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Ernesto Urrea: « Bielsa peut paraître fou»

Propos recueillis par Thomas Goubin, à Guadalajara
Ernesto Urrea: «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Bielsa peut paraître fou»

En 1992, Marcelo Bielsa quitte l'Argentine pour le Mexique et s'engage avec l'Atlas Guadalajara. Pendant deux ans, El Loco stationne dans la deuxième ville du Mexique et se lie d'amitié avec Ernesto Urrea, son voisin et dirigeant. Écouter Urrea permet de mieux comprendre qui est Bielsa et pourquoi sa signature à Marseille tarde à se concrétiser.

Dans quelles circonstances Marcelo Bielsa est-il arrivé au Mexique ?

Il a été contacté pour devenir directeur sportif de l’Atlas. Il s’est alors rendu à Guadalajara pour réaliser une sorte d’audit du club. Il est resté environ un mois avant de prendre sa décision et de bien définir quels seraient ses besoins. Je me rappelle avoir vu avec lui un match entre moins de 16 ans et, dès la mi-temps, il m’a dit qu’il allait rester, car les joueurs avaient le potentiel pour atteindre le niveau international. De plus, il savait qu’il disposerait de davantage de moyens pour travailler au Mexique qu’en Argentine.

Bielsa n’était donc pas l’entraîneur de l’équipe première ?

Non, ce n’était pas son but. Lui, ce qui l’intéressait, c’était de former des joueurs pour qu’ils aient le niveau suffisant pour s’exporter en Europe. Il voulait changer la mentalité du joueur mexicain. Il livrait son diagnostic à chacun des jeunes du centre en leur expliquant quelles étaient leurs qualités et comment il faudrait travailler pour passer par exemple d’un quatre points d’évaluation à un huit ou un neuf. Il insistait aussi sur le fait qu’il fallait penser football même une fois l’entraînement terminé.

Les négociations traînent en longueur entre Marcelo Bielsa et Marseille. Comment cela s’était-il passé avec l’Atlas ?

Ce qu’il faut savoir, c’est que Marcelo est extrêmement pointilleux. À l’Atlas, il avait inclus dans son contrat 50 points que le club devait modifier dans son organisation, ses infrastructures … Mais il ne s’était pas arrêté là, puisqu’il avait aussi dressé un calendrier extrêmement précis avec une date butoir fixée pour chaque point. Si les modifications n’étaient pas réalisées au moment où il le souhaitait, il pouvait menacer de démissionner. Bielsa sait exactement dans quelles conditions il veut travailler, mais il ne cherche pas à dépenser pour dépenser. Par exemple, s’il peut trouver un joueur au sein du centre de formation qui peut répondre à ses besoins, il ne fera pas faire un chèque à ses dirigeants pour recruter un joueur confirmé.

Quel résultats a-t-il obtenus à la tête du centre de formation ?

Avec Bielsa, l’Atlas est sans doute devenu le meilleur centre de formation du pays. Marcelo a mis en place un large réseau de détection de jeunes joueurs. Il travaillait avec une équipe de cinq ou six entraîneurs et disposait de relais dans une soixantaine de villes. Au total, de 10 000 à 12 000 joueurs étaient vus par son équipe chaque année. Les meilleurs étaient testés à Guadalajara et six ou sept restaient. Bielsa insistait toutefois sur un point : il ne voulait pas de joueurs de moins de 15 ans. Pour lui, un ado de cet âge n’était pas prêt à vivre loin de chez ses parents. On a ainsi détecté Rafa Márquez à 14 ans, mais on a attendu une année avant de le faire venir à Guadalajara. Avec Bielsa, Rafa a beaucoup appris en termes de lecture de jeu et de malice.

Comment Marcelo Bielsa s’est-il finalement retrouvé à la tête de l’équipe première ?

Lors de la première saison, il s’est exclusivement occupé du centre de formation même s’il avait placé un homme de confiance à la tête de l’équipe pro. Ensuite, il a cédé aux pressions des dirigeants qui voulaient qu’il prenne en charge les professionnels. Lui n’était pas enthousiaste. Marcelo est un homme de moyen et long terme, il m’avait d’ailleurs confié que son rêve ultime était de prendre en charge la sélection argentine U17, pas la A. J’ai aussi su qu’avant sa prise de la sélection argentine, Emilio Butragueño s’était réuni avec Marcelo à Miami pour lui proposer de prendre en charge le Real Madrid. Et comme on le sait tous, cela ne s’est pas fait, même si j’ignore la raison exacte de son refus. Bref, Marcelo finit par prendre en charge l’équipe première de l’Atlas, mais un peu à contre-cœur.

Avec quels résultats ?

Alors que l’Atlas était habitué à se débattre en fond de tableau, il a qualifié l’équipe pour la Liguilla (play-offs qui concluent la saison régulière au Mexique), avec une équipe formée pour moitié de jeunes de 17 et 18 ans. Il y avait notamment Pavel Pardo (champion d’Allemagne 2007 avec Stuttgart). Bielsa fera aussi débuter Jared Borgetti (meilleur buteur de tous les temps d’El Tri) et le gardien, Oswaldo Sanchez (titulaire lors du Mondial 2006, recordman du nombre d’apparition en première division mexicaine). Reste que diriger une équipe qui n’avait pas réellement le potentiel pour être championne frustrait Marcelo. Quand il est revenu de vacances, il a d’ailleurs décidé de s’occuper à nouveau du centre de formation, mais sous la pression des dirigeants il va accepter de rester à la tête de l’équipe première. Cela s’est alors beaucoup moins bien passé. Marcelo n’a cessé de présenter sa démission avant de se résoudre à se mettre en retrait. Il a ensuite signé pour l’América Mexico.

