F.Magath : La morsure du loup
Magath est grand. Il a fait de Wolfsburg, club de seconde zone, le champion d'Allemagne en date ce week-end. Un personnage pas très attachant, mais un vrai winner dans l'âme. Et rancunier avec ça ! C'est pour ça qu'on l'aime.
Flash-back… Printemps 1979. Ou bien 1980 ? Peu importe. Le stade de Colombes en ruines et en travaux bidons accueille un match amical organisé par les Portugais de Paris : Sporting Lisbonne contre Hambourg. Le club allemand est un cador continental, champion d’Allemagne 1979 et finaliste malheureux de la C1 80. Des vraies stars à Hambourg : Magath, Nögly, Kaltz, Hrubesh… et Kevin Keegan ! Grosse équipe pour affiche intéressante. Sauf que tous les petits zonards de Colombes mettent un souk pas possible en envahissant le terrain avant le coup d’envoi et en s’installant dans la tribune latérale interdite, car en chantier, pleine d’échafaudages mortels et de bouts de fer en suspension… Heureusement, les 14 flics pour 25 000 spectateurs réussissent tant bien que mal à canaliser la fougue banlieusarde. Les petites cailleras houspillent les joueurs allemands, sauf Magath, trop balaise et pas d’humeur à plaisanter. Légère panique des joueurs allemands, pas préparés à ce guet-apens. Sauf un : Félix Magath, capitaine en granit, bien décidé à jouer le match et à le gagner. Ce qui sera fait : 1-0 pour les Hambourgeois, avec sprint final aux vestiaires à la fin du coup de sifflet final pour fuir la jeune foule maboule…
Même jeune, Félix Magath était déjà un footballeur allemand, avec trois finalités cardinales : gagner, vaincre et triompher. En 1983, c’est lui qui assommera une Juve trop sûre d’elle-même en finale de C1 : 1-0, but de Felix à la 9ème, histoire de déroger à la putain d’habitude germanique de trop souvent gagner sur la fin ou en prolongations. Il faut dire que le France-RFA de Séville 1982 (il y était !) avait duré un poil trop longtemps pour lui, alors les Turinois de Platoche et Boniek devaient expier et plier au bout de dix minutes chrono.
Joueur sans faiblesse, Felix Magath sera un coach intransigeant. Dès sa première expérience à Hambourg, en 1995, il se fait remarquer par ses méthodes frontales, qui lui vaudront les surnoms de Saddam (cf. Saddam Hussein), “le Tyran”, ou bien “Quälix” (contraction de Félix et du verbe allemand “quälen”, qui signifie torture). Adepte de la méthode douce, Félix justifie sa philosophie : « La qualité ne s’obtient pas sans souffrance » , « Ce n’est pas moi qui suis dur, mais c’est la compétition » , des trucs de ce genre. L’été dernier, le bon Grafite tombera en syncope en stage de pré-saison après avoir porté l’un de ses partenaires sur quelques centaines de mètres…
Magath subira un premier affront en se faisant virer de Hambourg, au bout de deux saisons (fin 1997). Il enquille à Stuttgart où sa réputation de coach efficace l’enverra au top du foot allemand : le Bayern Munich. Parcours sans faute, puisqu’il réalise deux doublés d’affilée, coupe-championnat, 2005 et 2006. Mais le 31 janvier 2007, c’est l’affront suprême : alors que le Bayern est 4ème, les dirigeants bavarois, complètement flippés, décident de le virer. Haine éternelle et rancune tenace ! « Vengeance ! » , comme l’aurait crié le Capitaine Haddock…
En juillet 2007, il signe à Wolfsburg, second couteau de la Bundesliga, jamais titrée depuis la Préhistoire. Il se donne trois ans pour installer le club au sommet du foot allemand. Pour ça, il s’attribue les galons d’entraîneur, manager et directeur sportif. Il remet en pratique ses “méthodes douces” et recrute pour 60 millions d’euros : les champions du monde Barzagli et Zaccardo, les Bosniaques Misimovic et Dzeko (25 buts), et l’ex-Manceau Grafite (meilleur buteur cette saison avec 28 buts). Le club des Loups est 9ème en hiver 2008-09, puis met le turbo. Au point de se retrouver leader devant le Bayern… Felix Magath, qui ne pardonne rien et à personne, va se venger de façon particulière. Lundi dernier, soit cinq jours avant le dernier match décisif de la Bundesliga 2008-09, il s’est permis le luxe de donner une interview-TV sur le balcon de l’hôtel de ville de Munich ! Provocation un peu risquée mais le bonhomme avait trop envie de se payer le Bayern avant de gagner le championnat, ce qui s’est réalisé puisque Wolfsburg a balayé le Werder Brême 5-1 en apothéose finale.
Un coup de maître pour Félix. Because Wolfsburg ne fait pas partie de l’aristocratie du foot allemand. Un peu comme si Le Mans gagnait la L1 (on croise les doigts pour que, bien sûr, ça n’arrive jamais)… Mais coup de théâtre, au moment même où Wolfsburg s’envole vers les sommets, Félix signe à Schalke 04 un contrat de quatre ans, moyennant 5 millions d’euros par an. C’est Armin Veh, champion d’Allemagne avec Stuttgart en 2007, qui le remplacera à Hambourg. Les motivations de Félix ? Le fric, bien sûr. Mais aussi le goût du risque, l’envie de ne pas s’encroûter : « Le passé m’a montré qu’un entraîneur ne peut pas s’inscrire dans la durée » . Alors, “On the road again” ? Comprenne qui pourra… Ainsi va Wolfgang-Felix Magath, 55 ans, qui porte toujours des cravates vertes par superstition et qui a failli devenir sélectionneur… de Porto Rico en 2006. En fait, Magath-à-la-peau-mate est le fils d’un ancien soldat américain d’origine portoricaine et d’une Allemande. Il est né en 1953 en Bavière. Le père ayant lâchement abandonné la femme et l’enfant en 54, Félix entreprendra des recherches à Porto Rico, retrouvera son père, qu’il revoit depuis une à deux fois par an… En 2006, la fédé portoricaine lui avait donc proposé le poste de sélectionneur en vue du Mondial 2010.
Voilà. Avec son titre de champion inattendu, Félix Magath est devenu l’entraîneur allemand le plus en vue du moment. A terme, il n’est pas impossible que la Mannschaft profite à son tour de ses “méthodes douces”. Pour l’instant, il devra relever un sacré défi : faire de ce putain de club de lose Schalke 0-0-0-0-0-0-0-0-0-4, un champion d’Allemagne. Titre que le club de Gelsenkirchen n’a plus remporté depuis 1958… Rendez-vous donc dans un an, sur le balcon de l’hôtel de ville de Munich, à une journée de la fin de la saison 2009-10, quand Schalke aura trois points d’avance sur les salopards du Bayern, qui n’auront pas assez de toute leur existence pour expier dans d’atroces souffrances l’affront fait au vieux loup !
Par