en plus de cela, même si j’argumente de façon claire, nette et précise, je n’ai jamais la prétention d’être sûr d’avoir raison, même si je fais le maximum pour. Je n’ai jamais eu un comportement de donneur de leçon ou de professeur. J’écoute, je m’adapte, j’essaie de comprendre. Si je suis d’accord, je le dis. Sinon, j’argumente. Et je reconnais que le plus souvent, je ne suis pas d’accord. Neuf fois sur dix, quand je rentre dans un taxi, le chauffeur me dit : « Bonjour coach ! » et me demande s’il peut me poser une question. Je lui réponds qu’il peut en poser peut-être deux, mais pas trois. Cela concerne généralement le dernier match, l’équipe de France, ce qu’a dit untel…

Depuis le temps que vous faites de la radio, vous êtes devenu un influenceur, avec derrière vous une communauté qui connaît vos points de vue sur les différents aspects du football. C’est agréable ?Je me fais chambrer sur la victoire à trois points ou l’absurdité de la date de la finale de la Coupe de la Ligue, mais cela ne me dérange pas. L’important, c’est que je n’essaie jamais de mettre mon interlocuteur minable. Le but, c’est que lorsqu’un auditeur de RMC raccroche, il soit content d’avoir appelé même si on n’était pas d’accord. Si ses potes lui disent que Courbis l’a mouché et qu’il est passé pour un con à la radio, c’est que je n’ai pas bien travaillé. Ne pas être d’accord sur un truc sans savoir qui a raison, c’est ce qui fait la beauté du football.

Depuis quelques années, « le ton RMC » verse de plus en plus dans le populisme. Cela vous dérange ? (Il fait la moue.)

Vous vous intéressez à la politique ?Non. Enfin, j’écoute les débats lorsqu’il y a des élections importantes. Ces derniers temps, j’ai écouté Sarkozy avec beaucoup d’attention et de sympathie. Il a certainement fait des erreurs, mais qui n’en fait pas ? Quand je vois les dossiers que doit régler Macron, j’ai mal à la tête pour lui. Je ne pourrais même pas le remplacer durant une minute. Donc ces gens-là, je les regarde avec beaucoup d’admiration.

Quand je vois les dossiers que doit régler Macron, j’ai mal à la tête pour lui. Je ne pourrais même pas le remplacer durant une minute.

Je me demande comment ils font pour garder cette patience que j’ai perdue, en tant qu’entraîneur. Je compare les présidents de la République aux entraîneurs. Dans un premier temps, ils ont la sympathie de tout le monde. Puis, il suffit qu’ils tombent sur deux dossiers impossibles à gérer, et paf !, on demande le changement. Quand Sarkozy a été président, il a eu des hauts et des bas. Mais est-ce que dans l’intérêt de la France, on n’aurait pas dû profiter de son expérience dans une période compliquée, pour le réélire en 2012 ? On n’aurait pas pu être indulgent, en se disant qu’il n’a pas tout fait bien, mais qui aurait tout fait bien à sa place ? Mais non ! On élit un nouveau président, qui devra tout reprendre à zéro, avec la confiance de tout le monde lors des premiers matchs et rebelote ! Vous voulez que je m’intéresse à la politique, mais pourquoi ? Il y a quoi d’intéressant ?

Vous votez ?Oui, parce qu’enfant, tous les dimanches, à table, j’assistais à des débats entre mon père, plutôt socialiste, et mon grand-père gaulliste. Modestement, à mon jeune âge et sans participer aux discussions, j’essayais de choisir mon camp. Et je pense que finalement, la balance penche à 51% du côté de mon grand-père. Mais avec Gaston Defferre (maire de Marseille de 1953 à 1986, N.D.L.R.), qui était un gars populaire, il n’y avait même pas de débats entre mon père et mon grand-père au moment des municipales. On votait Gaston ! Toute la famille. Idem chez les voisins. On n’envisageait même pas de voter pour quelqu’un d’autre. Pour te dire, je ne sais même pas s’il était de gauche ou de droite.

Votre père était policier à Marseille. Il ne devait pas manquer de boulot, dans les années 1950 et 1960 à Marseille, avec l’explosion de la French connection Cela a vraiment été dangereux pour lui lorsqu’il est parti trois mois en Algérie, durant la guerre. J’avais 8 ans, ma sœur 10, ma mère ne travaillait pas… On était très inquiets pour lui. Sinon, à Marseille, il était officier, donc c’était assez cool.

