Docu TV : L’air de Colombes
Stade mythique. Plutôt stade mité, vu ce qu'il en reste...Le Stade de Colombes, c'est un peu notre Wembley à nous. Un stade centenaire, chargé d'histoire(s) et multisports qui a vu défiler parmi les plus grands sportifs du XXème Siècle. Parce que cette enceinte longtemps connue du monde entier, c'est surtout beaucoup de nostalgie. Dommage que ce documentaire, ce soit aussi beaucoup de frustrations...
Construit en 1907 à l’endroit de l’Hippodrome de Colombes, le Stade du Matin (du nom du journal) devient rapidement la propriété du Racing Club de France, etc, etc…
En fait, à partir de 1922, les équipes de France de foot et de rugby viendront y jouer régulièrement. On y disputera également les finales de Coupe de France jusqu’en 1971.
Grands événements : les Jeux Olympiques de 1924, avec l’Uruguay médaille d’or en foot, en route pour son titre de premier champion du monde en 1930. La Coupe du monde 1938 et sa finale gagnée par l’Italie mussolinienne : images glaçantes du capitaine Meazza qui exécute le salut fasciste en recevant le trophée des mains du président Lebrun.
Episode moins connu : à la veille de la Seconde Guerre Mondiale, le Stade de Colombes (rebaptisé Stade Yves du Manoir, du nom d’un ancien rugbyman du Racing disparu en 1914) se transforme en camp d’internement où des opposants allemands et autrichiens, souvent juifs, sont parqués puis plus tard livrés par Vichy à l’occupant nazi…
Les images défilent : photos en noir et blanc, films d’archives en accéléré, commentaires lus studieusement par le comédien Bruno Putzulu. Les témoins racontent : Michel Jazy pour l’athlétisme (après les duels Zatopek-Mimoun), Boniface, Albaladejo et Spanghero pour le rugby du Tournoi des 5 nations des années 50 et 60, Georges Carnus, gardien de l’ASSE et victime de Pelé (hat-trick lors d’un France-Brésil en 1963). Un peu de people : images glamour de Brigitte Bardot, vedette d’un match entre le Santos de Pelé, encore lui, et une entente OM-ASSE en 1971 !…
Et puis, l’arrêt de mort : en 1972, le nouveau Parc des Princes supplante Colombes pour toujours pour les équipes de France foot et rugby, ainsi que les finales de Coupe de France.
En juin 1972, un combat de boxe de championnat du monde oppose Jean-Claude Bouttier à son vainqueur Carlos Monzon. Et puis, c’est quasiment fini. Le Matra Racing de Lagardère, locataire des lieux, déménagera au Parc des Princes sitôt la remontée en L1 acquise en 1983-84 à Colombes. Et les rugbymen du Racing, “les gars du Show-Biz” (Mesnel, Rousset, Blanc, Laffont), champions de France en 1990, livreront les dernières heures de gloire au vieux Du Manoir, démoli aux trois-quarts, excepté sa grande tribune latérale (7000 places).
Aujourd’hui, le Racing Métro de Pierre Berbizier tente de remonter en Pro A devant quelques milliers de fans et le bon Jean-Claude Perrin, ancien coach de la meilleure équipe de perche du monde (Houvion Abada, Vigneron, Bellot,…) entraîne les mômes le dimanche…Devenu propriété du Conseil Général des Hauts-de-Seine, un projet de rénovation du stade verra le jour en 2011.
Il y a des vrais moments de poésie dans ce docu, comme ce témoignage de Boniface qui évoque un stade non fermé, aux virages bas, « ouvert vers le ciel, vers l’infini, où l’on s’en va inscrire des essais de 1000 mètres » .
Il y aussi le long tunnel noir et humide, qui mène vers la pelouse, « vers l’échafaud » , se souviennent Mesnel et Rousset. Mais il y a les oublis impardonnables, les événements petits ou grands, sportifs ou non, qui font l’histoire et la légende d’un stade, qui lui donnent cette âme de stade “habité”.
