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Escobal, le miraculé de la barbarie franquiste

Par Adrien Candau
Escobal, le miraculé de la barbarie franquiste

Ancien arrière central du Real Madrid dans les années 1920, Patricio Pedro Escobal est incarcéré au début de la guerre civile espagnole, en raison de ses sympathies pour le camp républicain. Il ne sortira des prisons franquistes que trois ans plus tard, après avoir échappé miraculeusement aux sacas, les exécutions sommaires menées à l’encontre des prisonniers politiques.

« J’ai trouvé deux gardes et un agent de la police secrète en face de ma maison. Ils m’ont dit qu’ils devaient m’emmener au bureau du gouvernement. Un voile de terreur s’est abattu sur le visage de ma femme. » Mi-juillet 1936, les armées franquistes s’emparent de plusieurs villes espagnoles et traquent les alliés de la République. Patricio Pedro Escobal, ancien joueur et capitaine du Real Madrid reconverti en tant qu’ingénieur municipal à Logrono, une ville du nord du pays, n’échappe pas à la chasse aux sorcières. Ses inquisiteurs sont persuadés d’être face à un rebelle « rouge », coupable d’avoir brûlé des couvents à Madrid et d’appartenir à une loge maçonnique. « Le chef de la police a prétexté l’un de mes déplacements professionnels à Madrid pour m’accuser d’avoir aidé à organiser la résistance contre leur mouvement. Je n’ai pas nié être affilié à la gauche républicaine, mais ils savaient très bien que je n’étais qu’un membre lambda du parti, auquel on n’aurait jamais pu confier de telles missions. » Qu’importe, aux yeux de la milice franquiste, celui qui était surnommé le « Fakir » par ses coéquipiers doit payer. Après tout, son casier judiciaire indique qu’il a déjà baffé, quelques années auparavant, une femme mariée ; une maîtresse qui lui avait avoué coucher uniquement avec lui pour savoir comment un footballeur se défendait au lit. La sentence est sans appel : Escobal écope de trente ans de prison.

Puces, rats et tuberculose

Dans un premier temps, le mètre quatre-vingt-dix d’Escobal est parqué sur le terrain de pelote basque de Logrono, avant d’être transféré à la prison de Pedernales, au Pays basque. Sur place, l’horreur quotidienne prend la forme d’un morbide rituel nocturne : les « sacas de presos » ( « sorties de prisonniers », N.D.L.R.), exécutions programmées de détenus politiques. « Chaque soir, après dîner, nous marchons jusqu’à nos cellules. Puis, chaque détenu attend la saca. Cette fois-ci, ils sont seize à être choisis. Le dernier, paralysé par la terreur, vomit ses entrailles et est traîné dehors. La patrouille d’exécution couvre le silence ambiant par des éclats de rire stridents. » Terrorisé, Escobal en oublierait presque les puces, les rats et l’eau à la couleur brunâtre qu’il boit pour épancher sa soif. Au fil du temps, ces conditions d’incarcération crasseuses ont raison de son état de santé : après avoir contracté la tuberculose, Escobal s’inquiète pour ses yeux, martyrisés par les projecteurs braqués sur les détenus pour que ces derniers ne puissent pas dormir. « J’étais sur le point de devenir aveugle lorsque j’ai pu acheter des lunettes de soleil à un maton qui me les a cédées à un prix raisonnable parce qu’il était fan de football. Sans elles, l’irritation causée par la lumière des projecteurs aurait eu raison de ma vue. »

Un prisonnier, paralysé par la terreur, vomit ses entrailles et est traîné dehors. La patrouille d’exécution couvre le silence ambiant par des éclats de rire stridents…

Le quotidien d’Escobal est heureusement adouci par les amitiés qu’il forge pendant ses quatre années d’emprisonnement. Un casting de détenus digne des Évadés, qui offre un vaste panorama de l’Espagne à l’aube du franquisme : avec Angel, le pasteur protestant, Bello l’anarchiste et Poli l’avocat, il discute théologie et politique des heures durant. Le football, évidemment, est un autre moyen d’évasion : Escobal conte à ses compagnons d’infortune qu’il a fait partie de l’équipe nationale espagnole qui a disputé les JO de Paris en 1924. C’est à cette époque, quand le football n’est encore qu’une discipline amateur, qu’Escobal construit sa réputation d’homme de gauche. Avec certains cadres du Real proches des idées républicaines, il milite pour la création d’un syndicat prônant une professionnalisation du football, censée permettre aux joueurs issus des milieux les plus modestes de toucher un salaire régulier. Mais la fracture idéologique qui va plonger l’Espagne dans la guerre civile une dizaine d’années plus tard divise déjà le vestiaire du Real : l’attaquant star Juanito Monjardin, agent de change dans la vie, qui estime lui que le football doit rester une simple distraction, ne cachera pas, l’heure venue, ses sympathies pour les idées nationalistes… En prison, Escobal apprend également avec effroi que Chomin Acedo, l’un de ses ex-coéquipiers de sélection, dirige les pelotons d’exécution dans la prison de Haro. Des relations qui ne lui permettent évidemment pas de se soustraire à la menace des sacas. Au contraire.

L’exil, la Nasa et les stigmates

Escobal croit même son heure venue, une nuit d’août 1936 : « Un soir, un garde pointe un pistolet sur ma poitrine et m’ordonne de monter dans une voiture… Le véhicule avance lentement. À chaque bouffée, le cigare du conducteur éclaire les fusils des soldats à côté de lui. Ma volonté de vivre est remplacée par une froide résignation quand la voiture s’arrête brusquement… J’anticipe les ordres de mes bourreaux et tente d’ouvrir la porte. Mais un des gardes me repousse à l’intérieur du véhicule. « Pas ce soir », me dit-il en riant… Ils me ramènent alors à la prison. Quand j’entends la clé verrouiller la porte de ma cellule, je m’effondre au sol. » En 1939, les Franquistes prennent définitivement le pouvoir grâce à l’appui des troupes de l’Allemagne hitlérienne et de l’Italie mussolinienne. Escobal se dit alors qu’il va finir dans une fosse commune. Mais, ironie de l’histoire, c’est grâce à l’influence d’un officier italien, en bons termes avec la sœur de sa femme, qu’il se voit miraculeusement libéré. Dans la foulée, il quitte l’Espagne avec son épouse et son fils en juin 1940 pour Cuba, puis la Grosse Pomme, où il reprend l’emploi d’ingénieur qu’il avait embrassé après sa carrière de joueur. La mairie de New York lui remettra même la médaille de la ville, pour sa réforme de l’éclairage public du Queens. En 1969, son fils, Pedro R. Escobal, lui aussi ingénieur, concrétisera définitivement le rêve américain de son père en travaillant notamment sur la mission spatiale Apollo 11. L’homme est désormais capable d’aller sur la lune, mais Escobal ne peut toujours pas revenir en Espagne. Frustré, l’exilé se contente de rédiger le récit de ses années d’emprisonnement, qui ne sera publié en Espagne qu’après la fin de la dictature franquiste, sous le titre Las Sacas. « Il n’est revenu qu’une fois au pays, pour l’enterrement de sa mère… Il pensait être trop vieux pour s’y réinstaller après la chute de Franco », raconte aujourd’hui Pablo Escondrillas, un lointain parent du Fakir. Patricio Pedro Escobal est mort seul le 23 août 2002, à l’âge de 99 ans, sur l’île de Manhattan. Il était aveugle et avait le dos rempli de crevasses.

Article paru initialement dans le magazine SO FOOT.

Par Adrien Candau

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