À quoi ressemblaient les quartiers nord, où vous avez grandi, à l’époque ?Cela n’avait rien à voir avec aujourd’hui, c’était moins compliqué. Il n’y avait pas de trafics de drogue, cela n’existait pas.

Les frères Guérini(1) régnaient tout de même sur Marseille… Oui, mais d’après ce que j’entends, il y avait à l’époque une certaine hiérarchie, avec des habitudes, des obligations et des règles à respecter.

Vous racontez souvent que le football vous a sauvé d’un certaine forme de délinquance…J’ai eu une chance que n’ont pas eue certains potes d’enfance, c’est d’avoir pu être un footballeur assez bon pour en faire ma profession. L’époque était moins compliquée qu’aujourd’hui, même si on n’avait pas l’habitude de se laisser faire à l’école, mais on ne sortait pas les armes à la moindre bagarre. Aujourd’hui, si un petit n’a pas la moyenne en géographie, il y a le grand frère qui vient mettre deux gifles au professeur… C’est une autre ambiance. À mon époque, il y avait certainement plein de petits moyens de gagner sa vie de façon pas très honnête, mais le football occupait déjà tout mon temps. Je ne dis pas que j’aurais été ingénieur, mais le football m’a empêché d’être un bon élève à partir de l’âge de 12 ans. J’étais au lycée Nord, à côté de Consolat, là où est né Anigo, à la cité Saint-Louis. Je me suis fait virer en 5e, et je suis parti à côté, au CEG (collège d’enseignement général) Campagne-l’Évêque. Là, c’était un peu plus « inquiétant » . Dans notre société, la plus grosse connerie qui a été faite, cela a été de supprimer le service militaire.

En fin de 3e, on m’a orienté vers une filière de mécanique générale. Cela aurait peut-être pu me servir pour bricoler ma mobylette, mais je ne me voyais pas faire garagiste.

Vous avez fait votre service militaire ?J’avais devancé l’appel pour aller au bataillon de Joinville(2). Pour moi, c’était un plan de carrière pour progresser, parce qu’il n’y avait pas de centres de formation à l’époque. Mais à Tarascon, lors de la visite médicale, le gars me demande si j’ai déjà eu un accident. Je lui explique qu’à la suite d’une chute de vélo, j’ai une embarrure crânienne. Un trou, quoi. À cet endroit (il montre), au lieu de faire un centimètre d’épaisseur, mon crâne n’en fait que 5 millimètres. Le type regarde dans son manuel et m’annonce que c’est une possibilité pour être réformé, mais pas une obligation. C’était à moi de décider, et c’était un vrai dilemme. J’étais déjà à l’OM, capitaine de l’équipe de France junior, je me suis dit qu’en n’y allant pas, j’aurais peut-être une chance de jouer plus vite avec les pros. Donc j’ai été réformé. Inapte ! Mais quand je vois certains jeunes d’aujourd’hui, je me dis que les envoyer 12 mois à l’armée pour leur apprendre la discipline est indispensable. Je suis persuadé que cela aurait beaucoup aidé certains adolescents qui ont mal tourné.

À 16 ans, pour vous entraîner avec les pros de l’OM, vous faites croire que vous n’êtes plus scolarisé. À 20 ans, pour signer à l’Olympiakos, vous vous inventez un grand-père grec. D’où vous vient ce côté filou ? Appelons ça « le système de la démerde » . Est-ce de la malice ou de la malhonnêteté ? Sincèrement, je n’ai pas la réponse. Mentir, c’est parfois simplement cacher la vérité. Parce que cela t’arrange, ou t’évite de faire de la peine à quelqu’un. À l’école, je n’avais pas l’ombre d’une chance d’avoir le bac. Donc, j’y allais pour meubler mes journées. Cela me permettait d’avoir des collègues, pour jouer aux billes ou aux cartes. Mais quand Mario Zatelli(3) me demande si je peux être libre le matin pour venir m’entraîner de temps en temps avec les pros, évidemment que je lui réponds que je n’ai cours que l’après-midi. En fin de 3e, on m’a orienté vers une filière de mécanique générale. Cela aurait peut-être pu me servir pour bricoler ma mobylette, mais je ne me voyais pas faire garagiste.