Pas un mot du mythique Ajax-Benfica (3-0 a.p) de C1 en mars 1969 : un match d’appui entre les deux clubs qui se sont neutralisés en quarts de finale sur le même score 3-1 et 1-3. Cruyff contre Eusebio, devant la plus grande affluence jamais rassemblée en France (63 000 personnes), du moins jusqu’à l’inauguration du SdF en février 1998 : des dizaines de milliers de fans venus des Pays-Bas et du Portugal… D’accord, Pelé a offert à Colombes ses lettres de noblesse, mais comment occulter l’Ajax 1969 ? Le grand Ajax et Johan Cruyff sont nés à Colombes contre le Benfica de Eusebio. On exagère à peine. Un coup de tonnerre dans le football européen.
Pas un mot du terrible France-Portugal (0-2) d’avril 1975, symbolique à la fois de la déchéance du Stade Yves du Manoir déjà en ruines et d’un football français à la ramasse, juste avant sa résurrection stéphanoise et Platinienne, dans un autre stade, le Parc des Princes.
Aucune référence non plus au Concours du plus jeune footballeur, organisé sur les terrains annexes du Du Manoir : Laurent Roussey 76, futur Vert, par exemple, c’était pas crade…
Aucune référence non plus à un hallucinant Hambourg-Sporting de Lisbonne 1978, avec les stars Keegan, Magath, Kaltz, harcelés par les petits zonards des técis d’en face, son envahissement de terrain bien avant le coup de sifflet final et ses mouvements de foule dans des tribunes en chantier – en cours de ravalement : entre filets protecteurs et échafaudages, un vrai danger mortel, un Heysel d’avant le Heysel…
Et puis, il y a d’autres manifestations plus cocasses : pendant presque 15 ans, la municipalité communiste louait pendant une petite semaine aux Témoins de Jéhovah le stade de Colombes (pour les messes en plein air) et sa piscine olympique (pour les baptêmes collectifs).
Il y eut aussi un fameux concert de Bob Dylan en juin 1981, terminé en pleins gaz lacrymogènes, sous les charges de CRS…Il n’y a aucune image non plus des matches du Matra Racing de Lagardère et de la fameuse montée en D1, après moult matches de barrage…
Tous les témoins sont français : aucun témoignage de sportifs, journalistes ou supporters étrangers. Un manque regrettable quand on sait qu’en Nouvelle-Zélande, une expression populaire à propos des tournées françaises des All Blacks disait à peu près ceci : « On ne sait pas où se trouve Paris, mais on sait où est Colombes » ! Touchant, non ?
Voilà, on est un peu déçu et peiné par ce documentaire parfois trop cheap, essentiellement franco-français. On envie le savoir-faire des professionnels anglais qui savent réaliser des livres ou des documentaires TV plus fouillés. Qu’il s’agisse de magnifier un club légendaire, une équipe de rêve, un joueur d’exception, un coach génial, un groupe de supporters totalement crazy ou un stade mythique (Wembley, en l’occurrence : ses matches de foot historiques, mais aussi ses grands concerts rock !)…C’est aussi au vu de ce documentaire “inachevé” qu’on reconnaît que la France n’est pas encore un grand pays de foot.
L’air de Colombes documentaire de Jean-Christophe Klotz, avec textes lus par Bruno Putzulu.
Sur France 2, ce lundi – nuit de lundi à mardi – à 2h45
Chérif Ghemmour
PS : Oui, je sais : sur cet article, j’ai fait un peu mon crâneur. Genre, « C’est naze et je sais tout » . Toutes mes excuses. Je voudrais juste rappeler que je suis né à 500 mètres du Stade de Colombes et que j’habite aujourd’hui à 500 mètres de ce bon vieux Du Manoir. That’s all.
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