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Disparition de Pelé : Le Roi est mort, vive O Rei !

Par Chérif Ghemmour
Disparition de Pelé : Le Roi est mort, vive O Rei !

Ce jeudi 29 décembre, Pelé a rejoint Puskás, Di Stéfano, Cruyff, Maradona, Müller et quelques autres au paradis des géants. Le Brésilien nous a quittés à l’âge de 82 ans. Première étoile universelle du ballon rond, il a aussi été un des grands héros de la communauté planétaire noire, y compris aux États-Unis, moins éprise de soccer. Hommage à l’immense Edson Arantès do Nascimento.

Dans son QG situé dans le quartier d’affaires d’Itahim Bibi à São Paulo, Pelé avait affiché au-dessus de son bureau un beau Christ rigolard : « Je me suis imaginé très jeune, déjà, une force divine souriante et non clouée sur une croix, grimaçante de douleur et les bras écartelés, racontait-il pour France Football. Je le préfère ainsi. Il correspond mieux à la philosophie que je me fais de la vie et de la religion. » Pelé était source d’énergie positive, guidée par une foi religieuse qu’on retrouve souvent dans la diaspora africaine éparpillée de par le monde et sublimée par un talent sportif inouï à l’aura prophétique.

Moïse noir

Edson Arantès do Nascimento a été la première figure noire planétaire, adorée sur tous les continents, dès son triomphe avec la Seleção à la Coupe du monde 1958 en Suède. Buteur décisif en quarts face au pays de Galles (1-0), puis auteur d’un triplé en demies face à la France (5-2) et d’un doublé en finale face à la Suède (5-2). À 17 ans et demi, seulement… Les deux syllabes universelles « Pe-lé » de son apelido (surnom en brésilien) étaient passées aussitôt dans le langage courant, sous toutes les latitudes. La même admiration positive illuminerait jusqu’à aujourd’hui les adorateurs et les béotiens du foot quand ils prononcent le nom magique de l’idole souriante aux exploits miraculeux. Lui aussi aurait mérité le surnom de son compère Garrincha, Alegria do povo (la joie du peuple, en VF)… Dans les années 1960 marquées par les indépendances en Afrique et par la lutte pour les droits civiques aux USA, Pelé s’est inscrit en premier dans la lignée des grands leaders noirs de la fraternité mondiale, en devancier de Martin Luther King, Bob Marley et Nelson Mandela. Petit-fils de Dona Ambrosina dont le père avait été esclave dans le Brésil du XIXe siècle, Pelé a rendu aux siens leur fierté et leur dignité bafouées jusqu’aux années 1960. Sorte de Moïse noir guidant son peuple vers la rédemption et la résilience, il s’est imposé bien involontairement, mais véritablement comme une figure tutélaire conscientisée de sa diaspora. Et tant pis pour les idiots qui n’ont jamais cessé de fustiger son apolitisme et son sourire « Uncle Ben’s » .

Outre ses dons footballistiques, c’est précisément par son sourire, celui de son Christ rigolard, qu’il a conquis tous les cœurs de la planète. Jamais dupe non plus de sa récupération politique, opérée notamment par la junte militaire au moment du triomphe au Mundial 1970, Pelé avait opposé l’excuse de son quasi-analphabétisme et de sa position de petit crioulo (« négro », au sens très péjoratif en brésilien) tout juste toléré dans la bonne société brésilienne. Il s’était ensuite émancipé par l’éducation en passant le bac en fin de carrière, s’offrant enfin une intelligence mieux articulée. En devenant ministre des Sports en 1995, il était même devenu le Premier ministre noir de l’histoire du Brésil : « Il a fallu attendre deux siècles après l’indépendance du Brésil pour que cela se produise, ce qui en disait long sur les difficultés rencontrées par les Afro-Brésiliens », avait-il écrit dans son autobiographie Ma vie de footballeur.

Trois fois champion du monde

Son talent de footballeur a jailli dans un halo de modernité émancipatrice, contemporaine du free jazz aux États-Unis (fin des années 1950 et début des années 1960). Tout en s’intégrant dans le cadre collectif des deux équipes de sa vie, le Santos FC et la Seleção, Pelé a poussé l’art de l’improvisation à un niveau inconnu jusque-là. Des buts par centaines (1250 environ) qui ont mis en lumière sa vitesse-éclair lors de longs raids solitaires, ses dribbles diaboliques, ses surgissements du néant en deus ex machina finisseur, sa virtuosité ambidextre et son jeu de tête incroyable pour sa petite taille (1,70m !). À son grand regret, son plus beau but ne fut – hélas ! – pas filmé par la TV brésilienne : le 2 août 1959, avec Santos contre la Juventude en championnat de São Paulo, il était parti de l’angle de la surface de réparation, avait lobé à tour de rôle quatre adversaires dont le gardien, avant de bazarder le cuir d’une tête insolente au fond des filets. Le ballon n’avait pas touché sol… Pelé a été le premier à apporter la dimension supersonique de soliste inarrêtable, ouvrant la voie (rapide) à Eusébio, Best, Cruyff, Maradona, Ronaldo, Messi, CR7… et Mbappé !