L’affaire de la caisse noire du SC Toulon (4), c’est aussi « le système de la démerde » ? Cette caisse noire, nous l’avons créée parce que lorsque nous sommes montés en D1, nous nous sommes renforcés en recrutant des joueurs qui demandaient des primes à la signature nettes d’impôts, au black. Nous avons refusé pour les deux premiers, puis au troisième, on est allé voir le maire, Maurice Arreckx, pour lui expliquer la situation. Il nous a demandé de détourner intelligemment 20 à 30% du budget du club, pour donner ces fameuses primes. Mais évidemment que j’étais responsable, vu que grâce à mes relations, je pouvais avancer de l’argent au SC Toulon pour qu’on n’ait pas de problèmes de trésorerie. On avait le choix entre faire ça, ou être pratiquement certains de ne pas se maintenir. Et on a sûrement fait le mauvais choix.

J’ai entendu les coups de feu, j’ai vu tout le monde partir en courant, mais je pensais que c’était des pétards, jusqu’à ce que je réalise que j’étais touché, et qu’il y avait un assassinat à quelques dizaines de mètres. Je pensais que j’allais mourir sans raison, parce que je n’avais pas d’ennemis.

En 1996, en quittant le stade d’Hyères, vous recevez une balle perdue lors de l’assassinat de Dominique Rutily, président du club de Calvi et membre présumé du Gang de la brise de mer. Vous pouvez nous décrire ce que cela fait, physiquement, d’être touché par balle ?La balle a tapé la route avant de m’atteindre. Elle était donc « champignonnée » , c’est peut-être pour cela qu’elle s’est arrêtée à 5 centimètres du cœur. Elle m’a fracturé l’apophyse d’une vertèbre. Sur le coup, cela ne fait pas très mal. Elle est rentrée par le dos, parce que je ne faisais pas face à la route (les tueurs étaient en voiture, N.D.L.R). J’ai entendu les coups de feu, j’ai vu tout le monde partir en courant, mais je pensais que c’était des pétards, jusqu’à ce que je réalise que j’étais touché, et qu’il y avait un assassinat à quelques dizaines de mètres. Je pensais que j’allais mourir sans raison, parce que je n’avais pas d’ennemis. Je ne comprends pas pourquoi je prends une balle, puis je ne comprends pas pourquoi je n’en prends qu’une, parce que dans cette atmosphère de terreur, il suffit qu’on pense que je suis l’ami de Dominique Rutily pour que BOUM !

Vous vous intéressez à d’autres choses que le football ?Ma seule lecture est la presse sportive. Sinon, l’autre jour, j’étais invité à l’avant-première de Papi Sitter, le prochain film de Philippe Guillard, avec Olivier Marchal et Gérard Lanvin. C’était super, je te conseille d’aller le voir. Je pronostique la réussite de ce film. C’est rigolo, parce qu’Olivier Marchal voulait que je joue dans son prochain film, Bronx, qui se tourne à Marseille. Il voulait me confier un rôle justement prévu pour Gérard Lanvin, qui s’était désisté. Je ne sais pas si j’en aurais été capable, mais j’avais répondu « pourquoi pas ? » Et puis finalement, Lanvin a pu se libérer. Ce qui me permet de dire à mes proches qu’ils ont hésité entre Lanvin et moi, et que cela a dû se jouer à pas grand-chose. (Il rigole.) (À la serveuse, qui s’enquiert des desserts) Je vais prendre la tarte amandine aux abricots.

La saison dernière, lors des cinq mois que vous avez passé à Caen, vous avez vécu à l’hôtel, comme lors de la majeure partie de votre carrière. Pourquoi cette habitude, plutôt que de louer un appartement ?À l’hôtel, le lit est toujours fait, le linge est toujours propre, et je n’ai pas à faire la cuisine, tout simplement.

Vous êtes à la recherche d’un poste d’entraîneur ?Non, mais si on me propose quelque chose, j’écoute. J’ai toujours le challenge de Caen en travers de la gorge. Je suis superstitieux, et il y a 20 ans, j’ai loupé un titre de champion de France avec Marseille qui aurait sans doute changé ma carrière d’entraîneur(5). Alors bien sûr, on aurait pu mieux négocier les deux matchs contre Bordeaux. À l’aller, on se fait égaliser à la 93e minute, et au retour, Luccin se fait massacrer par Benarbia, mais veut s’accrocher et refuse de sortir.