L’América est un club puissant, mais aussi escorté d’une immense pression. Comment Bielsa a-t-il géré cet environnement ?

Tout d’abord, dès qu’il a été contacté, il a demandé au club les vidéos des matchs disputés depuis deux ans par l’América. Il a ainsi réalisé une évaluation de chaque joueur et de ses besoins. La saison régulière s’est plutôt bien passée, mais le président de l’América a discuté certains choix de Marcelo et la relation s’est rompue. Les présidents de club sont souvent des gens d’argent qui manquent de finesse pour comprendre Marcelo qui est une personne extrêmement cultivée. Si je peux me permettre un conseil aux dirigeants marseillais, qu’ils choisissent un homme compréhensif et diplomate comme interlocuteur de Bielsa. Marcelo est un sanguin. En face, il faut une personne au caractère opposé au sien, car partir au conflit avec lui n’est pas vraiment une bonne idée.
Il montait sa Harley-Davidson tous les soirs jusqu’à son appartement

Parlez-nous un peu de l’homme. Pour vous, mérite-t-il son surnom d’El Loco ?

Tout d’abord, je vais vous expliquer pourquoi on le surnomme ainsi. En fait, quand Marcelo évoluait à Newell’s Old Boys, il s’est acheté une Harley-Davidson. Comme il ne disposait pas d’endroit pour la garer en sécurité, il montait son engin tous les soirs jusqu’à son appartement. Il faut préciser que Marcelo vivait au troisième étage d’un vieil immeuble aux escaliers en colimaçon. Ses voisins ont alors commencé à l’appeler El Loco. Après, par sa manière d’être, il peut en effet paraître fou. J’ai, par exemple, vu quelques matchs de l’Atlas en loge avec lui, et cela pouvait ressembler à une tempête. Mais, pour le reste, ce qui caractérise avant tout Marcelo, c’est son extrême discipline. Quand il se fixe un but, il ne se relâche pas une seconde avant de l’avoir atteint. Son cerveau tient du laboratoire scientifique quand il travaille. C’est un hyperactif, mais il est aussi émotif et impulsif.

Comment se comporte-t-il avec ses joueurs ?

Einstein a dit que la folie est de faire toujours la même chose et de s’attendre à des résultats différents. En ce sens, Marcelo n’est absolument pas fou. Lui s’adapte. Quand il est arrivé au Mexique, il a ainsi énormément lu sur notre culture car il voulait comprendre l’idiosyncrasie mexicaine. Je crois d’ailleurs qu’il connaissait davantage l’histoire mexicaine que moi. Et soyez sûr que s’il signe à Marseille, il fera tout pour comprendre pourquoi les Français sont comme ils sont. Marcelo est quelqu’un d’extrêmement exigeant, mais pour moi, c’est aussi un bon pédagogue. Par exemple, il ne va jamais critiquer un joueur devant ses coéquipiers. Il préfère le prendre en aparté pour lui expliquer les choses. Et si le joueur répond à ses attentes, il va l’applaudir, l’encourager. En revanche, il ne faut pas qu’un joueur aille à l’encontre de ses principes moraux.

Vous qui étiez son voisin et ami, pourriez-vous nous décrire une journée type de Marcelo Bielsa ?

Une fois rentré de l’entraînement, il regardait beaucoup de football, parfois jusque tard le soir. Tous les jours, une secrétaire du club se rendait chez lui pour retranscrire ses exercices. Marcelo est arrivé au Mexique avec un catalogue d’environ 300 exercices et il est reparti du pays avec plus de 500 exercices sous le coude. Il les expliquait à la secrétaire qui les rentrait dans son ordinateur. Sa femme, architecte de formation, les dessinait. Ensuite, Marcelo filmait ces exercices pour les montrer aux entraîneurs du centre de formation. Il expliquait aussi aux entraîneurs dans quel ordre les travailler. Marcelo est un esprit créatif, une des personnes les plus intelligentes que j’ai rencontrées. Quand il a démissionné de l’Atlas, ses journées étaient aussi occupées par la pratique du golf. Il voulait apprendre, et j’ai été son premier professeur. Le golf est un sport qui demande une immense persévérance et Marcelo ne s’est jamais découragé. Il jouait tous les jours de la semaine, même le dimanche. Il me disait : « Si Cruyff et Beckenbauer jouent au golf, pourquoi pas moi ? » Enfin, je me rappelle aussi que Marcelo était un grand mangeur. Quand il allait au restaurant, il demandait tous les plats de la carte pour tous les goûter. Peu importe le domaine, sa curiosité est insatiable.

Comment s’est terminée son aventure mexicaine ?

En fait, au terme de sa relation avec l’América, il revient à l’Atlas. Bielsa pense alors diriger le centre de formation, mais les dirigeants insistent encore une fois pour qu’il s’occupe des professionnels. Finalement, la veille de sa présentation officielle, il médite longuement, échange avec sa femme et décide de ne pas se présenter pour repartir en Argentine. Son contrat courait alors encore sur six mois, et Marcelo, qui, je crois, avait reçu une avance, a tenu à rembourser l’Atlas jusqu’au dernier centime. Pour lui, si tu ne travailles pas, tu n’as pas à être payé. Marcelo est un homme de principes.

Pour en savoir plus sur les années mexicaines d’El Loco : « Avec Marcelo Bielsa, c’était 72 centres par séance ! » « Bielsa n’était pas très sociable »

Propos recueillis par Thomas Goubin, à Guadalajara

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