Entretien avec François Bégaudeau
François Bégaudeau a écrit l'un des meilleurs livres sur le foot avec Jouer Juste, sorti en 2003, son premier roman.
Le sujet : un entraîneur (qu’on devine être Reynald Denoueix, à l’époque au FC Nantes) se lance dans un long monologue où s’enlacent football, amour et politique. Avec ce premier succès, critique et accessoirement commercial, Bégaudeau prouve que l’on peut faire un roman ayant pour sujet central et principal le football, évoquer Berson et Moldovan sans pour autant rebuter ni les critiques littéraires, ni les lecteurs. En ce début d’année, paraît Dans la diagonale, son deuxième roman. Le sujet : un homme rencontre un vieil ami d’adolescence, par hasard dans la rue et se voit « contraint » de passer le week-end chez lui, à la campagne. Extraordinairement passif, le héros fera la rencontre de Joe, présent lui aussi dans la maison de campagne, mais dont on ne sait vraiment ce qu’il fait là, ni qui l’a invité et comment tout cela va finir. Hormis une référence amusée à Zinedine Zidane en fin de roman, il n’est plus ici question de football, même si une chronique signée Giovanni Seri dans le dernier n° de So Foot y voit une apologie de Johan Cruyff (« ah oui, j’achète, je suis preneur, y a du boulot derrière », commentera l’auteur). En plus d’écrire d’excellents romans qui en font l’une des figure de proue de la jeune garde littéraire française « de qualité », par opposition à la « garde capillaire » emmenée par Zeller ou Rey, François Bégaudeau est critique cinéma aux Cahiers du Cinéma et livre régulièrement des textes bien sentis pour So Foot. Ce n’est pas une raison pour ne pas l’interviewer.
SF : François, Jouer Juste évoque évidemment le FC Nantes, Carrière, Berson, Moldovan, on devine les joueurs nantais en filigrane… Tu es Nantais ?FB : Ouais.
SF : D’où l’amour du FC Nantes. C’est toujours suspect les gens qui l’aiment et qui ne viennent pas de Nantes.
FB : Non, bien au contraire. Je pense que mon vrai talon d’Achille quand je défends Nantes c’est de venir de Nantes parce qu’on peut toujours me suspecter de l’amour de proximité. Et non pas d’amour électif. Moi je trouve beaucoup plus crédible le type qui habite à Monaco ou à Sochaux et qui adore le FC Nantes parce que lui au moins il a « élu » son équipe pour des raisons esthétiques. Je n’ai pas commencé à aimer Nantes sans savoir pourquoi.
SF : J’ai tendance à penser que ça fait bien d’aimer Nantes, que les gens aiment Nantes à l’extérieur.
FB : C’est vrai. C’est aussi un petit snobisme.
SF : Oui il y a un petit snobisme pro-nantais qui est un peu chiant, un peu condescendant. Je préfère encore le côté « J’aime Nantes parce que je viens de Nantes ». Parce que finalement c’est facile d’aimer Nantes (à part maintenant où tu peux tiquer avec la Socpress). Cette espèce de bon goût bienséant c’est très pénible. Comme c’est bien d’aimer Moby, Manu Chao, Vincent Delerm ou Benjamin Biolay en musique.
FB : Inversement, quand un type me dit j’habite à Auxerre et je suis pour Auxerre et que tu lui demandes ce qui lui plaît dans cette équipe, il ne sait pas quoi répondre. Moi j’ai longtemps aimé Nantes parce que j’ai longtemps habité sa région. Je suis vendéen à la base. Je suis né à Luçon puis vers quatre, cinq ans on est monté à la ville pour que les enfants fassent des études.
SF : Toi qui est très « politique », François, c’est quoi la démarche de Landreau si on veut la caricaturer anarchiste, gauchiste, etc ?