Ça vous dérange pas, vous, les journalistes, que Caen, avec la grande gueule de Courbis, soit descendu à cause de la victoire à 3 points ! Avec la victoire à 2 points, c’était Dijon qui descendait. Ça s’appelle comment, ça ? L’ironie du sort, ou l’ironie de mon cul ?

Résultat, on prend 3 buts en 12 minutes dans son secteur. Mais bon, on ne peut pas lui en vouloir, il voulait rester sur le terrain. En plus, comme d’habitude, la finale de la Coupe de la Ligue a faussé le championnat. Lens la gagne, mais quatre jours avant, ils accueillent Bordeaux en championnat. Ils n’avaient pas perdu un seul match à domicile depuis le début de la saison, et ils en prennent 4 (victoire de Bordeaux 4-2, N.D.L.R.). Depuis, je proteste contre la date de la finale de cette Coupe, mais je ne suis pas assez persuasif. Une finale, ce n’est pas un match comme les autres, ça se prépare. Et encore l’année dernière, Rennes est allé faire un match tout tranquille à Dijon (3-2 pour les Bourguignons, concurrents de Caen pour le maintien, N.D.L.R.) quatre jours avant sa finale de Coupe de France (huit jours, en fait, N.D.L.R.). Dans ma carrière, les challenges qui m’ont le plus tenu à cœur, c’était celui de Caen et être champion de France. Donc là, sincèrement, j’ai les boules. Ensuite, on a l’habitude de dire que le hasard fait bien les choses, mais c’est parfois tout le contraire : je combats la victoire à 3 points depuis qu’elle a été instaurée pour que les équipes marquent plus de buts. Mais les gens qui ont décidé ça n’ont jamais été sur un banc d’entraîneur ! Quand tu mènes 1-0 et que tu te fais égaliser, parfois contre le cours du jeu, tu perds 2 points et ton adversaire en gagne 1 ! OK, j’étais pas très bon à l’école, mais va falloir m’expliquer comment 1+1=3 ! Déconnons pas ! Ça vous dérange pas, vous, les journalistes, que Caen, avec la grande gueule de Courbis, soit descendu à cause de la victoire à 3 points ! Avec la victoire à 2 points, c’était Dijon qui descendait. Ça s’appelle comment, ça ? L’ironie du sort, ou l’ironie de mon cul ?

D’accord, mais vous connaissiez le règlement. Vous n’avez quand même pas abordé les matchs comme si la victoire valait deux points, si ?On ne peut quand même pas m’empêcher de faire la conversion.

Vous avez reçu des offres depuis Caen ?Non. Mais si une sélection africaine avec un projet intéressant me contacte, pourquoi pas ?

Vous aimez l’Afrique ?Cela dépend où, et avec qui.

Qu’est-ce que vous retenez de votre passage à l’USM Alger, en 2012-2013 ?Ce fut une bonne expérience, parce que j’ai eu la chance de gagner la Coupe d’Algérie, de finir 3e en championnat, et de gagner la Coupe de l’UAFA (Coupe arabe des clubs champions). Mais en dehors de ça, il y a une pression plus importante qu’à l’OM.

À Oran, je me suis pris un robinet en fonte sur l’avant-bras. Il y avait toujours un morceau de mur gros comme une boule de pétanque accroché au bout.

Il vous est arrivé de craindre pour votre vie, là-bas ?Trois ou quatre fois, oui. À Oran, je me suis pris un robinet en fonte sur l’avant-bras. Il y avait toujours un morceau de mur gros comme une boule de pétanque accroché au bout, c’était lourd. Ils l’avaient arraché sur place, dans le stade. Une autre fois, alors qu’on rentrait de Tizi Ouzou en voiture avec le directeur administratif, deux fourgonnettes contenant chacune une quinzaine de supporters nous coincent dans une station service. On a failli en venir aux mains, c’était limite. Il y a eu des insultes, des crachats, des menaces. C’était nos propres supporters, on avait perdu 1-0 contre la JS Kabylie. Notre première défaite depuis 10 matchs. J’en suis sorti très choqué.