S’il dédaignait de nommer un successeur après sa carrière, c’est pourtant notre Kylian national qu’il avait désigné comme l’héritier qui lui ressemblait le plus : petit métis électrique, champion du monde précoce et buteur lui aussi en finale, 60 ans pile après son sacre de Stockholm… Au passage réussi du football festif au football bunkérisé et violent au milieu des années 1960 qui le vit se faire massacrer à la Coupe du monde 1966 ( « À compter de ces années-là, le football est devenu moche », analysait-il), Pelé a incarné en deux titres le triomphe sans cesse bousculé de l’attaquant sur les défenseurs. En continuant de marquer beaucoup de buts (atteignant le gol mil, son millième en 1969) et en investissant brillamment le registre de meneur inspiré qui marque et fait marquer. Sa passe aveugle sublime pour le but de son capitaine Carlos Alberto en finale de Coupe du monde 1970 contre l’Italie rappelle qu’il figurera toujours en bonne place dans la caste des grands numéros 10. Célébré depuis Mexico 1970 au titre d’único tricampeão mundial (1958, 1962, 1970), Pelé aura vécu en souverain éternel (O Rei, le Roi) goûtant mal, non pas tant les prétendants ultérieurs à sa couronne, mais plutôt les réserves mesquines émises sur la légitimité de son plus haut rang monarchique.

Avec les derniers saints de Santos…

Non, les défenseurs de son époque n’étaient pas des plots : c’est lui qui les transformait ainsi par sa ruse proverbiale. Resté au Brésil contre son gré (un diktat de la junte militaire qui l’avait déclaré Trésor national intransférable), il aurait évidemment réussi dans les plus grands clubs d’Europe. Avec Santos, il avait d’ailleurs trucidé à lui tout seul le grand Benfica (1962) puis le grand AC Milan (1963) en Coupe intercontinentale… Les tournées mondiales incessantes de Santos avec Edson Arantès à l’affiche l’ont fait zapper une ou deux éditions de la Copa Libertadores, le privant sans doute de victoires supplémentaires et donc d’autres Coupes intercontinentales. Chahuté au niveau de ses stats pour ses trop nombreux buts en matchs non officiels, il avait quitté de lui-même la Seleção en 1971 (« Il faut partir quand le public veut qu’on reste, pas quand il veut qu’on s’en aille », philosophait-il) puis qu’il était parti aux USA en 1974, jouer en NASL, championnat mineur. Il s’est ainsi privé de nombreux « vrais buts » , en club et en sélection, lui qui ne tirait pas toujours non plus les penaltys et les coups francs. De l’avis de beaucoup d’experts brésiliens, tel son compère Tostão, Pelé aurait été encore compétitif pour disputer la Coupe du monde 1974, portant à cinq éditions successives sa participation record en une première historique… O Rei s’exila aux USA pour y implanter durablement le soccer au sein du New York Cosmos, s’accordant une pige de trois ans afin aussi de se renflouer après une escroquerie douloureuse qui l’avait laissé sur la paille.

En Amérique, après avoir été homme de pub au Brésil, il devint le super VRP parfois énervant des grandes sociétés multinationales, tel Pepsi auquel il s’était associé autrefois pour des programmes foot-jeunesse : « Pour moi, c’était un superbe exemple de ce que les multinationales pouvaient accomplir pour rendre le monde meilleur, tout en assurant la promotion de leur produit. » Mais le multimillionnaire avait fini sa vie dans l’humilité d’une vieillesse passée au milieu de ses anciens potes du Santos FC qu’il invitait à des déjeuners ensoleillés. Ensemble, avant de partir pour le grand voyage, ils riaient, pleuraient, se vannaient en reparlant du bon vieux temps… L’image d’un Pelé, certes affaibli et marchant avec l’aide d’un déambulateur, mais heureux au milieu des siens nous a prodigué l’une des dernières joies consolatrices en compagnie de l’artiste avant sa disparition. Mário Zagallo est désormais le dernier survivant des joueurs brésiliens ayant disputé la finale de 1958.

Pelé, un roi très politique
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