FB : Indépendamment du fait que ce soit Landreau et que ce soit à Nantes, on est toujours à pester, comme à So Foot d’ailleurs ou à Libé où je l’avais écrit, sur le fait que les joueurs de foot sont des neuneus. C’est pour ça qu’on aime l’exemple de Rocheteau qui était quand même un peu LCR. Même Platini qui était un mec de droite mais qui ouvrait sa gueule, il y avait de la personnalité. Quand tu apprends que Landreau déclare ce qu’il déclare dans France Football et que le lendemain il est interdit d’entraînement par Loïc Amisse et que Da Rocha se lève et dit : « Si Mickaël est interdit d’entraînement, je le suis aussi » et que Savineau se lève et dit « Si Frédéric est interdit, je le suis également »… Ça fait plaisir de voir que les joueurs peuvent, comme ceux du Bayern qui faisaient grève à l’époque pour des raisons politiques, avoir une conscience politique.
SF : C’est vrai que c’est assez plaisant. Même si Landreau n’a pourtant pas la réputation d’être un anar’ de gauche…
FB : Oui, il joue pour son beurre.
SF : C’est un ultra perso. Mais il se trouve que là ça a quand même fait du bien à cette équipe parce qu’ils se sont retrouvés. Et puis ça s’est retourné contre lui d’un point de vu personnel. Maintenant, il va avoir du mal à trouver un club. C’est quand même le mec qui dit qu’il en a marre et qui veut se casser au PSG et les mecs du PSG lui disent qu’ils ne veulent pas de lui. Il s’est grillé. Au final, ça le rend plus sympathique… Ce qui est marrant c’est la façon dont les dirigeants nantais ont réagi.
FB : Nantes a toujours produit des dirigeants assez intellos, assez cultivés et raisonnables. Là, on a jamais vu une équipe aussi lamentable. Gripond est une catastrophe, Dassault ne voulait pas Nantes et ne savait même pas que la Socpress le possédait si cela se trouve.
SF : Il semblerait que ce soit ce soit Paru Vendu ou Darmon qui veuillent le reprendre.
FB : Darmon, apparemment, ça ne se fera pas parce que Ayrault est très soucieux du club et sait très bien qu’en termes d’image, Darmon, ça ne va pas le faire. J’ai vu qu’il y avait un ancien associé de Scherrer, de l’époque des Loko et Ouedec qui était sur le coup. Scherrer c’était un grand esthète helléniste. Mais c’était un sacré président. Un philanthrope, un illuminé. Il venait serrer la main des supporters à la fin des matchs. Il faisait des tournées en écharpe.
SF : Tu jouais au foot en Vendée ?
FB : Non, pas en Vendée. Je suis né en 1971. Je suis resté jusqu’en 1976. Après je suis monté à Nantes. On revenait en Vendée pour les vacances. Mais je suis quand même Nantais. Et là je jouais au foot. J’étais dans un club de banlieue de seconde zone, Mangin-Beaulieu. C’était vraiment un club prolo, dans les quartiers. Moi, fils de la bourgeoise de gauche, je ne sais pas pourquoi je me suis retrouvé là-bas, mais en tout cas, c’était génial.
SF : Quel poste ?
FB : Au départ, je jouais milieu relayeur parce que j’avais un peu d’endurance et que mon unique qualité en foot c’est que j’étais un bon organisateur. Je distribuais bien le jeu. Et après je suis passé dix. J’ai arrêté en junior parce que je faisais un mètre quatre-vingt, certes, mais je faisais soixante-cinq kilos avec des cuisses ridicules. Je me faisais destroy par tous les défenseurs. Je ne servais plus à rien, en fait. En plus, je commençais à sortir…
SF : Tu découvrais qu’il n’y avait pas que du foot ?
FB : J’ai pensé de sept à dix ans que je serai pro parce que j’étais vachement bon dans la cour de récré. J’ai longtemps pensé que j’étais un grand joueur de foot, parce que j’étais un bon dribbleur, un bon joueur de mini-foot. Sur un grand terrain, il n’y avait plus personne.
Propos recueillis par AL et SDA
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