On parle souvent de vous comme d’un sacré meneur d’hommes, mais rarement comme d’un bon tacticien. Comment vous expliquez cela ?Il y a toute une liste de joueurs que j’ai entraînés qui sont devenus entraîneurs. Sans parler de Zizou, il y a Casoni, Alfano, Blanc, Casanova, Montanier, etc. En tout, plus d’une dizaine. Eh bien, ils disent tous que je leur ai appris des choses. À Toulon, à la fin des années 1980, on a inventé la défense à 5 en zone quand tout le monde jouait en 4-4-2. Et comme c’est la mode, je vais te répondre avec une stat : quand tu entraînes une équipe aussi importante que les Girondins de Bordeaux, et que tu mets en place une équipe offensive, avec tout de même Dugarry, Salaün, Valdeir, Zizou et Dogon à droite, qui était un peu le Matuidi de Deschamps pour équilibrer l’équipe… (À la serveuse) Je vais prendre un expresso pas trop serré, avec la tasse la plus remplie possible.

Un record, en première division française, de 14 matchs d’affilée sans prendre de buts, si ce n’est pas l’œuvre d’un fin tacticien, et bien allez tous vous faire enculer ! Et je l’écris pas sur une banderole ! Là, je ne suis ni hétérosexuel, ni homosexuel, je ne bande pas ! Vous allez continuer à expliquer que c’est le record de Gaëtan Huard ? C’est le record de toute une organisation, d’une ambiance, d’un mécanisme, d’un système, d’un comportement !

Oui, donc nous jouions avec deux arrières centraux, Sénac et Marcio Santos, Lizarazu côté gauche avec Duga devant lui, Lucas qui ressemblait un peu à Deschamps, Zizou reculé en 8, et Huard dans les buts. Nous avions mis en place un mécanisme que j’ai ensuite utilisé dans toutes les équipes que j’ai entraînées. Et nous avons établi un record qui tient toujours. Je pense avoir vécu une vie différente de celle de Monsieur Tout-le-monde, mais je pense aussi avoir été traité différemment, sur le plan judiciaire comme sur le plan sportif. Tout ça pour dire que ce record d’invincibilité, qu’on appelle « le record de Gaëtan Huard » , n’est pas le record d’un seul homme. Un record, en première division française, de 14 matchs d’affilée (1176 minutes, N.D.L.R.) sans prendre de but, si ce n’est pas l’œuvre d’un fin tacticien, et bien allez tous vous faire enculer ! Et je l’écris pas sur une banderole ! Là, je ne suis ni hétérosexuel, ni homosexuel, je ne bande pas ! Vous allez continuer à expliquer que c’est le record de Gaëtan Huard ? C’est le record de toute une organisation, d’une ambiance, d’un mécanisme, d’un système, d’un comportement ! C’est le record d’un entraîneur qui te fait comprendre que quand tu mènes 3-0, tu ne te relâches pas, parce qu’il faut faire attention au goal average ! Ce record, c’est le plus beau souvenir de ma vie, et la démonstration que je suis traité différemment. Je n’efface pas Gaëtan Huard, je me mets à côté de lui et de tous ses coéquipiers qui ont réussi cet exploit. Un record qui ne sera peut-être jamais battu !

Pour quelles raisons estimez-vous être traité différemment ?En tout début de carrière, compte tenu de certaines de mes fréquentations, des casinos, de l’argent, etc., je pense avoir été logiquement jalousé. Je fais avec, mais on ne peut pas m’empêcher de le constater. Si on revient sur l’ensemble de ma carrière d’entraîneur, je fais mes propres calculs. Je ne dis pas qu’ils sont justes, mais ce sont les miens : avant d’aller à Caen, sur 28 challenges, j’en ai réussi 23. Et j’aimerais bien que les journalistes me parlent de ça, plutôt que de me dire que je n’ai pas gagné grand-chose en entraînant Toulon, Ajaccio ou Montpellier, même si j’aurais aimé faire mieux à Marseille ou Bordeaux.

C’est sûr que je n’ai pas mené ma carrière comme l’aurait fait Deschamps, qui réfléchit dix fois avant d’accepter un challenge, parce qu’il n’y va que s’il a tous les atouts de son côté.

Mais c’est sûr que je n’ai pas mené ma carrière comme l’aurait fait Deschamps, qui réfléchit dix fois avant d’accepter un challenge, parce qu’il n’y va que s’il a tous les atouts de son côté. Moi, il suffit que je sois à table avec un président sympathique qui me propose un projet en me disant qu’il est sûr que je vais refuser pour que j’accepte. Mais c’est Didier Deschamps qui a raison, hein. On dit qu’on vit sans regrets, mais c’est faux. Je regrette beaucoup de choses que j’ai faites durant ma carrière et dans ma vie en général. Il y a certains challenges que je ne relèverais plus.

Vous pensez auxquels ?Je n’aurais pas dû faire la troisième année à Marseille. Je savais que j’étais déjà condamné… Et pourtant, elle n’est pas si mauvaise que ça. On bat Manchester United, l’effectif est pas mal, même si je me prends le départ de Laurent Blanc dans la gueule… Mais là encore, au lieu de me reprocher de l’avoir laissé partir à l’Inter, ce qui était impossible à refuser, on ne peut pas me féliciter d’être allé le chercher au Barça, de lui avoir donné le capitanat, les penaltys à tirer, et de l’avoir remis en équipe de France ?

Hormis à Toulon, pour vos débuts, vous n’avez jamais entraîné un même club plus de deux saisons d’affilée. Vous regrettez de ne pas avoir pu construire sur la durée, à l’image de Moulin à Angers, ou Baup à Bordeaux ?C’est difficile, de rester longtemps à Bordeaux ou Marseille. Il est resté si longtemps que ça à Bordeaux, Baup ?

Six saisons, tout de même…C’est marrant, parce que je suis à l’origine de sa venue. Avant que je parte de Bordeaux, on a fait une réunion au cours de laquelle j’ai glissé deux noms pour me remplacer : Stéphan et Baup. Ils ont pris les deux. Stéphan en numéro 1, et Baup comme adjoint. Et deux ans plus tard, ce même Baup me prive d’un titre de champion de France avec une équipe que j’avais construite à 80%, après les départs de Lizarazu, Zidane, Dogon et Dugarry. C’est moi qui ai transformé Pavon en 6 et Grenet en latéral, qui ai fait venir Micoud, qui me suis mis d’accord avec Wiltord et Laslandes sans savoir que je ne les entraînerais pas. Mais bon, c’est le destin.

Quelle image souhaitez-vous que le football français garde de vous ?Celle de quelqu’un qui aurait pu mieux faire. Mais qui aurait aussi pu faire pire. J’ai tout de même réussi à durer, malgré certaines difficultés. Au niveau des regrets, il y a celui de ne pas avoir joué avec Marius Trésor, que j’ai croisé en quittant l’OM pour Ajaccio, alors qu’il faisait le chemin inverse, en 1972. Il a finalement joué aux côtés de Victor Zvunka, qui était un bon joueur, mais pas meilleur que moi. J’aurais bien aimé être à sa place, et, pourquoi pas, jouer en équipe de France. Mais bon, j’ai eu une carrière de joueur qui a duré 14 ans, dont 13 en première division, je suis devenu entraîneur pour rendre service et cela a finalement duré 30 ans, j’ai remplacé Luis Fernandez chez RMC au pied levé pendant une semaine et cela fait 14 ans que cela dure… Donc le fait de continuer à exister, et que des inconnus me disent « Comment ça va, coach ? » comme si on s’était vus la veille, c’est une énorme satisfaction, même si les années passent à une allure vertigineuse.

Dans cet article :
Selon Rod Fanni, Marcelo Bielsa donnait aux joueurs « l’envie d’arrêter le foot »
Dans cet article :

Propos recueillis par Mathias Edwards

(1) Antoine et Barthélémy Guérini ont dominé le milieu marseillais de 1945 à 1967. Leur clan faisait dans le proxénétisme, la contrebande de cigarettes et le trafic d'héroïne.

(2) Jusqu'à sa dissolution en 2002, le bataillon de Joinville accueillait les sportifs de haut niveau appelés sous les drapeaux.

(3) Mario Zatelli a entraîné l'OM de 1964 à 1966, de 1968 à 1970, en 1972 et en 1973.

(4) L'affaire de la caisse noire du SC Toulon éclate en 1990. Une réserve d'argent était accumulée à l'insu du fisc et gérée selon une comptabilité clandestine à partir de rentrées financières non déclarées. Rolland Courbis, alors entraîneur, est incarcéré et inculpé pour malversations financières et fausses factures. Mis en examen en 1991 pour faux en écritures de commerce, abus de confiance et recel, il sera écroué pendant 98 jours. En 1993, Courbis est condamné à trois ans de prison avec sursis et 300 000 francs d'amende.

(5) En 1998-1999, l'OM de Courbis perd le titre à la dernière minute de la dernière journée de championnat, au profit de Bordeaux.

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